Mazin Qumsiyeh
Au début du mois, alors que des bulldozers israéliens essayaient de raser des oliveraies dans le village palestinien oublié d’Al-Walaja, beaucoup de pensées ont traversé mon esprit. À un moment donné, ce que j’ai pu faire de mieux devant un jeune soldat déterminé à exécuter l’ordre cruel qu’il avait reçu, à été de m’exclamer "Pourquoi tu fais ça ? honte sur toi ! Plus qu’une honte, c’est une calamité."
Des ordres qui ne sont pas contestés menacent de normaliser l’apartheid en Cisjordanie. Pendant que le monde regarde et parle d’« entretiens de proximité », nous sommes relégués dans des bantoustans toujours plus étriqués et nous sommes soumis au système de lois abusif qui favorise les colons juifs tout en discriminant les Palestiniens.
Pour les gens d’Al-Walaja, qui vivent dans des collines idylliques à l’ouest de Bethléem, la reprise des pourparlers israélo-palestiniens a peu d’importance alors que des bulldozers israéliens envahissent leurs oliveraies. L’expansion israélienne violente de 1948 a expulsé les villageois de la plupart de leurs terres et maintenant Israël veut prendre le reste.
Ce mois-ci, alors que nous commémorons la Nakba - catastrophe de l’épuration ethnique de la Palestine - les habitants de Walaja s’accrochent au peu de terres qui leur restent. Ils voient la Cisjordanie et Jérusalem-Est criblées de 250 colonies hébergeant plus de 450 000 colons juifs.
A cause de l’expansion envahissante pratiquée par le gouvernement israélien, toute solution à deux États est impossible. Qui aura le pouvoir de forcer ces colonisateurs modernes à respecter le droit international et à quitter leurs colonies illégales ? Il n’est pas surprenant que les entretiens entre le gouvernement le plus à droite dans l’histoire d’Israël et le leadership palestinien le plus faible et le plus divisé de l’histoire ne feront pas progresser le droit international ou les droits humains. On fera passer les bantoustans palestiniens pour un État avec la bénédiction des USA.
Rejetant l’apartheid imposé par Israël, beaucoup nous ont rejoints pour préconiser une société multiethnique, multireligieuse, dotée d’une constitution et d’une charte des droits. Les quelque trois décennies que j’ai passées aux USA - dont une bonne partie dans le sud où une telle égalité avait été autrefois jugée impossible - renforce ma détermination à défier les militaires israéliens qui s’emparent des terres palestiniennes et à insister pour un État reconnaissant l’égalité des droits pour tous.
Israël veut les terres de Cisjordanie, mais sans ses habitants ; ce programme a été établi il y a des décennies afin de maximiser l’étendue géographique et de minimiser la population palestinienne. Comme il serait difficile de recommencer l’épuration ethnique dans sa version de 1948, les planificateurs israéliens la réalisent sous d’autres formes : construction de colonies sur des terres confisquées, démolition de maisons et construction d’un mur encerclant la partie bâtie des villages afin de priver la population de son accès aux terres qui leur restent et de détruire l’économie locale. Le message transmis aux villageois est que c’est Israël qui contrôle, que les Palestiniens n’ont plus rien à dire et doivent partir.
Au lieu de cela, nous avons résisté. Physiquement faibles, mais stimulés par notre sens de la justice et le droit international, nous avons employé les méthodes de Gandhi pour ralentir leurs chantiers et souligner l’injustice de leurs actes. Une fois que j’étais en détention, j’ai passé de longues heures en interrogatoires, en conversations avec des soldats, et en attente. J’ai tiré ma force du mouvement des droits civils des années 1960 et de ma propre expérience quand je travaillais contre l’apartheid sud-africain. Les paroles d’Henry David Thoreau, de Martin Luther King Jr, de Dorothy Day, du Mahatma Gandhi, de Desmond Tutu, et d’AbdelGafar Khan me revenaient à l’esprit.
J’ai également tiré ma force de ceux qui avaient été arrêtés avec moi, tant chrétiens que musulmans. Deux jeunes frères d’Al-Walaja qui avaient reçu des jets de poivre, des coups de batte et même un coup de crosse ne manifestaient pourtant aucune amertume. Ils parlaient avec des soldats et essayaient de les convaincre. Ils leur demandaient : "Que feriez-vous si quelqu’un déracinait un arbre que vos grands-parents avaient planté et dont votre vie dépend ?" Les jeunes soldats n’avaient pas grand-chose à répondre.
Pour ces soldats ce fut une révélation que d’apprendre qu’il y a sept millions de réfugiés et de Palestiniens déplacés qui aspirent à rentrer chez eux. Ce fut pour eux une révélation que d’apprendre que le droit international interdit l’expropriation des terres et l’installation de colons en territoire occupé (y compris à Jérusalem-Est).
Nous ne pouvons pas toucher tous les soldats, mais la désobéissance civile fonctionne. Une campagne non violente de boycott, désinvestissement, et sanctions prend corps malgré une forte opposition. Notre succès déclenche une violence haineuse contre des manifestants pacifiques de la part d’un gouvernement israélien de plus en plus isolé.
Nous sommes disposés à payer le prix de la résistance populaire. Pourtant, il est consternant que le gouvernement étasunien donne un appui écrasant à un État qui adhère aux idéologies racistes depuis longtemps discréditées par le mouvement US des droits civils et de lutte anti-apartheid. Une gouvernance basée sur une supériorité ethnique ou religieuse ne devrait pas avoir de place au XXIe siècle.
Un gouvernement qui intentionnellement et méthodiquement nous exclut parce que nous sommes chrétiens et musulmans dans une terre maintenant contrôlée par "un État juif" ne devrait pas recevoir des milliards de dollars des contribuables américains. L’administration Obama dit qu’elle veut la paix pour faire avancer les intérêts nationaux américains. Si cette rhétorique doit entraîner un changement par rapport aux administrations précédentes, nous devons tous insister pour qu’il soit mis fin aux discriminations. Aucune paix durable n’est possible sans justice pour les Palestiniens déplacés et victimes de discrimination à Al-Walaja et d’ailleurs.
Mazin Qumsiyeh, PhD, est l’auteur du livre « Sharing the Land of Canaan : Human Rights and the Israeli-Palestinian Struggle " et de "Popular Resistance in Palestine : A History of Hope and Empowerment" à paraître prochainement.
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Traduction : Anne-Marie Goossens