Daniel Vanhove
Quels que soient les effets d’annonces la plupart du temps surmédiatisés, le conflit israélo-palestinien ne pourra jamais être résolu sur les bases actuelles pour plusieurs raisons, dont l’une me paraît majeure et que je voudrais clarifier de façon à ce qu’elle soit bien comprise par tous ceux qui s’y intéressent, de près comme de loin.
Sous l’oeil attentif d’Obama, Abbas - le sourire un peu crispé - serre avec complaisance la louche à Netanyahu, criminel multirécidiviste notoire et geôlier du peuple palestinien
Cette raison en est que toutes les approches qui l’abordent pour y trouver une éventuelle solution en oublient un élément essentiel : l’injustice originelle. L’injustice fondamentale qui a prévalu à l’établissement du jeune Etat israélien en terres arabes, au lendemain de la guerre essentiellement européenne de 1945.
Gommer, ne pas prendre en compte ou sous-estimer la mauvaise conscience européenne - toujours d’actualité, même si au fil du temps, elle s’amenuise auprès des nouvelles générations - dans l’abord de ce conflit biaise toute analyse sérieuse du problème. Il faut rappeler qu’il y a eu un consensus entre les pays qui avaient gagné cette terrible guerre - environ 65 millions ( !) de victimes civiles et militaires - pour accorder au projet sioniste, une terre où pourraient se réfugier la communauté juive, tellement pourchassée et exterminée en l’Europe si chrétienne de l’époque...
A ce jour, nul n’ignore que les pays européens ont bien du mal à s’accorder sur cet épineux conflit, tant certains d’entre eux - dont l’Allemagne en premier lieu - restent traumatisés par leur propre passé vis-à-vis de la communauté juive. Leur demander plus de sévérité à l’égard de la politique israélienne leur est un exercice périlleux, non exempt de remontées douloureuses d’un passé encore récent, et rapidement requalifié d’antisémitisme par certains, trop contents de pouvoir jouer-là leur joker préféré...
L’Histoire n’a de sens que celle que les Hommes lui donnent. Et à distance de ces évènements datant de plus de 60 ans, comment comprendre cette partition de la Palestine, sans se rappeler au préalable qu’elle s’est faite sur le dos des premiers concernés, les Palestiniens, absents de cet odieux marchandage ? Les puissances coloniales de l’époque en ont décidé comme toujours, selon leurs propres intérêts et n’ont tenu aucun compte des Palestiniens qu’ils spoliaient ainsi impunément. Certes, ce n’est pas la première fois qu’un tel vol de territoires s’opère sur le dos des autochtones. Les exemples en cette matière sont innombrables.
Mais c’est sans doute le dernier en date qui soit si bien relayé médiatiquement et ne peut donc être passé sous silence, comme dans le cas du pire génocide probable : celui des Amérindiens que les colons européens - encore eux ! - sont allés exterminer et chasser de chez eux pour s’approprier leurs immenses étendues. Pas étonnant dès lors, que nombre d’Américains et de Canadiens soutiennent le projet sioniste, étant eux-mêmes les actuels héritiers d’un vol de terres qui ne leur appartenaient pas. Sans compter l’influence majeure des lobbies pro-israéliens, œuvrant en coulisses pour conforter cette injustice flagrante. Avec en toile de fond, les incessants rappels pseudo-religieux de l’affaire. Et c’est sans aucun doute, la modernité des moyens de communication qui permet aujourd’hui de revenir sur ces évènements que plus personne ne peut ignorer : la partition de la Palestine s’est faite sans l’accord de ses habitants de l’époque, évalués à plus d’un million d’âmes.
Ainsi, s’entêter dans des pourparlers de paix entre deux gouvernements dont l’un sait pertinemment qu’il a volé l’autre, et dont l’autre sait la spoliation dont il fait toujours l’objet, est tout simplement impossible à réaliser. Il y a là un préjudice fondamental qui n’est jamais rappelé mais qui n’en reste pas moins flagrant et toujours vif dans la mémoire collective du peuple palestinien. De la même manière qu’est toujours vive la mémoire de la communauté juive ayant vécu les atrocités des camps d’extermination. Raison pour laquelle d’ailleurs, refuser aux réfugiés palestiniens leur droit au retour, s’ils le désiraient, est sans fondement. Ainsi, toutes les injustices constatées depuis cette partition de la Palestine historique, ne sont que la résultante de cette injustice originelle, constitutive de l’Etat israélien d’aujourd’hui.
De la même manière, tous les acteurs de la question qui aimeraient voir aboutir la paix en cet endroit du monde, se trompent dans leur démarche s’ils intègrent à la base cette injustice comme étant irréversible. Parler de paix - quel que soit le qualificatif que l’on tente de lui donner pour mieux faire passer la pilule aux responsables israéliens dont on ne connaît que trop bien les objectifs funestes - sans remettre en cause la partition de départ est se faire, consciemment ou non, complice de cette injustice première. Il convient donc de regarder cet évènement de l’époque, sans se sentir obligé de l’intégrer comme nombre de nos prédécesseurs semblent l’avoir fait avec d’autant plus de facilité que cela leur donnait l’impression de se dédouaner ainsi de leurs méfaits à l’égard des juifs.
Oui, mais alors quoi, me direz-vous ? La paix serait-elle définitivement hors de portée selon cette première injustice ? Non, mais si l’on veut vraiment être honnête et impartial, la seule question à poser en priorité à l’ensemble des Palestiniens - et pas uniquement à ceux qui seraient les plus « modérés » selon nos critères - est de savoir :
s’ils acceptent le règlement final de notre guerre européenne par l’établissement d’une communauté juive sur leurs terres ;
dans l’affirmative à cette première question, savoir comment ils l’envisagent : deux Etats strictement indépendants ou un Etat binational ;
et dès lors, en partenariat avec eux, établir les dommages et intérêts que la politique menée tout au long de ces années leur a occasionnés, et exiger de ceux qui l’ont soutenue de s’engager à en assumer les frais, tant pour le passé que pour la reconstruction globale ;
dans le cas d’une réponse négative à la première question, réunir l’ensemble de la Communauté internationale à travers les instances de l’ONU - et non uniquement un « quartet » dont on connaît la partialité des membres - pour reposer le problème sur de nouvelles bases, en n’imposant rien à quiconque mais en travaillant à trouver d’autres pistes si la communauté juive tient envers et contre tout à l’établissement d’un Etat « juif » en un endroit de la planète - nous verrons bien alors, quels Etats proposeront une part de leur territoire pour la réalisation de ce « divin » projet...
L’intérêt d’une telle démarche est qu’elle remettrait les compteurs à zéro - ou presque - et permettrait à chaque intervenant dans ce conflit de se positionner clairement, en premier lieu desquels les Palestiniens qui ne se verraient plus « imposer » une solution, mais seraient les premiers concernés à dire si oui ou non ils acceptent la cohabitation. Cela me semble le moins que l’on puisse faire vis-à-vis de ce peuple afin qu’il retrouve sa dignité et se relève de l’humiliation dans laquelle il a été traîné depuis si longtemps. Et si la solution s’oriente vers un Etat binational - celle de deux Etats distincts n’étant raisonnablement plus réalisable sur le terrain - les juifs désireux de rester en Palestine seraient les bienvenus comme ils l’étaient auparavant, le sont dans quantité d’autres pays, et comme le sont les chrétiens, les bouddhistes, les agnostiques ou les athées, etc... dans une société qui était un exemple en pays arabe pour la séparation entre l’appareil d’Etat qui doit rester laïc et les convictions personnelles de ses citoyens. Sans compter qu’enfin, une telle solution rétablirait la normalisation probable avec les pays avoisinant de la région.
Par ailleurs, nonobstant une décision israélienne purement « formelle » de prolonger le moratoire au sujet de la colonisation, au nom de la sauvegarde de pourparlers actuels directs avec M. Abbas, il conviendrait pour être honnête de ne pas se voiler le visage et de voir bien en face que dans les faits, la colonisation n’a jamais cessé. Il faut dire et redire, que c’est encore et toujours une histoire de dupes. Comme toutes celles que tente de nous faire avaler le gouvernement sioniste, alimentées et retransmises en cela par nos médias complices.
En d’autres mots, au-delà du fait de dénoncer cette énième supercherie des autorités de Tel-Aviv, il faut bien constater une chose, grave d’entre toutes : le bébé occidental porté sur les fonds baptismaux après la 2è guerre mondiale dans le but d’expiation des crimes commis à l’encontre de la communauté juive d’Europe a mal grandi, et il présente aujourd’hui tous les signes de crises d’une adolescence qui tourne mal et que ses parents ne parviennent plus à contrôler. Pourquoi ? Interrogez donc les pédagogues qui tous, vous diront qu’un enfant à qui l’on ne signale pas ses limites, perd toute mesure. Et n’a plus conscience de ses marques, de ses repères. Ou, dit encore autrement : Israël aujourd’hui, échappe à tout contrôle ! Nul ne parvient plus à lui faire entendre raison, même l’oncle Sam. Et il y a donc le risque que seule la méthode forte le ramène dans les normes acceptables, à savoir celles du Droit identique pour tous.
Quelles « méthodes fortes », me direz-vous, déjà suspicieux d’entendre des relents de discours belliqueux ? Si l’on exclut tout recours à la violence à l’encontre d’Israël, après nous avoir martelés depuis plusieurs années que le marché fait loi, la seule méthode qui soit, est la privation de ses moyens financiers. Dans la « globalisation » actuelle, et avec un budget démentiel consacré à sa « Défense », il est temps d’oser l’arme de la dissuasion via la privation des soutiens divers et particulièrement ceux des versements financiers astronomiques que cet Etat d’apartheid reçoit chaque année de nos « démocraties » éclairées au premier rang desquelles les USA. La campagne de Boycott, Sanctions et Désinvestissements (BDS) est donc plus que jamais d’actualité, et devrait franchir un échelon supplémentaire par la suppression immédiate de toute aide financière à l’entité coloniale qui ne respecte rien d’autre que ses propres objectifs.
Tant que nous ne prendrons aucune mesure de cet ordre, les différents gouvernements israéliens qui se succèdent continueront d’appliquer ce que nous ne pouvons que constater après des années de discussions vaines et stériles : le vol des terres palestiniennes et l’asphyxie lente et programmée de sa population. Avec Gaza en exemple abject de ce dont cet Etat est capable.
Mais encore une fois, pour en arriver à une véritable solution, au lieu d’intégrer « d’emblée » les paramètres actuels, il nous faut reconnaître en priorité, l’injustice flagrante du départ, commise à l’encontre du peuple palestinien. Tant que nous n’aurons pas pu reconnaître cette faute-là, toute tentative vers un quelconque accord sera illusoire et d’office promise à un nouvel échec.
* Daniel Vanhove est Observateur civil et membre du Mouvement Citoyen Palestine
Il a publié aux Ed. Marco Pietteur - coll. Oser Dire :
27 septembre 2010 - Communiqué par l’auteur