Michel Chossudovsky
L’attaque du 31 mai est une suite de l’opération « Plomb durci » lancée à la fin décembre 2008. Elle a pour but de renforcer le statut de prison urbaine de facto de Gaza. L’opération « Plomb durci » relevait d’une intervention du renseignement militaire plus vaste, amorcée au début du gouvernement d’Ariel Sharon en 2001.
Le criminel de guerre et premier ministre Benyamin Netanyahou, qui a directement ordonné l’assaut contre la flottille internationale en direction de Gaza, était en visite officielle au Canada au moment de l’attaque israélienne.
Cette attaque constitue un acte de piraterie en violation de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
Le geste de M. Netanyahou, ayant eu pour résultat 19 décès et jusqu’à 60 blessés, constitue un acte criminel commis en eaux internationales (BBC News - Deaths as Israeli forces storm Gaza aid ship). Par une cruelle ironie du sort, M. Netanyahou s’est engagé dans une déclaration récente à faire la paix avec la Palestine : « Nous voulons aller le plus rapidement possible vers des discussions directes puisque le genre de problème que nous avons avec les Palestiniens peut être résolu pacifiquement et seulement si nous nous assoyons ensemble. » Plusieurs personnalités éminentes, ainsi que certains auteurs et partenaires du Centre de recherche sur la mondialisation étaient à bord des bateaux.
L’attaque du 31 mai est une suite de l’opération « Plomb durci » lancée à la fin décembre 2008. Elle a pour but de renforcer le statut de prison urbaine de facto de Gaza. L’opération « Plomb durci » relevait d’une intervention du renseignement militaire plus vaste, amorcée au début du gouvernement d’Ariel Sharon en 2001. C’est sous l’opération « Vengeance justifiée » de M. Sharon que des avions de combat F-16 ont été initialement utilisés pour bombarder des villes palestiniennes. L’assaut contre la Flottille de la liberté participe de la logique voulant transformer Gaza en camp de concentration urbain. L’opération « Vengeance justifiée » a été présentée en juillet 2001 au gouvernement israélien d’Ariel Sharon par le chef d’état-major de l’IDF, Shaul Mofaz, sous le titre « La destruction de l’Autorité palestinienne et le désarmement de toutes les forces armées ». On faisait également référence à cette opération sous le nom de « Plan Dagan », d’après le nom du général à la retraite Meir Dagan, actuellement chef du Mossad, le service de renseignements israélien. (Voir Ellis Shulman, Operation Justified Vengeance, A Secret to Destroy the Palestinian Authority, Global Research, 2002) Meir Dagan, en coordination avec ses homologues des États-Unis, avait été chargé de diverses opérations de renseignement militaire. Il convient de noter que lorsqu’il était un jeune colonel, Meir Dagan a travaillé étroitement avec Ariel Sharon, alors ministre de la Défense, aux raids sur les camps de réfugiés palestiniens à Beyrouth en 1982.
L’invasion terrestre de Gaza en 2009, à maints égards, ressemble étonnamment à l’opération militaire de 1982 menée par MM. Sharon et Dagan.
À titre de chef du renseignement israélien, M. Dagan a, sans aucun doute, aussi pris part à la décision de lancer l’attaque contre la Flottille de la liberté.
La décision a-t-elle été prise en consultation avec Washington ?
Le 26 mai, l’Armée israélienne (IDF ou Tsahal) a confirmé qu’elle confronterait la Flottille de la liberté en eaux internationales, en faisant allusion à la présence d’éléments terroristes à bord des bateaux :
La Marine a procédé à un exercice de préparation militaire comprenant l’interception de bateaux et l’arrestation de passagers.
Le major-général Eliezer Marom, commandant de la Marine, a mentionné que ses forces utiliseront des mesures pour protéger la vie des soldats et s’assurer qu’il n’y a pas d’éléments terroristes ni d’explosifs à bord des bateaux.
Le major Marom a dit avoir donné l’ordre aux forces d’agir de manière sensible et d’éviter les provocations, en ajoutant que l’IDF n’avait pas l’intention de blesser les centaines de passagers à bord de ces embarcations. (Israel’s Military Command Says Will Stop Flotilla, but Transfer Supplies to Gaza)
Il convient de noter qu’avant cette annonce, l’IDF a lancé une campagne de relations publiques décrivant la flottille comme un « acte provocateur » :
Le chef de la mission de liaison et de coordination pour l’enclave palestinienne, le colonel Moshe Levi, a convoqué une conférence de presse et affirmé qu’il n’y avait pas de pénurie de nourriture ni de marchandises dans la Bande de Gaza.
« La flottille devant se rendre à Gaza est un acte provocateur et inutile dans les conditions actuelles de la Bande Gaza, où la situation humanitaire est bonne et stable », a-t-il affirmé, ajoutant qu’Israël permet que bien des produits soient introduits dans la Bande et restreint seulement l’accès de ceux qui pourraient servir à faire avancer les activités terroristes du Hamas. (Ibid)
Washington était entièrement au fait de la nature ainsi que des conséquences probables de l’opération navale de l’IDF dans des eaux internationales, incluant le meurtre de civils. Des indications portent à croire que la décision a été prise en consultation avec Washington.
Le rôle de Rahm Emmanuel
Rahm Emanuel, le chef de cabinet d’Obama à la Maison-Blanche, était en Israël la semaine avant le lancement du raid contre la Flottille de la liberté.
Même s’il s’agissait d’une visite privé, Rahm Emanuel a rencontré le premier ministre Benyamin Netanyahou lors de discussions de haut niveau le 26 mai. M. Emanuel a également rencontré le président Shimon Peres le 27 mai. La Maison-Blanche a décrit la réunion du 26 mai avec M. Netanyahou comme « une discussion informelle sur un éventail de questions relatives à la relation bilatérale entre les États-Unis et Israël ».
De plus, le même jour (26 mai), l’IDF a confirmé le déclenchement d’une opération militaire visant la Flottille de la liberté. Le 26 mai, Rahm Emanuel a aussi invité M. Netanyahou à rencontrer le président Obama au début juin, après sa visite officielle prévue au Canada. Aux dernières nouvelles, M. Netanyahou avait annulé son voyage aux États-Unis et retournait à Tel Aviv.
Le vaste programme militaire
Il faut comprendre que le raid contre la flottille coïncidait aussi avec les jeux de guerre de l’OTAN et d’Israël dirigés contre l’Iran. Selon le Sunday Times, « trois sous-marins israéliens fabriqués en Allemagne et équipés de missiles de croisière nucléaires seront déployés dans le Golfe, près des côtes iraniennes ». (Israel Deploys Three Nuclear Cruise Missile-Armed Subs Along Iranian Coastline). Le reportage présente tacitement Israël comme une victime plutôt que comme l’auteur d’une menace militaire.
« Le centre israélien d’affaires et de la défense demeure la ville la plus menacée du monde », a affirmé un expert. « Il y a plus de missiles par pied carré ciblant Tel Aviv que tout autre ville », a-t-il ajouté.
[...] Le premier [sous-marin] a été envoyé en réaction aux craintes israéliennes que des missiles balistiques développés par l’Iran, la Syrie et le Hezbollah, une organisation politique et militaire au Liban, frappent des sites en Israël, dont des bases aériennes et des lance-missiles.
Les sous-marins de la Flottille 7— Dolphin, Tekuma et Leviathan — ont visité le Golfe auparavant. Toutefois, la décision a maintenant été prise d’assurer une présence permanente d’au moins un des vaisseaux.
Le commandant de la flottille, identifié seulement sous le nom de « Colonel O », a déclaré à un journal israélien : « Nous sommes une force d’assaut sous-marine. Nous opérons en profondeur et loin, très loin de nos frontières. »
[...] Le déploiement est conçu pour dissuader, recueillir des renseignements et potentiellement pour implanter des agents du Mossad. « Nous constituons une base solide pour la collecte d’informations sensibles, puisque nous pouvons demeurer au même endroit pour une longue période », a admis un officier de la flottille.
Les sous-marins pourraient être utilisés si l’Iran poursuit son programme visant à produire une bombe nucléaire. « La portée de 1,500 km des missiles de croisière des sous-marins peut atteindre n’importe quelle cible en Iran », a avoué un officier de la marine.
Répondant apparemment aux activités israéliennes, un amiral iranien a déclaré : « Quiconque désire poser un geste diabolique dans le golfe Persique aura droit à une très forte réaction de notre part. »
Le besoin urgent qu’a Israël de dissuader l’alliance Iran-Syrie-Hezbollah a été démontré le mois dernier. Ehoud Barak, le ministre de la Défense, aurait montré au président Barack Obama des images satellites classifiées d’un convoi de missiles balistiques quittant la Syrie, se rendant au Liban et destiné au Hezbollah. (C’est l’auteur qui souligne)
Alors que ces déploiements navals étaient en cours dans le golfe Persique, Israël était également impliqué dans un jeu de guerre sur la Méditerranée. Le jeu, nom de code « MINOAS 2010 », s’est déroulé sur une base aérienne grecque dans la baie de La Sude sur l’île de Crète.
Par ailleurs, dans la foulée de la décision prise sous les auspices du TNP et visant les armes nucléaires israéliennes, la Maison-Blanche a réaffirmé son soutien non seulement à Israël, mais aussi à son potentiel nucléaire. La déclaration publiée un jour avant le raid sur la flottille indique l’appui des États-Unis envers « les capacités stratégiques et de dissuasion », incluant le lancement d’une attaque préemptive contre l’Iran :
« [U]ne source politique de haut rang à Jérusalem a signalé dimanche que le président des États-Unis, Barack Obama, avait garanti à Israël que son pays maintiendrait et améliorerait les capacités stratégiques et de dissuasion de l’État hébreux.
Selon cette source, « M. Obama a donné des garanties sans équivoques [au premier ministre Benyamin] Netanyahou, dont une amélioration substantielle des relations entre les États-Unis et Israël ».
M. Obama a promis qu’aucune décision prise durant la récente conférence des 189 pays visant à revoir et renforcer le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires « ne permettrait de nuire aux intérêts vitaux d’Israël », a affirmé la source. Obama promised to bolster Israel’s strategic capabilities, Jerusalem officials say - Haaretz Daily Newspaper)
La présence du chef de cabinet de M. Obama à Tel Aviv, a indubitablement joué un rôle dans le choix du moment de cette déclaration du dimanche 30 mai et de l’attaque concomitante contre la Flottille de la liberté. L’administration Obama avait donné le feu vert aux raids fatals en eaux internationales.
Le meurtre de civils non armés relevait du mandat du commando naval israélien. Il faisait partie intégrante de la logique de l’opération « Vengeance justifiée » de Dagan, laquelle présente Israël comme la victime plutôt que l’auteur du crime et utilise les morts des civils « d’un côté comme de l’autre » afin de justifier un processus d’escalade militaire.
Le geste de l’IDF a déclenché une vague d’indignation à travers le Moyen-Orient. Il provoquera sans doute également une réaction des forces de résistance palestiniennes, incluant de possibles attentats-suicides en Israël, lesquels pourraient ensuite être utilisés par Israël comme prétexte et justification au lancement d’une opération militaire plus vaste.
Dans les reportages des médias occidentaux on dit que l’Iran est un supporter du Hamas et que la Flottille de la liberté est soutenue tacitement par une alliance Hamas-Iran. Les réalités sont sens dessus dessous. Israël est la victime. Dans les mots de Benyamin Netanyahou : « Nos soldats devaient se défendre pour défendre leur vie. » Toujours dans ses mots, lors d’une conférence de presse à Ottawa :
« Les soldats ont abordé le navire pour vérifier si des roquettes, des missiles ou des explosifs qui seraient utilisées pour attaquer Israël étaient en direction de Gaza », a-t-il annoncé. « Ils ont été assaillis, matraqués, ils ont été battus, poignardés, on rapporte même qu’il y a eu des coups de feu et nos soldats devaient se défendre, défendre leur vie sinon ils auraient été tués » a-t-il soutenu lundi durant une visite avec le premier ministre Stephen Harper.
M. Netanyahou a ajouté : « Malheureusement, lors de l’affrontement au moins dix personnes sont mortes. Nous regrettons cette perte de vie. Nous regrettons toute la violence qui s’est produite là-bas. Je voudrais souhaiter un prompt rétablissement à tous les blessés, incluant quatre de nos propres soldats. » (Quoted in the Toronto Star, May 31, 2010) (C’est l’auteur qui souligne)
Entre-temps, un porte-parole de la Maison-Blanche a confirmé que les États-Unis « regrettent profondément la perte de vie et les blessures subies ». Toutefois, l’action israélienne n’a pas été condamnée par l’administration Obama : Celle-ci « tente actuellement de comprendre les circonstances entourant cette tragédie ». (Voir The Associated Press : Obama administration concerned about Gaza incident)
Article original en anglais : "Operation Justified Vengeance" : Israeli Strike on Freedom Flotilla to Gaza is Part of a Broader Military Agenda, publié le 31 mai 2010.
publié le 14 juin par Mondialisation
Traduction : Julie Lévesque pour Mondialisation.ca.
Pour plus de détails sur les opérations « Plomb durci » et « Vengeance justifiée », voir L’invasion de Gaza : L’opération « Plomb durci » fait partie d’une vaste opération des renseignements militaires israéliens, publié le 27 janvier 2009.
Michel Chossudovsky est directeur du Centre de recherche sur la mondialisation et professeur d’économie à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de Guerre et mondialisation, La vérité derrière le 11 septembre et de la Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial (best-seller international publié en 12 langues).