mercredi 1 septembre 2010

Mitri Ghounam : « Quand vous aurez terminé votre mur, vous m’aurez achevé »

mardi 31 août 2010 - 12h:48
Stop the Wall
L’occupant essaie de faire de son pays, une terre « sans peuple », et des centaines de milliers de Palestiniens sont assujettis à des conditions de vie insupportables et poussés à des « déplacements volontaires ».
(JPG)
On ne peut accéder à la terre de Mitri Ghounam que par une porte en fer et une route clôturée. La maison est enfermée sur trois côtés, soit par un mur de béton soit par une clôture métallique. De l’autre côté de la clôture, un chantier de construction. Bien que les engins soient silencieux aujourd’hui, les travaux s’arrêtant pour le week-end, il est facile d’imaginer le vacarme qu’ils doivent produire le reste de la semaine.
Mitri est assis contre un pied de vigne, il nous accueille avec un verre de limonade et de l’eau, un secours par cette très chaude journée. Derrière lui, une statue de la Vierge Marie qui surplombe une fontaine, et au-dessus de sa maison familiale, saint Georges tuant le serpent.
Mitri Ghounam, qu’on appelle affectueusement Abu Michael (le père de Michael), a 64 ans, il a deux fils et deux filles. L’un de ses fils, avec sa famille, vit ici avec Mitri et son épouse, dans cette enceinte clôturée.
Mitri est né à Jaffa en 1946. Deux années plus tard, pendant la guerre de 1948, sa famille est expulsée par les forces israéliennes et doit se réfugier à Beit Jala, village voisin de Bethléhem. C’est là que Mitri va à l’école, qu’il grandit. Au printemps 1967, Mitri se marie, à Beit Jala. C’est pendant son voyage de noces en Jordanie que la guerre de 1967 éclate et qu’Israël occupe la Cisjordanie. Pendant cette guerre, Israël ferme la plus grande partie des frontières, et Mitri et son épouse ne peuvent rentrer. Malgré plusieurs tentatives pour que la Croix-Rouge les aide à rentrer chez eux, ce n’est qu’en 1979 que la municipalité de Beit Jala leur prête main forte pour revenir grâce à la réunification familiale. A ce moment-là, Mitgri est déjà devenu un papa.
Mitri, actuellement sans emploi, a été peintre et chauffeur de taxi. Il élève alors sa famille avec de maigres ressources. Ce qu’il gagne est épargné et va à l’achat d’un terrain et à la construction de cette maison, à la périphérie de Beit Jala. Mitri travaille dur pour entretenir la terre, planter des oliviers, des amandiers, et construire un four en argile. Il avait fait autrefois un terrain de jeux pour ses enfants. Bien qu’avec de faibles revenus, il était déterminé à offrir un havre à sa famille.
(JPG)
Mitri Ghounam près du mur qui emprisonne sa maison.
Là où Mitri aimait marcher, devant sa maison, pour regarder ses arbres et l’aire de jeux, il est aujourd’hui face à un mur de béton, un mur qui s’est monté petit à petit tout près de sa maison et sur sa terre. En 1992, l’armée israélienne commence par saisir sa terre pour construire un tunnel et une route qui vient de Jérusalem pour les colonies illégales en Cisjordanie (la route n° 60). Après 1992, elle confisque d’autres terres pour construire un mur autour du tunnel, pour le « protéger ». En tout, 2 200 dunums (220 hectares) de sa terre sont confisqués et détruits. Mitri voit les arbres qu’il a plantés et le havre qu’il a créé, rasés aux bulldozers et saccagés. Quelques-uns de ses arbres sont encore là, près du mur, tailladés et malades, lui rappelant ses rêves lors de leur plantation.
Quand le mur de béton sera complètement terminé, il aura 6 mètres de hauteur et éclipsera la maison de Mitri. Du mur, qui s’élève maintenant à moitié, environ 3 mètres, ressortent des tiges de métal, n’importe comment, se dressant sur le dessus ou s’écartant sur les côtés. A proximité du mur, la terre est saccagée, avec des trous et des ornières qui suscitent beaucoup d’inquiétude à cause des petites-filles de Mitri qui jouent dehors.
Non seulement sa maison si paisible, à la périphérie de Beit Jala, est maintenant couverte par le bruit de la route toute proche, mais les ouvriers de la construction qui montent le mur sont en train d’enfermer la maison de sa famille.
La vie privée qu’autrefois il aimait tant a disparu avec les ouvriers et les soldats israéliens qui envahissent sa cour et sa terre, parfois jusqu’à 9 h du soir. Mitri s’inquiète constamment à cause de cet environnement dans lequel ses quatre petites-filles grandissent.
Mitri a trimé pour subvenir aux besoins de sa famille, tout cela pour se voir dépossédé aujourd’hui des résultats de son labeur acharné. Les conséquences n’en sont pas seulement financières, mais aussi psychologiques. La pression forte qui pèse sur lui pour nourrir sa famille, plus son impuissance devant la destruction de sa terre, sous ses yeux, font que Mitri doit régulièrement aller consulter un psychiatre. Il a même été hospitalisé. La destruction de sa terre le détruit lui aussi. C’est pour cela que Mitri a dit à l’un des soldats israéliens, « Quand vous aurez terminé votre mur, vous m’aurez achevé ».
Mitri se tourmente toujours pour l’avenir de sa famille. C’est pour cette raison qu’il a fait une demande pour aller vivre en Australie. L’occupant essaie de faire de son pays, une terre « sans peuple », et des centaines de milliers de Palestiniens sont assujettis à des conditions de vie insupportables et poussés à des « déplacements volontaires ». Enervé et découragé, Mitri nous regarde, « Est-ce que j’avais un autre choix ? ».
En dépit d’une situation désespérée, il semble que Mitri ne soit pas toujours prêt à capituler, face au nettoyage ethnique que l’occupant israélien veut lui imposer, pour la deuxième fois dans sa vie. Mitri agit toujours sur les petites choses. Il plante des arbres, il a l’espoir d’obtenir une route bitumée, il essaie toujours de faire de sa maison, un havre pour sa famille.
25 août 2010 - Voix de la communauté - Campagne populaire contre le mur d’apartheid - Stop the Wall - traduction : JPP
Lien