As’ad AbuKhalil - Al Jazeera
          Les dirigeants arabes se réunissent actuellement en Libye pour  un sommet rituel tenu presque chaque année depuis la fin de la seconde  guerre mondiale.         
Mahmoud Abbas, chef de l’Autorité de  Ramallah, au dernier sommet arabe - Photo : Gallo/Getty
Bien que la Ligue des États arabes (aussi communément  appelée la Ligue arabe) a été créée en 1945, il a fallu attendre 1964  pour que les États membres se soient réunis pour la première fois au  siège du Caire pour discuter de la menace israélienne sur les ressources  en eau.
Les dirigeants arabes s’étaient retrouvés de façon  unanime pour étudier le danger représenté par les plans israéliens  visant à détourner les eaux du Jourdain. Le plan établi au sommet a été  aussi efficace que les plans militaires arabes ultérieurs pour faire  face à la menace israélienne...
La Ligue arabe a été fondée à l’instigation des  Britanniques, de même que le Conseil de Coopération du Golfe a été fondé  sous l’impulsion des États-Unis. Il ne faut pas imaginer que ces  puissances extérieures fassent pression pour l’unité arabe, en fait,  c’est tout le contraire qui s’est produit.
Les puissances occidentales ont toujours été hostiles à   tous les efforts pour l’unité arabe, en particulier quand Gamal Abdel  Nasser, l’ancien président égyptien, était le symbole des pouvoirs  arabes nationalistes. Mais les occidentaux ont favorisé des alliances  régionales qui privilégiaient la sécurité occidentale et leurs objectifs  politiques.
La Ligue arabe a représenté un compromis entre les  attentes populaires arabes pour une entité arabe plus forte sur le plan  politique, et les préoccupations des Britanniques face au nationalisme  émergeant. Les sommets arabes n’ont pas réussi à capter  l’attention du public arabe depuis la défaite de la Jordanie, de la  Syrie et de l’Égypte face à Israël en juin 1967. Avant cette date, les  Arabes avaient espéré que leurs dirigeants sauraient planifier et  appliquer une opération militaire sérieuse pour vaincre Israël et  libérer la Palestine.
Grandes promesses
Avant l’occupation par Israël de la Palestine en 1948,  les journaux arabes avaient coutume d’envoyer leurs meilleurs  correspondants pour couvrir les réunions pan-arabistes. Les articles de  l’époque étaient remplis de références à des plans solides our vaincre  le sionisme, sans même tolérer que l’Etat juif soit créé.
Les discours étaient fougueux et les promesses  grandioses. Les dirigeants arabes ont même signé entre eux un pacte  militaire. Le mot clé était « unis ». Les dirigeants arabes étaient  censés coordonner leurs initiatives politiques, diplomatiques et  militaires, surtout quand il s’agissait d’affronter le sionisme et de  venir en aide aux Palestiniens.
Bien évidemment, la première guerre en 1948 a été une  expérience humiliante pour les Arabes, et un coup dévastateur pour les  aspirations palestiniennes. Le pacte militaire n’a pas donné grand’chose : la désorganisation des  troupes arabes entrées en Palestine pour empêcher l’état hébreu  d’occuper la Palestine a souvent entraîné des tirs « amicaux » entre  elles.
En fin de compte, les régimes qui avaient envoyé les  armées arabes en 1948 ont été renversés (sauf en Jordanie). De nouveaux  gouvernements arabes sont arrivés au pouvoir en Syrie, en Irak, en  Egypte, puis au Soudan et en Libye. Les nouveaux régimes utilisaient le  vocabulaire du nationalisme arabe et promettaient une solution rapide à  l’occupation de terres arabes.
Amin Hafiz, le président syrien en 1963, affirma avoir  un projet crédible qui réglerait la question d’Israël en trois jours.  Nasser, il faut le dire à son actif, a été plus prudent et a souligné  que la planification de la libération de la Palestine nécessitera des  années d’une préparation précise.
Mais lui aussi était mal préparé et il a pris des  décisions fatidiques (par exemple être entraîné dans la guerre au Yémen,  ou avoir nommé Abdul-Hakim Amir, notoirement incompétent, comme  commandant des forces égyptiennes, puis s’être laissé entraîner en 1967  par la Jordanie et la Syrie dans des risques mal calculés qui ont  entraîné la défaite finale).
Douche froide
Les Arabes en général faisaient des distinctions  influencées par la rhétorique politique de Nasser entre « les régimes  arabes progressistes » et « les régimes arabes réactionnaires » - les  « queues des puissances coloniales », comme Nasser les appelaient.
Cette distinction a été enterrée en Juin 1967 lors de la Guerre des Six Jours, un tournant dans  l’histoire arabe. Tous les espoirs placés sur Nasser et l’idéologie  socialiste baasiste ont été déçus. On peut affirmer que les sommets  arabes n’ont plus eu d’importance après ce jour, au moins en ce qui  concerne les peuples arabes.
Nasser participa au sommet arabe de Khartoum en 1967  mais c’était un homme brisé, et il lui fallait compter sur l’aide de  l’Arabie Saoudite et des autres états arabes pour reconstruire ses  armées.
Pour les populations arabes, il n’était plus pertinent  de faire une distinction entre les deux camps dans la politique arabe.  Tous les deux avaient échoué à tenir leurs promesses.
Les dirigeants arabes ont continué à se réunir en  sommets irrégulièrement tenus. Mais plus personne n’y prêtait attention.  Personne ne s’attendait à ce que des dirigeants arabes résistent à  Israël lorsque celui-ci a envahi le Liban en 1982, ou quand il  a attaqué Gaza en Décembre 2008, ou quand il a attaqué le Liban en  2006, ou lorsque les États-Unis ont à deux reprises attaqué l’Irak.
Les dirigeants arabes se réunissent aujourd’hui pour une  foule de raisons qui n’ont rien à voir avec les aspirations des peuples  arabes ou les rêves d’unité.Ils se réunissent d’abord et  avant tout pour avoir l’honneur d’accueillir le sommet à la place d’un  autre.
Chaque année, un chef d’Etat arabe joue à accueillir le  sommet. Qui lui apportera un certain degré de prestige formel. Le  dirigeant de ce pays reçoit plus de visiteurs et dignitaires que  d’habitude et il est visible sur la chaîne de télévision d’Etat,  recevant les chefs d’Etat et des représentants d’organisations  internationales.
Donner l’impression d’être affairés
Ensuite, fréquemment les dirigeants arabes se réunissent  afin d’appliquer les diktats américains.
Hosni Mubarak, le président égyptien, a organisé à  la hâte une réunion de la Ligue arabe au Caire à l’été 1990 en vue de  prévenir qu’un consensus arabe puisse se développer pour résoudre la  crise créée par l’invasion irakienne du Koweït, car les États-Unis  poursuivaient leurs propres objectifs qui étaient d’expulser l’armée de  Saddam et de déployer leur puissance dans la région.
Le sommet arabe de Beyrouth en 2002 a été aussi une  tentative (en grande partie par l’Arabie saoudite, mais aussi par les  gouvernements d’autres pays arabes) de parer à la colère de  l’administration Bush dans la foulée des attentats du 11 Septembre.
Les dirigeants arabes ont une autre raison de se  rencontrer. Ils aiment donner l’impression de s’affairer, qu’ils  s’occupent des problèmes des peuples. Mais à un certain niveau, ils sont  bien conscients que personne ne leur prête attention.
Les dirigeants arabes font toujours de longues  déclarations fleuries mais qui ne sont lues par personne. Ce n’est plus  l’époque de Nasser. C’est l’époque du vieillissement des dirigeants  arabes (ou leurs fils), qui manquent de charisme et de popularité.
C’est l’ère de la domination américaine au Moyen-Orient  où il est laissé peu de place aux dirigeants arabes pour manoeuvrer.
Les sommets arabes ont été capables d’au moins quelques  surprises rhétoriques. « Les trois Non » de Khartoum (pas de paix avec  Israël, non à la reconnaissance, et non à la négociation) en 1967 sont  les plus célèbres, mais nous savons maintenant que les gouvernements qui   avaient officiellement approuvé cette formulation négociaient déjà  secrètement avec les Israéliens.
Le gouvernement américain appui maintenant un couvercle  très serré sur les régimes qu’elle contrôle. Quand le roi Abdallah, le  monarque saoudien, traitait l’occupation américaine en Irak comme  « illégitime » lors de son discours d’ouverture  à l’occasion du sommet  arabe de Riyad en 2007, une crise diplomatique s’en est suivie et le roi  n’a plus jamais utilisé cette expression depuis.
Les peuples arabes sont désormais habitués à ces  rassemblements d’où sortent de longs documents insipides que personne  (sauf les traducteurs dans les ambassades étrangères) ne lit réellement.
Entre regarder des séries télévisées syriennes ou  turques, et suivre le déroulement des sommets arabes, les peuples arabes  usent de la télécommande. Le temps est révolu où ils étaient soumis à  un contrôle étatique qui les assommaient, à travers une chaîne unique de  télévision, avec les discours et les visites des « chers dirigeants  arabes ».
As’ad AbuKhalil
* As’ad AbuKhalil est  professeur en sciences politiques à la « California State University,  Stanislas », et auteur du blog Angry Arab
http://english.aljazeera.net/focus/...Traduction  de l’anglais : Nazem
 
 
