Mercredi 30 Juin 2010
Les sionistes ont deux points communs avec les antisémites: le premier est l'assimilation du sionisme au judaïsme. Ce qui sépare principalement sionistes et antisémites, c'est que ces derniers affublent le judaïsme et ses adhérents de toutes sortes d'autres turpitudes inscrites dans ce qu'ils considèrent comme la "race" juive. Cette conception du judaïsme comme autre chose qu'une religion est justement l'autre point commun entre sionistes et antisémites.
S'il est évident que le judaïsme entretient une relation avec le sionisme, il serait erroné de concevoir cette relation comme nécessaire et elle n'est qu'une des virtualités à laquelle des circonstances politiques particulières, celles des 19ème et 20ème siècles européens, ont permis de prendre corps.
Ce caractère non nécessaire et contingent du lien entre judaïsme et sionisme est clairement démontré par le caractère récent de l'époque qui a vu naître et se développer le sionisme politique. Il est également démontré par le scepticisme voire la franche hostilité rencontrée initialement par le sionisme dans de nombreuses communautés juives. L'opposition juive au sionisme se manifeste dès les origines de ce mouvement politique à visée étatique, traduisant ainsi le sentiment de nombreux Juifs surtout en Occident, au point d'en freiner l'implantation.
Les choses ont certes changé, surtout grâce ou à cause de la seconde guerre mondiale et à la politique de l'Allemagne nazie envers les Juifs. Cependant l'opposition au sionisme reste encore présente dans le judaïsme. On a souvent parlé des Juifs ultra orthodoxes de Naturei Karta, mais cette organisation n'est pas la seule à affirmer une opposition au sionisme d'un point de vue religieux. C'est également le cas des Juifs de Satmar, d'autres ultra orthodoxes qui sont tout de même autre chose qu'un groupuscule marginal.
Le New York Times nous présente de son côté une autre mouvance juive antisioniste incarnée par l'American Council for Judaïsm. Une présentation qui donne l'occasion à ce journal de rappeler que l'opposition au sionisme était quelque chose de tout à fait commun dans les organisations juives d'Outre Atlantique, jusqu'aux années 1940 qui ont vu le sionisme l'emporter.
Si Samuel G. Freedman nous parle de ce Council tout à fait anecdotique sur le plan de ses effectifs d'adhérents, c'est simplement à titre de témoin d'une époque de l'histoire idéologique juive très différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. Et aussi, parce que comme le perçoivent les observateurs, si des Juifs ne se sont jamais intéressés vraiment à l'entité sioniste, les agressions commises par l'entité sioniste, dont la récente attaque contre la flottille pour Gaza, amènent de plus en plus de juifs aux USA à s'interroger voire à se détourner du sionisme. L'histoire ne se répète pas, dit-on, et si le Council for American Judaïsm n'a pas forcément un bel avenir en tant qu'organisation, tout ou partie des idées qu'il incarne sont de plus en plus d'actualité.
par SAMUEL G. FREEDMAN, New York Times (USA) 25 juin 2010 traduit de l'anglais par Djazaïri
Un jour, il y a près de vingt ans, Stephen Naman se préparait à assister le rabbin de son temple du juif réformé à transférer la congrégation dans de nouveaux locaux. M. Naman n'avait qu'une seule requête: Le rabbin pouvait-il cesser de disposer le drapeau israélien sur l'autel?
"Nous n'allons pas à la synagogue pour prier un drapeau," se souvient avoir dit M. Naman, 63 ans, lors d'une récente interview par téléphone.
"Nous n'allons pas à la synagogue pour prier un drapeau," se souvient avoir dit M. Naman, 63 ans, lors d'une récente interview par téléphone.
Ce rabbin avait accepté la requête. Donc, après avoir été muté six ou sept ans plus tard en Caroline du Nord et avoir rejoint un temple là-bas, M. Naman avait demandé au rabbin de retirer le drapeau israélien. Cette fois, la réaction fut plus prévisible.
"Le rabbin dit que ce serait terrible," raconte M. Naman, un cadre en retraite d'une société de papeterie qui réside maintenant près de Jacksonville en Floride, "et qu'il serait gêné d'être le rabbin d'une telle congrégation."
Aussi choquante que puisse paraître l'insistance de M. Naman à séparer Israël du judaïsme, elle correspond en réalité à une tendance cohérente à l'intérieur du débat juif. Qu'on l'appelle antisionisme ou non sionisme - tous ces termes sont contestés et chargés- la volonté de séparer l'Etat juif de l'identité juive a des racines séculaires.
Ces 68 dernières années, cette position a été la plate forme officielle de l'organisation dont M. Naman est le président, l'American Council for Judaïsm. Et si l'instauration de l'Etat d'Israël et sa centralité pour les Juifs Américains a marginalisé cette organisation des décennies durant, les vives critiques d'Israël qui se développent en ce moment chez nombre de Juifs Américains ont donné un caractère significatif, voire prophétique, à l'organisation de M. Naman.
Ce n'est pas que les adhésions affluent à l'American Council. La liste de diffusion électronique de l'organisation atteint à peine le millier de contacts, et son site web a reçu seulement 10 000 visiteurs uniques l'an dernier. Son budget n'est que de 55 000 dollars. Comme M. Naman l'admet, l'histoire d'opposition au sionisme de son organisation la rend "radio active" même pour des organisations juives américaines progressistes comme J Street et Peace Now.
Pourtant, les arguments que l'American Council for Judaïsm a soulevé avec constance contre le sionisme et Israël sont revenus au premier plan ces dix dernières années, avec l'effondrement du processus de paix d'Oslo, les guerres d'Israël au Liban et à Gaza et, plus récemment, l'attaque meurtrière contre une flottille qui tentait de briser le blocus naval sur le régime du Hamas. Il n'est pas nécessaire d'être d'accord avec toutes les positions de l'American Council pour reconnaître que, pour une certaine faction [sic] des Juifs Américains, elles sont redevenues au goût du jour.
"Mon sentiment est qu'ils pensent que les événements démontrent qu'ils avaient toujours eu raison," explique par téléphone Jonathan D. Sama, historien à l'université Brandeis et auteur d'un livre important, "American Judaïsm." "Tout ce qu'ils avaient prophétisé- la double loyauté, la malfaisance du nationalisme - est devenu réalité.
"Je serais surpris si beaucoup de gens passaient à l'ACJ en tant qu'organisation à cause de sa réputation," poursuit-il. "Mais il est certain que si l'holocauste a mis en avant les problèmes de la vie juive dans la diaspora, ces dernières années ont mis en lumière le fait que le sionisme n'est pas une panacée."
M. Naman a grandi dans une famille du Texas profondément impliquée dans l'organisation et, en conséquence, a vécu toutes les évolutions du pendule politique.
"Nous étions ostracisés et calomniés," dit-il. "Mais nous sentions alors, et nous sentons encore aujourd'hui, que nos positions sont crédibles. Elles ont été justifiées et confortées par ce qui s'est passé."
Sur ce point, et c'est un euphémisme, il y a désaccord. Si les sionistes Américains qui s'opposent à l'occupation de la Cisjordanie sont flétris de critiques par la partie conservatrice de la communauté juive américaine, qui a tendu à dominer les principales organisations communautaires et de lobbying, les ennemis convaincus du sionisme de l'American Council suscitent la rage et l'indignation.
Cependant, le rejet de Sion remonte à la Torah elle même, avec son récit des Hébreux se rebellant contre Moïse pendant le trajet vers la terre Promise et réclamant de rentrer en Egypte. Avant la création du mouvement sioniste moderne par Théodore Herzl au début du 20ème siècle, l'injonction biblique au retour en Israël était généralement perçue dans un sens théologique plutôt que comme une instruction concrète.
Avant l'holocauste, la plupart des dirigeants juifs orthodoxes rejetaient le sionisme, affirmant que l'exil était une punition divine et qu'Israël ne pourrait être restaurée qu'avec l'évènement du messie. Le mouvement réformé soutenait que le judaïsme était une religion, pas une nationalité.
Avant l'holocauste, la plupart des dirigeants juifs orthodoxes rejetaient le sionisme, affirmant que l'exil était une punition divine et qu'Israël ne pourrait être restaurée qu'avec l'évènement du messie. Le mouvement réformé soutenait que le judaïsme était une religion, pas une nationalité.
"Ce pays est notre Palestine," déclarait un rabbin réformé à Charleston (Caroline du sud) en 1841, "cette ville est notre Jérusalem, cette maison de Dieu notre temple." La plateforme de 1885 du mouvement réformé renvoyait le "retour en Palestine" au niveau d'e celui des reliques comme le sacrifice animal.
C'est seulement quand les dirigeants de la Réforme, à la veille de la seconde guerre mondiale, révisèrent leur position que la faction antisioniste fit scission, pour finalement former l'American Council for Judaïsm en 1942. Son discours était à la fois idéaliste et méprisant - une formation proposée en 1952 présentait le sionisme comme raciste, auto-ségrégé et anti-américain - et il fut une époque où l'American Council se flattait d'avoir des dirigeants comme Lessing J. Rosenwald, héritier de la fortune Sears, et 14 000 adhérents.
Si les guerres de 1967 et 1973 poussèrent le Council vers l'obsolescence, les guerres controversées d'Israël depuis l'an 2000 l'ont fait sortir de la tombe. On peut entendre des échos de ses positions chez Tony Judt, l'historien qui a lancé un appel à un Etat binational en Palestine; chez Tony Kushner, dont le scénario pour le film "Munich" présentait l'Amérique comme la véritable patrie d'un Israélien; chez Michael Chabon, dont le roman "The Yiddish Policeman's Union" parodiait le sionisme; et dans le désengagement vis-à-vis d'Israël qui se fait jour chez une partie des jeunes Juifs non orthodoxes, tel Peter Beinart remarqué récemment pour un essai dans The New York Review of Books.
Si les guerres de 1967 et 1973 poussèrent le Council vers l'obsolescence, les guerres controversées d'Israël depuis l'an 2000 l'ont fait sortir de la tombe. On peut entendre des échos de ses positions chez Tony Judt, l'historien qui a lancé un appel à un Etat binational en Palestine; chez Tony Kushner, dont le scénario pour le film "Munich" présentait l'Amérique comme la véritable patrie d'un Israélien; chez Michael Chabon, dont le roman "The Yiddish Policeman's Union" parodiait le sionisme; et dans le désengagement vis-à-vis d'Israël qui se fait jour chez une partie des jeunes Juifs non orthodoxes, tel Peter Beinart remarqué récemment pour un essai dans The New York Review of Books.
La vérité des chiffres, qui ne fait donc pas débat, est que seule une infime proportion des Juifs Américains a rejeté l'exil ici pour émigrer en Israël.
"Je pense que nous représentons une majorité silencieuse," déclare Allan C. Brownfeld, membre de longue date du Council et rédacteur en chef de ses publications, Issues et Special Interest Report. "Nous sommes Américains par la nationalité et Juifs par la religion. Et si nous souhaitons le bien d'Israël, nous ne la voyons pas comme notre patrie."