Al-Ahram/Weekly
Pour laver son image, l’Autorité palestinienne s’est lancée dans l’éradication de la corruption. Mais cela suffira-t-il si les hautes personnalités sont épargnées ? demande Khaled Amayreh, à Ramallah.
L’Autorité palestinienne (AP) se prépare à porter des accusations officielles contre des dizaines de dirigeants, actuels et anciens, accusés d’avoir détourné des centaines de millions de dollars. Des critiques, cependant, décrivent cette campagne comme n’allant pas assez loin et venant bien tardivement, étant donné le caractère endémique de la corruption et le travail draconien - et déstabilisant - nécessaire pour endiguer le flot de la corruption.
Le Département de la Justice de l’AP a transmis quelque 80 dossiers de corruption à Rafiq Natshe, directeur de l’Agence anticorruption (ACA). Selon Natshe, les dossiers contiennent de graves accusations de fraudes, de détournements de fonds et de corruptions, ajoutant qu’une enquête approfondie allait bientôt démarré. Natshe affirme qu’il va poursuivre et traquer les suspects « où qu’ils se trouvent ».
« Pour le moment, nous avons tous les dossiers, dont certains concernent des ministres et anciens ministres » dit-il.
En 2005, l’indice de perception de la corruption de Transparence internationale, qui mesure la malfaisance chez les responsables de gouvernements à travers le monde, a classé l’AP 108è sur 195. Les dirigeants de l’AP prétendent que la situation globale de la corruption s’est considérablement améliorée depuis 2005.
Toutefois, très peu de dossiers de corruption ont été présentés devant la justice palestinienne et il y eut encore moins de suspects d’inculpés et de condamnés. « Les corrompus, y compris les plus infâmes, profitent de leur richesse mal acquise et nous narguent, » dit un ancien responsable de l’AP qui fut chargé de combattre la corruption au temps d’Arafat.
Effectivement, la plupart de ce que l’on appelle les « cas sulfureux » n’ont pas été touchés, soit parce que les personnes impliquées sont des personnalités influentes de gouvernement soit parce que les preuves ont été détruites.
L’AP a arrêté des dizaines de suspects à ce jour, les soumettant à une enquête sur les sources de la richesse qu’ils ont pu amasser. Cependant, la plupart de ces personnes ont été libérées, pour des raisons inconnues.
Des sources fiables ont déclaré à Al-Ahram Weekly que les agences de sécurité de l’AP ont mis en garde sa direction ca, selon elles, une campagne tous azimuts contre la corruption déstabiliserait gravement l’ « entreprise nationale palestinienne » et nuirait à l’image du Fatah, surtout vis-à-vis de son grand rival, le Hamas.
Ce n’est pas qu’un petit nombre de suspects de corruption qui sont affiliés au Fatah, notamment des ministres, des directeurs généraux, et des militants de base.
À Dura, au sud d’Hébron, un ancien directeur général qui fut numéro deux dans un ministère générateur de recettes aurait touché des millions de dollars sous formes de « commissions, pots-de-vin et avantages indirects ». Quand il a été confronté à ses interrogateurs et qu’il lui était rappelé qu’encore très récemment il était pauvre, il aurait déclaré qu’il était fils de martyr et que la fortune qu’il avait acquise était légitime.
Un autre suspect, également du sud de la Cisjordanie, aurait payé 600 000 dinars jordaniens (environ 618 000 €) en espèces pour 60 dunums (6 hectares) de terre achetés à un propriétaire foncier de la région. Avant d’occuper sa fonction de maire, l’homme ne pouvait à peine joindre les deux bouts.
Certains critiques arguent que l’AP ne poursuit que les « petits voleurs » alors qu’elle ignore les « gros » dont elle ne citera pas les noms.
« Que diriez-vous de Suha Arafat (la veuve de l’ancien dirigeant de l’Organisation de libération de la Palestine, Yasser Arafat) ? Combien de millions a-t-elle encaissés de la direction du Fatah après la mort d’Arafat ? Nous voulons savoir, parce que ces millions appartiennent au peuple palestinien, pas à elle, » dit un responsable mécontent du Fatah, de Bethléhem, sous couvert d’anonymat.
Le Fatah n’a jamais divulgué les détails de l’arrangement financier conclu avec Suha Arafat qui, selon certaines sources, aurait menacé de recourir à la justice française pour obtenir une somme d’argent, non précisée mais importante, déposée dans les banques françaises sous le nom d’Arafat. Selon la loi française, seule l’épouse du défunt a le droit de réclamer sa fortune.
La veuve d’Arafat a perdu des dizaines de millions de dollars dans des affaires ratées en Tunisie, surtout après être tombée en disgrâce auprès de la, aujourd’hui ancienne, Première Dame tunisienne, Leila Trabelsi. Suhat Arafat a finalement été déchue de sa citoyenneté tunisienne en raison de ses mauvaises relations avec Trabelsi.
Youssef Rabaie est un éminent avocat d’Hébron, spécialisé dans la lutte contre la corruption. Il a dit à Weekly que la campagne anticorruption en cours, conduite par l’AP, ne serait crédible que si chaque individu et responsable lié à l’AP était sujet à enquête
« Nous allons en être bientôt au point de nous demander qui va enquêter sur qui ? Franchement, l’AP n’a ni l’aptitude ni la qualité pour enquêter sur la corruption. Un corrompu est mal placé pour enquêter sur les corrompus. »
En effet, la corruption imprègne toute l’AP construite sur le modèle de l’OLP où une seule personne, à savoir Yasser Arafat, prenait toutes les décisions et contrôlait tout l’argent.