samedi 21 novembre 2009

Imposer le Droit et non la guerre

vendredi 20 novembre 2009 - 06h:27

Graham Usher - Al Ahram Weekly

Sur 575 pages - et basé sur 188 interviews, 300 comptes-rendus, 30 vidéos et 1200 photographies - l’accablant rapport Goldstone met à jour une belle preuve que l’objectif d’Israël à Gaza n’était pas seulement de tuer des militants, mais de « punir, humilier et terroriser » collectivement une population civile désarmée et captive, écrit Graham Usher.

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L’attaque israélienne contre Gaza l’hiver dernier avait pour objectif de massacrer et terroriser une population assiégée et sans défense, sous l’oeil approbateur des puissances occidentales et de certains régimes arabes.

La semaine passée l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le rapport Goldstone, ainsi nommé à cause de son principal auteur, l’ex-juge et respecté sud-africain Richard Goldstone. L’Assemblée a appelé Israël et l’Autorité palestinienne à mener dans les trois mois des enquêtes « crédibles et indépendantes » concernant les allégations de crimes de guerre commis par leurs forces durant la guerre de Gaza, et dans le cas contraire à faire face à la menace de poursuites par le Tribunal Pénal International (TPI) à la Haye, le tribunal mondial permanent pour juger les crimes de guerre.

La guerre de trois semaines contre Gaza a entraîné la mort de plus de 1400 Palestiniens et de 13 Israéliens, selon Amnesty International. Parmi les morts palestiniens, plus de 300 étaient des enfants.

Sur les Israéliens, dix étaient des soldats. Jusqu’ici un seul soldat israélien a été accusé d’un acte criminel pendant la guerre, et c’est du vol d’une carte de crédit...

Les résolutions de l’Assemblée générale sont non contraignantes. Non seulement les Etats-Unis mais la Grande-Bretagne, la France, la Chine et la Russie ont tous fait savoir qu’ils s’opposeraient à une résolution devant le Conseil de sécurité, la seule institution des Nations Unies ayant le pouvoir de se référer au TPI. En d’autres termes la probabilité qu’un dirigeant israélien ou qu’un combattant palestinien soit déféré à la Haye est « éloignée », selon un diplomate européen aux Nations Unis.

Pourtant la discussion aux Nations Unies sur le rapport Goldstone était tout sauf distante. Israël a lancé une attaque diplomatique éclair [blitz] contre le rapport, outragé par sa thèse centrale selon laquelle la guerre israélienne contre Gaza n’était pas une guerre d’autodéfense mais « une attaque délibérément disproportionnée conçue pour punir, humilier et terroriser une population civile ». Israël a mobilisé, avant le vote, ses alliés dans le congrès des Etats-Unis pour que le rapport soit condamné, par 334 voix contre 36, comme « irrémédiablement partial et indigne de davantage de considération ou de légitimité ».

Pendant le débat à l’Assemblée générale, les diplomates européens se sont empressés autour de leurs collègues arabes pour tenter d’obtenir un texte qui leur convienne. Les représentants européens ont la plupart du temps soutenu l’appel pour des enquêtes indépendantes mais ont été mis en état d’alerte par des références au Conseil de sécurité et pire encore par le spectre des tribunaux pour crime de guerre à la Haye. La plupart des pays de l’Union Européenne se sont abstenus : quelques-uns ont voté en faveur du rapport.

Les Palestiniens ont poussé à l’adoption d’un rapport devant lequel, deux mois auparavant, ils avaient reculé sous les pressions américaines, israéliennes et arabes. La raison en a été évidente. Cet ajournement a déclenché une tempête de protestations dans tous les Territoires Occupés, ce qui a été une des causes de l’annonce par Mahmoud Abbas le 5 novembre qu’il n’avait « aucun désir » de chercher sa réélection comme président de l’AP. C’était également la raison pour laquelle les Palestiniens ont refusé d’édulcorer la résolution en dépit de l’insistance européenne.

En conclusion, les Etats-Unis ont voté contre le rapport Goldstone parce que poursuivre devant la justice des crimes de guerre « gênerait » la cause de la paix au Moyen-Orient et « aurait des implications sérieuses sur des conflits dans d’autres régions du monde, » a déclaré Alejandro Wolff, représentant permanent auprès des Nations Unies.

Pourquoi une telle colère ?

Une raison en est la qualité du rapport. En dépit des affirmations d’Israël et des Etats-Unis selon quoi il serait « non équilibré », le rapport Goldstone est réellement un des rapports les plus équilibrés sur le conflit israélo-arabe jamais produit par les Nations Unies : il a été accepté par la commission seulement après que le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ait élargi le mandat du rapport, y incluant des allégations de crimes de guerre commis par les combattants liés au Hamas comme par les soldats et les hommes politiques israéliens.

Sur 575 pages - et basé sur 188 interviews, 300 rapports, 30 vidéos et 1200 photographies - ce rapport accablant met à jour une jolie preuve que l’objectif d’Israël à Gaza n’était pas seulement de tuer des militants, mais de « punir, humilier et terroriser » collectivement une population civile désarmée et captive. Il accuse aussi le Hamas [mouvement de la résistance palestinienne] d’avoir violé les lois de la guerre en tirant des fusées vers des civils, en maltraitant des opposants politiques et en capturant des soldats israéliens.

« Penser que Goldstone blanchit le Hamas est manifestement absurde », explique Steve Crawshaw, directeur et représentatnt de Human Rights Watch aux Nations Unies. « C’est un rapport qui prend beaucoup de précautions ».

Une autre raison de l’inquiétude [israélo-américaine] est la stature de l’auteur, admet David Benjamin, un ancien conseiller juridique auprès de l’armée israélienne. « Le juge Goldstone est l’une des figures majeures de la justice pénale internationale d’aujourd’hui et le fait qu’il ait apposé sa signature est très importante. Ce rapport ne va pas disparaître. Même s’il ne va pas jusqu’au Conseil de sécurité, il y aura toutes sortes de tentatives pour qu’il arrive à l’ICC [International Criminal Court] ou pour que les différents États exercent leur compétence universelle contre les Israéliens. »

Cela touche au coeur de la question de savoir pourquoi Goldstone a tellement ébranlé non seulement les Israéliens mais aussi aux les États-Unis, la Grande-Bretagne et de nombreux autres Etats. En exigeant que le Conseil de sécurité transmette son rapport à la CPI, Goldstone s’est inscrit dans une demande juridique et morale grandissante pour que, lorsque les États sont incapables d’enquêter sur les accusations de crimes de guerre, ils soient tenus responsables devant des institutions de justice internationale « plus élevées » comme la CPI.

Cependant, dit Goldstone, cette demande n’est crédible que si elle s’applique non seulement aux milices soudanaises au Darfour mais également aux généraux israéliens à Gaza.

L’émergence de la CPI et de la compétence universelle « envoie des signaux qui n’existaient pas il y a dix ans : que si vous commettez ce genre de crimes, il peut y avoir des conséquences », explique Crawshaw.

Benjamin acquiesce avec inquiétude. « Certains appellent cela la domination de la loi [law-fare] plutôt que celle de la guerre [war-fare] », dit-il. Il n’est pas davantage surpris que l’Autorité palestinienne et le Hamas aient accepté un rapport qui pourrait voir des Palestiniens traduits devant la CPI pour crimes de guerre. « Ils se rendent compte [que Goldstone] est une arme efficace contre Israël, plus que des missiles. »

12 novembre 2009 - Al-Ahram Weekly Online - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/2009/972...
Traduction : Nazem