vendredi 13 août 2010

« Un jour, une Intifada bédouine éclatera »

publié le jeudi 12 août 2010

Serge Dumont

 
Le hameau d’Al-Arakib, dans le désert du Néguev, a a été rasé mardi pour la troisième fois. La politique de sédentarisation par Israël est un échec
Il faut s’armer de patience pour trouver Al-Arakib. Car ce village bédouin situé un peu au nord de Beer-Sheva, la « capitale du désert du Néguev », n’est pas reconnu par l’Etat hébreu et il ne figure pas sur les cartes. Pourtant, le 27 juillet dernier, 1250 policiers accompagnés de 12 bulldozers ont envahi ce hameau et l’ont rasé en moins d’une heure. Depuis lors, ses habitants reviennent quotidiennement sur place et assemblent à la hâte des baraquements qui sont aussitôt détruits par des forces de l’ordre stationnant en permanence dans les environs.
Mardi, Al-Arakib a donc été démoli pour la troisième fois en moins de deux semaines, mais les habitants ont d’ores et déjà promis de le reconstruire. « On nous expulse de nos terres ancestrales juste avant le ramadan, mais nous ne partirons pas d’ici. Nous n’acceptons pas d’être traités comme des chiens », fulmine Awad Abou Farikh, le porte-parole des habitants.
Une forêt sur les ruines
En attendant, le territoire d’Al-Arakib ressemble à un champ de bataille sablonneux. Les ruines des 45 habitations détruites sont dispersées au gré du vent. Quelques boîtes métalliques rouillées traînent ici où là. « Un jour, une Intifada bédouine éclatera. Les juifs vont payer pour ce qu’ils nous font », jure Awad, un ouvrier qui campe à l’endroit où il résidait avant l’« attaque » et dont les yeux brillent de frustration.
De fait, ces dernières heures, quelques plantations appartenant à des kibboutzim voisins ont été saccagées et plusieurs véhicules incendiés. Principalement visés, les camions du Fonds national juif (KKL), une organisation qui récolte de l’argent auprès des communautés juives de la diaspora pour « reverdir le désert » et qui promet de planter une forêt sur les ruines d’Al-Arakib. Mais une partie de l’espace dégagé abritera également des installations militaires. A long terme, quelques hectares devraient également accueillir certains des colons de Cisjordanie évacués dans le cadre d’un accord de paix avec l’Autorité palestinienne.
« Nous avons perdu nos terres au terme de onze ans de procédure judiciaire parce que les tribunaux israéliens exigeaient des actes de propriété écrits alors que notre patrimoine se transmet selon la tradition orale. Face à une administration hostile, notre parole ne valait donc rien », soupire un ancien du village, un cheikh qui promet de « déclencher une guerre d’indépendance bédouine ».
Depuis le début des années 1950, de nombreux Bédouins se sont engagés volontairement dans l’armée israélienne. Au début, ils servaient d’éclaireurs. Plus récemment, ils constituaient certaines des unités d’élite qui ont participé à la deuxième guerre du Liban (2006) et même à l’opération « Plomb durci », l’invasion de la bande de Gaza où nombre d’entre eux ont pourtant de la famille. A en croire notre interlocuteur, cette période bénie est terminée. « Nos jeunes n’ont plus envie d’aller se faire tuer pour un pays qui leur crache au visage », dit-il.
Grosso modo, la moitié des 200 000 Bédouins d’Israël vit dans les villages non reconnus. La plupart de ces hameaux sans électricité ni égouts ni eau courante se trouvent dans le désert du Néguev. Certes, depuis le début des années 1970, l’Etat hébreu tente d’attirer leurs habitants dans des villes de développement, mais cette politique ne porte pas ses fruits. En témoigne, la cité de Rahat qui passe pour l’exemple le plus achevé de cette politique de sédentarisation et où le niveau de délinquance est le plus élevé de l’Etat hébreu. Quant au chômage, il y atteint 38,7% contre 8% dans le reste du pays.
« Poussés à l’extrémisme »
En tout cas, c’est au nom de la politique de sédentarisation que les autorités israéliennes ignorent les villages fantômes. En 2005, le tribunal de Beer-Sheva a ainsi débouté une famille bédouine qui demandait l’autorisation de raccorder son taudis au réseau électrique national. Agée de 3 ans, la fille des plaignants souffrait d’un cancer et son état nécessitait l’utilisation permanente d’appareils médicaux électriques. Mais cet argument n’a pas ému les juges et les Bédouins ont été déboutés. Leur fille est morte quelques mois plus tard.
Depuis lors, plusieurs décisions judiciaires semblables ont été rendues. Au moins dix villages non reconnus ont également été rasés. « Il est difficile de comprendre pourquoi Israël pousse une partie de ces citoyens vers l’extrémisme et le crime, écrivait le quotidien Haaretz à propos des événements d’Al-Arakib. Les Bédouins ne méritent pas cela. »