Hmida Ben Romdhane
Dans une précédente chronique publiée au lendemain du discours de Barack Obama au Caire, le 4 juin 2009, nous avons écrit ceci :« Par sa bonne foi évidente qui tranche avec la mauvaise foi de son prédécesseur, par sa vaste culture et sa connaissance substantielle de l’Islam qui tranchent avec la pitoyable ignorance de son prédécesseur, par son évidente impartialité dans le dossier israélo-palestinien qui tranche avec la partialité de son prédécesseur, par son analyse rationnelle des questions irakienne et afghane qui tranche avec les fanfaronnades désastreuses de son prédécesseur, Barack Obama a incontestablement réussi à donner une autre image de l’Amérique, une image positive. »
Cinq mois et demi plus tard, nous nous rendons compte que nous étions allés assez vite en besogne et que nous avions tiré des conclusions hâtives sur la base d’un simple discours. Il faut dire que pour les millions d’Arabes et de Musulmans, le discours du Caire, tant au niveau du ton que du contenu, a constitué une nouveauté si attrayante et si enthousiasmante que la parole d’Obama était prise pour argent comptant. On était si enchanté de l’écouter que, consciemment ou inconsciemment, on ne voulait pas gâcher la fête par des questions du genre :« Appliquera-t-il ce beau discours du Caire dans la pratique politique et diplomatique de l’Etat fédéral américain ? »
Force est de constater que la promesse d’une solution juste au Moyen-Orient et le ton conciliant envers l’Iran, pour ne prendre que ces deux exemples, ont été des paroles en l’air. Pour être clair, il faut insister sur le fait qu’on ne remet pas en cause ici la bonne foi de Barack Obama. Il pensait ce qu’il disait au Caire et on n’avait aucune raison de douter de sa détermination à faire quelque chose pour le sempiternel conflit israélo-arabe et à mettre un terme aux trois décennies de relations orageuses avec l’Iran.
Seulement la bonne foi sans un pouvoir réel de décision est insuffisante, et le Président américain est le premier à en faire l’expérience. Sans doute Obama n’a pas que les questions palestinienne et iranienne en tête. Il a deux guerres sur les bras, une crise économique qui continue à faire des ravages dans le secteur vital de l’emploi, des défis sérieux en Extrême-Orient avec une Chine de plus en plus puissante et un Japon de moins en moins conciliant, etc.
Mais, avec le peu de temps qu’il a passé à tenter de changer les choses au Moyen-Orient, il a dû se rendre à l’évidence que les clés ne se trouvent pas à la Maison-Blanche et que celle-ci n’a pas le pouvoir de faire ce qu’elle veut au niveau des dossiers complexes de cette région troublée. Il est bien évident que si ça ne tenait qu’à la Maison-Blanche, le conflit israélo-arabe aurait été résolu depuis longtemps, car toutes les administrations qui se sont succédé pendant les quatre dernières décennies ont essayé de pousser vers une solution. Mais toutes ont buté contre un mur infranchissable érigé par un puissant Lobby qui, jusqu’à ce jour, noyaute le Congrès et le Main Stream Media de manière à ce que les intérêts d’Israël passent avant ceux des Etats-Unis. Ce noyautage est tel que le représentant démocrate Howard Berman n’hésite pas à déclarer :« Je suis sioniste avant d’être démocrate ». Et il n’est pas le seul membre du Congrès à faire passer les intérêts d’Israël avant ceux de son propre pays.
Plusieurs présidents américains, qu’on croyait être les hommes les plus puissants de la terre, n’ont pas caché leur frustration face à l’arrogance et à l’intransigeance d’Israël. George Bush père était souvent exaspéré par Yitzhak Shamir au cours de son mandat sans qu’il pût lui imposer quoi que ce soit. Bill Clinton était sorti de ses gonds après une rencontre avec Benyamin Netanyahu. S’adressant à ses conseillers, l’ancien président avait explosé :« Mais pour qui diable se prend-il ce type ? Croit-il que c’est Israël qui est la superpuissance ? ». Le dernier président à ruminer sa frustration, même s’il n’a encore rien dit, c’est Obama. Après avoir engagé un bras de fer avec Netanyahu, après avoir tenu bon pendant deux ou trois semaines sur la question du gel de la colonisation, l’actuel Président américain choisit plutôt de faire profil bas. Mais le pouvoir fortement réduit de la Maison-Blanche ne se limite pas à la seule question palestinienne.
On a toutes les raisons de croire que l’administration Obama n’a pu se donner les moyens d’appliquer sa propre politique à l’Iran. A ce niveau, on est en effet loin du discours du Caire dans lequel le chef de l’exécutif américain parlait de la grande civilisation persane, du grand peuple iranien et de son droit au nucléaire civil, de la responsabilité américaine dans le renversement du régime démocratique de Mohamed Mosaddeq et de la main tendue de l’Amérique. Obama parlait avec un enthousiasme tel de sa détermination à normaliser les relations entre Téhéran et Washington que tout le monde croyait que cette normalisation allait se concrétiser dans les jours qui suivent.
Cinq mois et demi après le discours du Caire, la tension est plus vive encore entre les Etats-Unis et l’Iran et les tambours de la guerre, après s’être tus pendant quelque temps, se font de plus en plus bruyants. Si au Congrès et dans les médias, nul ne s’étonne que l’on parle avec « émotion » de la « menace iranienne », et que l’on pousse avec frénésie vers « l’intensification des sanctions » contre l’Iran, on est pour le moins interloqué par le changement de ton soudain du côté de l’exécutif. Mme Clinton prévient que « les Etats-Unis n’attendront pas indéfiniment », et le chef d’état major, Michael Mullen, qui qualifie encore l’Iran de « menace existentielle contre Israël », estime qu’il est préférable d’arriver à une solution diplomatique sur le nucléaire iranien, mais en cas d’échec, l’US Air Force et la Navy devraient entrer en action…
Etrange démocratie américaine où le président élu renonce si promptement à appliquer une politique dans l’intérêt de son pays et baisse si facilement les bras face à un Lobby qui continue obstinément et méthodiquement à faire passer les intérêts d’un pays étranger avant ceux des Etats-Unis d’Amérique.
publié par la Presse, Tunisie