entretien avec Robert Malley
Ex-conseiller du président Bill Clinton, Robert Malley estime qu’ignorer le Hamas est une grave erreur. Il salue l’approche de la Suisse et pointe du doigt non seulement Israël, mais aussi les Etats-Unis, l’Europe et les pays arabes.
Lundi (28 juin), la commission instituée par Israël pour examiner les questions juridiques du raid israélien, le 31 mai dernier, sur une flottille humanitaire se dirigeant vers Gaza a commencé ses travaux. Mais la tragédie continue de provoquer des remous. Ex-conseiller du président Bill Clinton pour le Moyen-Orient et actuel directeur pour le Proche-Orient de l’International Crisis Group, Robert Malley sera présent mercredi à Genève pour parler de la situation de Gaza [1]. Il analyse les raisons des blocages politiques dans la région.
Le Temps : Comment réagissez-vous au raid israélien sur les flottilles se dirigeant vers Gaza ?
Robert Malley : D’un point de vue opérationnel, les Israéliens n’auraient jamais dû agir ainsi. Cet événement est triste et tragique. Mais l’important, c’est moins ces flottilles que le siège de Gaza. C’est toute la politique menée par rapport à la bande de Gaza qui doit être revue. On peut évacuer la question du Hamas, se concentrer sur la Cisjordanie et penser qu’un accord de paix avec elle permettra de changer le Hamas. C’est un réflexe compréhensible. Mais l’Histoire nous montre que c’est un leurre. D’un point de vue moral et humanitaire, il est inconcevable de punir la population civile de Gaza parce qu’on veut punir ses dirigeants. Gaza n’est pas un problème humanitaire, c’est un problème politique qui nécessite des décisions politiques. La politique menée jusqu’ici est dans l’impasse. Il serait toutefois facile d’en faire porter la responsabilité à Israël seul. Elle est le résultat de l’attitude de plusieurs acteurs, Etats-Unis, Europe et pays arabes compris. C’est l’échec moral, humanitaire et politique du traitement de la question de Gaza qui devrait faire l’objet d’une commission d’enquête !
Que faire avec le Hamas ?
– Dans ce dossier, la Suisse joue un rôle pilote. Elle pose les bonnes questions et suggère des réponses. On peut évacuer le problème, mais il resurgira toujours. Soyons clairs : malgré l’embargo, le Hamas s’est renforcé et des roquettes sont toujours livrées à Gaza. La politique du Hamas à Gaza est peut-être moins populaire, mais ce dernier contrôle toujours militairement le territoire. Le blocus le renforce et asphyxie la population. Comme le propose la Suisse, le dialogue avec le Hamas est difficile, il relève d’un processus à long terme, mais il est nécessaire. Des questions de fonds dans la politique du Hamas dérangent, mais il en va de même avec certains Etats occidentaux.
Hormis le dialogue, quelles sont vos pistes pour sortir de l’impasse ?
– Il faut commencer par arrêter de croire que si les Gazaouis vivent mieux, le Hamas sera renforcé et l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas affaiblie. Il faut que les Gazaouis puissent commercer, exporter, reconstruire des maisons à grande échelle. Ils doivent pouvoir entrer et sortir de la bande de Gaza comme bon leur semble. Il faut aborder le développement du secteur agricole et la question de l’approvisionnement d’électricité. Il faut, en bref, penser en termes de développement. Qu’on le veuille ou non, le Hamas vit dans la bande de Gaza et la domine. Israël a allégé récemment le blocus. Mais ce n’est pas en augmentant la quantité de chocolat pouvant être transportée à Gaza qu’on va changer les choses. Gaza a besoin d’une vraie économie.
Comment traiter avec le Hamas et poursuivre les discussions avec le Fatah ?
– Déchiré, le mouvement national palestinien n’aboutira à rien s’il n’y a pas de réconciliation intrapalestinienne. L’Afrique du Sud ou l’Irlande l’ont montré : il faut pour cela que des concessions soient faites sur des questions fondamentales.
La politique américaine à l’égard d’Israël a-t-elle vraiment changé avec Barack Obama ?
– Historiquement, militairement et culturellement, les liens entre les deux pays sont assez solides pour résister à des tempêtes. S’il y a crise, il n’y a pas rupture. Mais après 16 ans de relations extrêmement étroites entre Israël et les Etats-Unis sous l’ère de Bill Clinton et de George W. Bush, les choses ont changé. Les troupes américaines dans la région réalisent à quel point le conflit israélo-palestinien est une plaie béante qui diminue sensiblement la capacité américaine d’agir. L’administration Obama a des intérêts divers au Moyen-Orient. Et on peut être sûr que les tensions entre Jérusalem et Washington vont perdurer ces prochaines années par rapport à l’Iran, au processus de paix et à la non-prolifération nucléaire.
Certains avancent que la paix avec un gouvernement israélien qu’on n’a jamais dit aussi à droite est impossible.
– C’est oublier l’Histoire. On a eu des gouvernements de gauche et de droite, on a eu le gouvernement Olmert qui a livré deux guerres qui n’auraient jamais dû avoir lieu. La nostalgie est mauvaise conseillère. Il faut être clair : le processus de paix n’a abouti à rien quel que soit le gouvernement. Le processus d’Oslo avait un défaut fondamental : il n’a pas mis l’accent sur la question des colonies.
[1] « L’Occident et Gaza : quels artisans pour quelle paix ? » Débat avec Robert Malley organisé par le Festival du film et forum international sur les droits humains. Alhambra, Genève, mercredi 30 juin, 20h.