Chaïmaa Abdel-Hamid
« D’habitude, on parle de tuer le messager qui porte la mauvaise nouvelle. Ici, il s’agissait de tuer dans l’œuf le message avant même qu’il ne soit entendu », c’est ce qu’a déclaré le juge Goldstone, auteur du rapport accusant Israël de crimes de guerre. Ce rapport qui a suscité d’énormes débats dans le monde entier depuis sa publication. Les Israéliens ont paniqué, les Palestiniens se sont trouvés face à une attitude incohérente. Celle de leur président Mahmoud Abbass qui a accepté le report du débat et celle du Hamas qui n’a pas manqué l’occasion pour critiquer le chef de l’Etat d’avoir, soi-disant, trahi son peuple, alors que le mouvement s’était élevé, au départ, contre le rapport.
Les réactions dans le monde arabe ne sont pas moins faibles. Un grand débat qui s’est ouvert et ne s’est pas refermé depuis. L’ancien juge sud-africain Richard Goldstone a mené son enquête dans laquelle il a établi que l’Etat hébreu « avait commis des actions qui équivalaient à des crimes de guerre, peut-être des crimes contre l’humanité » au cours des opérations militaires conduites du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009 dans la bande de Gaza. 13 Israéliens et près de 1 400 Palestiniens ont été tués lors de l’opération « Plomb durci » contre le Hamas. Le rapport affirme également que « les groupes armés palestiniens ont commis des crimes de guerre, et peut-être aussi des crimes contre l’humanité » en tirant des roquettes sur le sud d’Israël. Dans le fond, ce rapport n’est pas le premier à avoir pointé du doigt les crimes d’Israël. Il vient simplement confirmer les pratiques militaires israéliennes largement analysées pendant la guerre de Gaza. Amnesty International, Human Rights Watch et une série de groupes israéliens respectés de défense des droits humains avaient déjà publié plusieurs rapports fiables condamnant Israël pour ses tactiques qui avaient violé les lois de la guerre et le droit humanitaire international. Et sans bien sûr oublier le plus dangereux, à savoir le texte intitulé Briser le silence qui renferme des commentaires de 30 membres des forces israéliennes de défense qui avaient participé à l’opération Plomb durci. Ces accusations ne sont donc pas nouvelles, mais constituent une sorte de synthèse qui finalement condamne Israël. Mohamad Gomaa Khamis, directeur de la rédaction du magasine Al-Qods, affirme que la plus grande importance de ce rapport réside dans le fait qu’il offrait une énorme et rare chance pour les Palestiniens de pouvoir enfin poursuivre les Israéliens devant la justice. « Israël s’est trouvé tout d’un coup coupable devant le monde entier et accusé par des organisations internationales d’avoir commis des crimes de guerre. Ce qui le met sans aucun doute dans une situation embarrassante », affirme-t-il.
En effet, Israël se trouve dans une des situations les plus embarrassantes. Ce qui explique d’ailleurs sa réaction essayant à tout prix de minimiser, voire même de réfuter l’importance du rapport pour s’éviter toute accusation. Les Israéliens ne se sont donc pas empêchés d’affirmer que, pour eux, la mission d’enquête du juge Richard Goldstone est « née dans le péché », car elle tient son mandat de la commission des droits de l’homme de l’Onu à Genève. Gabriella Shalev, professeur de droit et ambassadrice d’Israël à l’Onu, a d’ailleurs lancé, en guise de réponse à l’auteur du rapport : « Nous n’avons pas de leçon de morale à recevoir de cette commission contrôlée par des pays comme le Zimbabwe, la Libye, le Pakistan ou le Bangladesh, qui violent tous les jours les droits de l’homme ». Tout en ajoutant que « l’un des membres de la mission, Christine Chinkin, a même publiquement dénié à Israël le droit à l’autodéfense avant d’entreprendre son enquête ». Selon elle, le rapport Goldstone est « injuste et politiquement biaisé ». Il ignore les dizaines de milliers de roquettes tirées durant des années par le Hamas contre les agglomérations civiles du sud d’Israël, et il ne mentionne ni ses attentats terroristes, ni son ambition déclarée de détruire Israël, ni même le soldat Gilad Shalit qui n’a pas été visité une seule fois par le CICR depuis sa capture par le Hamas en 2006. L’Etat hébreu reste donc en pleine panique et a choisi ainsi de rejeter les accusations de crimes de guerre, après avoir refusé de coopérer avec l’enquête.
Abbass en situation critique
Les choses n’en restent pas là. Pire encore est la situation palestinienne qui n’a essayé, en aucune mesure, de profiter de ce rapport qui la défend et n’a au contraire fait qu’accentuer son déchirement interne. En effet, qu’il s’agisse du camp du Fatah ou celui du Hamas, les réactions ont été bien choquantes pour le monde entier. Pour Khamis, « le vrai problème réside dans la réaction officielle palestinienne ». Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbass est devenu la cible de vives critiques, y compris dans son propre camp, à la suite du report controversé du vote sur le rapport de l’Onu. « Ce qui est arrivé est une erreur, mais elle ne peut pas être réparée », a affirmé le secrétaire général de l’OLP. Abbass est accusé d’avoir cédé à des pressions des Etats-Unis et d’Israël pour remettre aux calendes grecques l’examen du rapport de la commission d’enquête de l’Onu. Le Conseil des droits de l’homme de l’Onu a décidé de reporter à sa session de mars 2010 le vote d’une résolution sur le rapport du juge Goldstone.
Un comportement bien bizarre de la part d’Abou-Mazen et qui a suscité d’énormes critiques dans le monde entier. A l’appel des organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme, de centaines d’habitants de Ramallah ont manifesté contre « cette insulte au peuple palestinien ». Une cérémonie de lancement de chaussures a aussi eu lieu dans la bande de Gaza et l’affiche du président palestinien Mahmoud Abbass en était la cible.
Il n’est pas question pour le Hamas de manquer cette occasion, il a même été le principal directeur de cette colère. Bien que méfiant à l’égard du document qui leur impute également des crimes de guerre, les dirigeants du Hamas ont accusé le président palestinien Mahmoud Abbass de trahison. Le chef du gouvernement du Hamas à Gaza, Ismaïl Haniyeh, cherchant à exploiter ce qui apparaît comme une bévue de son adversaire politique, a accusé Mahmoud Abbass d’avoir personnellement commandité le report. « Cette décision absurde et criminelle place un immense obstacle sur le chemin de l’unité palestinienne », a averti Haniyeh. Pour Gomaa Khamis, le Hamas a essayé de profiter de cette occasion et a décidé de s’en servir pour s’opposer à son rival, le Fatah. « Le Hamas a agi sans penser réellement aux résultats de son comportement », et d’ajouter : « Dans un premier temps, le Hamas rejetait ce rapport, et après le comportement de Abbass, ils parlent de perdre l’occasion de profiter de ce rapport ».
En guise de rattrapage et face au tollé, Abbass a fait savoir, par la voix du chef des négociateurs Saeb Erakat, qu’il avait changé d’avis et qu’il allait envisager de « demander au bloc arabe et islamique de présenter officiellement le rapport Goldstone » aux différentes institutions onusiennes et internationales. Ce qui fut officiellement fait, le lendemain, par la Lybie. Tripoli a affirmé avoir fait cette demande au nom du groupe arabe à l’Onu. Aujourd’hui, les Palestiniens veulent « le plus vite possible » une session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme de l’Onu pour adopter le rapport de la mission Goldstone sur l’offensive israélienne à Gaza. Il reste maintenant à savoir si cette chance ne s’est pas évaporée comme toutes celles qui l’ont précédée.
publié par al-Ahram hebdo en français