samedi 13 mars 2010

« Le territoire d’un éventuel État palestinien s’amenuise progressivement »

publié le samedi 13 mars 2010
entretien avec Denis Bauchard

 
Denis Bauchard de l’IFRI revient sur le fiasco de la visite du vice-président Joe Biden au Proche-Orient.
Torpillées en quelques heures. Les négociations israélo-palestiniennes indirectes, qui reprenaient mardi après 15 mois d’impasse - depuis la guerre à Gaza début 2009 -, semblent déjà condamnées à l’échec.
Les dirigeants palestiniens ont annoncé qu’ils ne retourneraient pas à la table des négociations sans l’annulation du projet israélien de construction de 1.600 logements à Jérusalem-est. Les « regrets » exprimés par Benjamin Netanyahu jeudi au vice-président américain Joe Biden n’y changeront rien.
Le Premier ministre israélien a beau parler d’une annonce « malheureuse », on estime côté palestinien qu’il s’agit bien d’une « erreur de fond », et pas seulement de « calendrier ». Le différend était pourtant largement prévisible.
En novembre, Israël annonçait la « suspension temporaire » pour dix mois de la délivrance des permis de construire dans la seule Cisjordanie. Un apparent geste de bonne volonté. Mais dans le même temps, Netanyahu excluait toute suspension de la colonisation dans la partie orientale de Jérusalem, annexée par Israël après la guerre de 1967.
Denis Bauchard, conseiller spécial à l’Ifri, revient sur les conséquences du voyage de Joe Biden au Proche-Orient.
L’échec des négociations indirectes entre Israéliens et Palestiniens était-il prévisible ?
Oui, malgré l’importance des interlocuteurs envoyés sur place : Hillary Clinton, le sénateur Mitchell, et Joe Biden. Ils se sont à chaque fois heurtés à l’intransigeance des autorités israéliennes sur les colonies de peuplement. Lors de son discours du 14 juin 2009, Benjamin Netanyahu avait déjà expliqué être prêt à suspendre la construction de nouvelles colonies sauf s’il s’agit de « croissance naturelle » ou de colonies se trouvant dans l’agglomération du grand Jérusalem. C’est une position constante chez lui. Il est également très ferme sur le caractère « éternel et indivisible » de Jérusalem alors que les Palestiniens demandent que Jérusalem, ville sainte du monde musulman, soit également capitale du futur Etat.
Malgré les excuses présentées par Netanyahu à Biden, il s’agit bien d’un revers pour la diplomatie américaine...
L’annonce de la construction de 1600 nouveaux logements à Jérusalem-est au premier jour du voyage de Biden a été considéré comme un camouflet. Les excuses sont intervenues pour éviter de se brouiller frontalement avec l’allié américain. Mais cela montre bien que l’affaiblissement de Barack Obama sur la scène politique intérieure a des effets sur le plan extérieur. Les moyens de pression américains sur Israël existent pourtant : aide financière, militaire, vote au conseil de sécurité de l’ONU etc.
Mais il faut avoir la volonté politique de les mettre en œuvre. Pour des raisons de politique intérieure, l’administration américaine n’est pas prête à le faire. Aux Etats-Unis, il existe pourtant de plus en plus de gens au sein de la communauté juive — je pense au mouvement de juifs libéraux « J-Street » — qui désapprouvent la politique de Netanyahu et tentent d’obtenir un assouplissement de la politique israélienne.
Le gouvernement Netanyahu semble camper sur une ligne dure. Pour quelles raisons ?
Depuis une décennie, les gouvernements de coalition israéliens sont très fragiles, donc faibles, compte tenu de l’influence excessive des petits partis extrémistes, notamment religieux comme le Shass, dont les voix sont nécessaires pour la formation des gouvernements. C’était vrai du gouvernement Olmert, c’est encore plus vrai avec celui de Netanyahu. Outre cette radicalisation côté israélien, on assiste à une radicalisation de l’opinion publique palestinienne. Cela peut provoquer très rapidement tensions et affrontements, comme on l’a vu après la décision de Netanyahu d’inclure des lieux saints de Cisjordanie occupée au patrimoine national israélien.
La situation apparaît de plus en plus bloquée dans la région...
La solution des deux États semble de moins en moins possible comme l’a laissé entendre encore récemment Saëb Erekat, le négociateur palestinien. Les points de vue sont très éloignés, et la situation sur le terrain évolue dans un mauvais sens pour les Palestiniens. Les colonies de peuplement continuent de se construire et provoquent une fragmentation de plus en plus grande de la Cisjordanie, déjà amputée d’environ 10% de son territoire par le mur de séparation. Le territoire d’un éventuel Etat palestinien s’amenuise progressivement, mettant en cause son caractère viable, voire sa possibilité.
réalisé par Sylvain MOUILLARD