jeudi 3 février 2011

La paix avec Israël dans la ligne de mire

02/02/2011 
Par CHRISTOPHE AYAD
Au fur et à mesure que grandit la contestation contre le régime de Hosni Moubarak, ce n’est plus seulement Moubarak qui est en péril mais aussi son régime. C’est-à-dire pas seulement un homme mais les institutions qui l’ont soutenu. Pas seulement une politique mais les grands choix stratégiques qui fondent l’Egypte d’aujourd’hui. A commencer par le premier d’entre eux, la paix avec Israël, scellée à Camp David en 1979 sous le parrainage actif des Etats-Unis.
Les Frères musulmans, qui ont choisi de s’engager résolument dans la contestation, ne font plus mystère de leur projet d’en finir avec le «régime» égyptien - institutions, Parlement, parti - et appellent à manifester jusqu’à sa chute. Hier, un cadre de la confrérie a demandé de cesser les livraisons de gaz égyptien à Israël, qui sont partie intégrante des accords de Camp David. Plus tard dans la journée, un porte-parole indiquait qu’il n’était pas question de «négocier» avec le pouvoir, comme l’avait proposé la veille Omar Souleiman, le tout nouveau vice-président et ancien chef des services de renseignements. Pas question pour eux de tendre la main à un pouvoir aux abois…
Echange. Pour la politique américaine, la chute du régime égyptien - et non plus seulement de Hosni Moubarak - pourrait s’apparenter à un choc aussi important que la chute du shah d’Iran Reza Pahlavi, en 1979, qui s’était justement enfui en Egypte, où il a fini ses jours. A l’époque, Washington avait perdu son principal allié dans la région, remettant en cause toute sa stratégie d’alliances afin d’assurer la sécurité d’Israël. L’Egypte, en rejoignant le camp de la paix avec Israël et celui des alliés des Etats-Unis, avait justement comblé le vide laissé par la «défection» iranienne. Un adage en vogue chez les diplomates veut qu’au Proche-Orient la guerre sans l’Egypte n’est pas possible, comme la paix sans la Syrie ne l’est pas non plus.
Si jamais un régime civil, ou démocratique, venait à s’installer en Egypte, la politique étrangère du pays ne manquerait pas d’en être affectée dans un sens défavorable à Israël et aux Etats-Unis. Washington accorde en effet 1,2 milliard de dollars (867 millions d’euros) d’aide - dont 800 millions d’aide militaire et 400 pour la coopération civile - par an au Caire en échange de la paix avec Israël. Car, en Egypte, politiques intérieure et étrangère sont étroitement mêlées. Le discrédit du régime de Hosni Moubarak ne manquera pas d’avoir des conséquences sur les orientations géopolitiques des futurs dirigeants de l’Egypte, quels qu’ils soient.
Fibre. Cependant, un changement de régime et une sortie de ce «pacte» n’impliqueraient pas forcément un retour à l’état de guerre avec Israël mais, au minimum, un changement de paradigme. On risque donc fort de passer de la «paix froide» à la «guerre froide» avec le voisin israélien. Attention, en effet, aux comparaisons avec la Révolution islamique. Les Frères musulmans ne sont pas Khomeiny. Ils n’ont ni la même légitimité, ni le même pouvoir spirituel sur la foule des fidèles - sunnites et non chiites - que le vieil ayatollah et son clergé. Ils ne sont surtout pas animés par la même fibre révolutionnaire. Mais leur proximité avec le Hamas palestinien, dans la bande de Gaza, ne manque pas d’inquiéter Israël, qui a annoncé hier que le traité de paix de Camp David ne pouvait pas être remis en cause…
Contrairement à la Tunisie, où il n’y a pas d’enjeu géostratégique, les Etats-Unis tentent de sauver ce qui peut l’être avant qu’il ne soit trop tard : avec la nomination d’Omar Souleiman, un homme qu’ils connaissent bien et apprécient, ils ont obtenu satisfaction. Un ancien ambassadeur américain en Egypte, Frank Wisner, a été dépêché d’urgence au Caire. Pendant que l’ambassadrice s’est entretenue hier avec l’opposant Mohamed el-Baradeï, Wisner est à la manœuvre dans la coulisse, probablement afin de convaincre Moubarak, qu’il connaît bien, de passer la main en douceur à son vice-président.
Lien