27/01/2011
Le scandale des documents secrets dévoilés par Al-Jazira (le bien nommé PaliLeaks, en référence au site WikiLeaks), renforce davantage le divorce entre les Palestiniens de Jérusalem et le pouvoir de Mahmoud Abbas à Ramallah.
Jérusalem-Est, rue Salaheddine, Al-Jazira tourne en boucle sur les écrans plasma d’une petite boutique d’informatique. Au menu bien sûr, les dernières révélations de la bombe “PaliLeaks”, (ou “Palestine Papers”, le WikiLeaks palestinien), les coulisses compromettantes des interminables négociations de paix.
Comme à son habitude, Jérusalem y occupe une place de choix: en 2008, les négociateurs palestiniens auraient offert sur un plateau le plus grand “Yerushalayim” (Jérusalem en hébreu) de l’histoire à Israël, en renonçant à ses droits sur l’ensemble des colonies juives de la partie orientale de la ville, mis à part Har Homa: Ramat Shlomo, Gilo, French Hill, Ramat Alon… Pour les Palestiniens de Jérusalem, il s’agit aussi bien de la maison d’à côté que d’une image indéboulonnable dans le rétroviseur au retour du travail. Sujet ô combien sensible dans une ville poudrière.
Mais c’est plutôt une impression d’anesthésie qui prédomine aux lendemains de l’explosion “PaliLeaks”: “Les documents confirment ce que nous savions déjà: à l’écart des projecteurs, nos dirigeants ne font que reculer et abandonnent nos terres”, explique Dimitri, un jeune cadre de la grande poste de Jérusalem-Est. À quelques pas de là, Montasser, jeune journaliste sportif et habitant de la Vieille-Ville fait, lui, preuve de plus d’indulgence: “Pas de quoi crier au coup de poignard. Après tout, rien n’a été signé. C’est le jeu des négociations et il faut comprendre qu’Israël impose à nos dirigeants une telle dose de stress...”.
Changement de décor et d’ambiance: quartier de Silwan, sur les hauteurs de Jérusalem-Est, Maher fait le pied de grue devant le poste de police israélien: il guette depuis plusieurs heures la sortie de ces deux jeunes neveux, arrêtés pour avoir jeté des pierres dans le quartier sous haute tension. Dans ce contexte, la “trahison” de l’Autorité palestinienne passe d’autant plus mal. Pour Maher, la locomotive dirigeante est dorénavant bonne pour la casse: “Plus personne ne veut de ces négociateurs, plus personne ne veut de Mahmoud Abbas, j’irai même jusqu’à dire que plus personne ne veut de l’Autorité palestinienne.”
“Les négociations, c’est fini”
Finalement, le “PaliLeaks” d’Al-Jazira fait surtout office de catalyseur des frustrations accumulées à l’encontre d’un pouvoir palestinien “faible et bancal”.
Une désaffectation qui résonne douloureusement à travers un sondage conduit par l’Institut américain Pechter et publié à la mi-janvier. Il écorne un tabou bien ancré chez les Palestiniens de la ville sainte: 35% d’entre eux préféreraient prendre la citoyenneté israélienne que d’acquérir des papiers palestiniens (30%) dans le cadre d’un futur accord de paix. Les Palestiniens de Jérusalem ont, depuis 1967, la carte bleue de “résident permanent”, un statut délicat d’apatride mais qui donne accès à certains services de l’Etat hébreu, comme l’assurance maladie par exemple. Dimitri, l’employé des postes, a fait son choix: “Je pourrais me battre et mourir pour mon pays, la Palestine, si elle pouvait me donner ce dont j’ai besoin. L’Autorité palestinienne n’en est pas capable. Cela ne veut pas dire que j’aime Israël mais il me donne une sécurité sociale et j’en ai besoin pour ma fille qui a des problèmes cardiaques”.
Même constat pour son collègue Ashraf, qui a demandé la citoyenneté israélienne dans les années 90, pour “faciliter son travail”. Ses allers-retours journaliers à Ramallah et dans les collines de la Cisjordanie ne lui donnent pas envie de prendre, un jour, la citoyenneté palestinienne: “Les gens là-bas sont plus pauvres qu’à Jérusalem. Ils ne reçoivent aucune aide. Vu les sommes que l’Autorité palestinienne reçoit de l’étranger, les habitants devraient être millionnaires”, souligne-t-il d’un ton ironique, “Mais c’est loin d’être le cas, le pouvoir ne redistribue rien”.
Pour certains, cette lassitude pourrait déboucher sur un mouvement populaire à l’image de la Tunisie. Mais pour l’analyste politique Mahdi Abdoul Hadi, le soulèvement palestinien post-PaliLeaks n’est pas pour demain: “À Jénine et Naplouse, la population est choquée par les révélations d’Al-Jazira qui montrent les énormes faiblesses de l’Autorité palestinienne. Mais à Ramallah, le pouvoir tient la rue d’une main de fer. La culture de la peur est encore bien ancrée”, explique-t-il.
Risque de soulèvement anti-Abbas ou non, tout le monde est d’accord sur un point: les documents secrets d’Al-Jazira sonnent, en tout cas, le glas des négociations.
“C’est la dernière torpille en direction d’un processus moribond depuis longtemps. Il a perdu le peu de crédibilité qu’il lui restait. On referme le dossier et on passe à autre chose.”
Mahdi Abdoul Hadi, analyste politiqueLien