dimanche 6 septembre 2009 - 02h:32
Ilan Pappe
The Electronic Intifada
3 septembre 2009
Ce jour est un jour unique dans l’histoire de la couverture et des débats médiatiques en Israël. Toutes les agences de diffusion électronique, les radios et les télévisions aussi, ont parlé de l’occupation et de l’oppression des Palestiniens et, plus important encore, de leur coût. Cela n’a duré que 12 heures et demain, les médias israéliens, obéissants, recommenceront à répéter comme des perroquets le nouveau message gouvernemental à l’attention des masses, que le « conflit » serait terminé et en passe d’être résolu. D’un côté, vous avez déjà des Palestiniens accommodants en Cisjordanie (voir les derniers articles de Thomas Friedman dans The New York Times et d’Ari Shavit dans Ha’aretz). Et de l’autre, hélas, ceux qui ont refusé de participer à une douce réalité nouvelle : ces Palestiniens opprimés vivant toujours sous la dictature du Hamas dans la bande de Gaza.
Demain, nous reviendrons tous à la triste réalité où des étudiants palestiniens sont emprisonnés, chaque jour, sans jugement à Naplouse, où des enfants palestiniens sont tués près de Ramallah, comme cela est arrivé aujourd’hui. Nous retournerons à la réalité des démolitions de maisons comme cela s’est passé il y a deux semaines à Jérusalem, à celle de l’étranglement constant de la bande de Gaza et de la totale dépossession des Palestiniens, où qu’ils soient. Mais ce jour entre tous les jours, pour ceux d’entre nous qui se trouvaient ici sur le terrain, une lumière, une lumière très puissante, a illuminé pendant un bref instant l’horizon d’une réalité différente, une réalité de paix et de réconciliation.
Et tout cela grâce à la décision du gouvernement norvégien de retirer ses investissements de l’entreprise de pointe israélienne, Elbit (à cause de l’implication de cette dernière dans la construction et l’entretien du Mur d’apartheid). Gardons toutefois une opinion mesurée sur ceci : seule une section d’Elbit, Elbit Systems, a été touchée. Mais l’important n’est pas de savoir qui a été ciblé, mais plutôt qui a pris la décision : la ministre des Finances de Norvège à travers son Conseil de l’éthique. Non moins importante est la façon dont elle a été prise : c’est la ministre elle-même qui a annoncé ce changement lors d’une conférence de presse. C’est ce qui a transformé pour un moment la scène médiatique dans l’Etat sioniste.
Habituellement, les questions de l’étranger ou militaires sont débattues dans les médias israéliens par des généraux ou des politologues choisis dans les universités du pays qui disent aux interviewers ce qu’ils veulent entendre. Dans le cas présent, comme on peut en déduire à partir des questions qu’ils ont posées aux personnes invitées, ils souhaitaient entendre que c’était la minorité musulmane de Norvège qui était derrière tout cela. Ou que c’était l’antisémitisme traditionnel qui l’expliquait et les Aînés de l’anti-Sion nouvellement créés, avec les nouvelles recrues - les gouvernements iraniens et libyens - qui l’avaient concocté. Mais étant donné que la cible est une entreprise de pointe, les commentateurs invités aux émissions en direct furent des experts en économie et en finances, tels que des journalistes en matières économiques de la presse écrite et des capitaines d’industrie et d’entreprises de pointe du pays. Les opinions de ces commentateurs furent loin de celles exprimées habituellement, ici et dans des endroits similaires. Mais elles traitèrent des réalités économiques et des évènements de la vie, et moins de mythologie et d’inventions idéologiques. Et elles expliquèrent, à des heures de grande écoute, que c’est en réalité la sensibilité des Norvégiens aux droits de l’homme qui avait engendré cette action, et que certainement d’autres actions similaires seront engagées dans l’avenir. Pour les lecteurs de ce site, ceci pourrait sembler ennuyeux ou trop élémentaire, mais l’auditeur et le téléspectateur moyens en Israël n’avaient pas été exposés à une telle déduction claire dans les médias dominants, par des journalistes et personnalités importants, depuis bien longtemps.
L’importance de cette, hélas, courte couverture médiatique de ce qui se cache derrière le mur d’apartheid et les clôtures qui encerclent la Cisjordanie et la bande de Gaza provient du haut statut de Kristin Halvorsen, la ministre norvégienne des Finances qui a elle-même annoncé la décision de désinvestissement. C’est la première action officielle de cette sorte de la part d’un gouvernement occidental. Cela rappelle le premier jour où des gouvernements ont pris en compte les pressions de leurs sociétés en Occident pour agir contre l’Afrique du Sud de l’apartheid. Nous avons tous été émus, et à juste titre, quand des syndicats courageux ont pris les mêmes décisions à l’encontre d’Israël ; nous avons tous été très heureux quand la Cour international de Justice s’est prononcée contre le mur et quand des personnes courageuses, la dernière étant le cinéaste Ken Loach, ont pris position contre une participation à tout ce qui représente officiellement Israël. Mais maintenant, il y a une évolution, un bond prodigieux en avant et un élan qu’il nous faut garder et entretenir !
C’est un message clair à tous les braves gens d’Occident qui cherchent la façon d’aider les Palestiniens qui n’ont jamais été aussi bas. Ces gens qui veulent marcher et naviguer pacifiquement jusqu’à Gaza, qui veulent encourager à plus de rencontres entre Israéliens et Palestiniens et restent inébranlables malgré tous les obstacles opposés aux volontaires dans les Territoires occupés. Toutes ces actions sont nobles, mais changer l’opinion publique en Occident, c’est ce que les gens en Occident peuvent faire de mieux. Et si un gouvernement a déjà fait évoluer de façon significative le nom et les règles du jeu - bien que dans une décision d’importance mineure et qui pourrait être reconsidérée sous une vague de réactions sionistes - si un gouvernement l’a fait, d’autres suivront certainement.
Pour l’instant, tout ce que nous pouvons dire, c’est un énorme merci à vous, courageuse politique, qui entrerez dans les pages d’histoire comme quelqu’un qui a ouvert la voie à un avenir meilleur pour tous, en Israël et en Palestine.
Edition française du Jerusalem Post du 3 septembre 2009 :
Oslo boude la société Elbit
La ministre norvégienne des Finances, Kristin Halvorsen, a annoncé jeudi que la société israélienne Elbit ne serait plus soutenue par le fond de pension scandinave pour des "raisons morales".
Le matériel de l’entreprise est utilisé pour surveiller la barrière de sécurité construite en Judée-Samarie.
"Nous refusons de financer des entreprises qui contribuent ouvertement à l’infraction du droit humanitaire international", a déclaré Halvorsen. Elle a ajouté que les actions avaient discrètement été revendues avant l’annonce officielle.
Selon la ministre, "le mur de séparation entrave de manière éhontée les déplacements des Palestiniens de la Judée-Samarie. Par conséquent, investir dans une entreprise qui participe à un tel projet revient à contribuer à la violation de normes éthiques fondamentales."
Par ailleurs, deux autres compagnies ont été visées par le communiqué norvégien : l’entreprise française de défense Thales SA et l’exploitant minier d’Afrique du Sud DRD Gold Ltd.
La Norvège est un important exportateur de pétrole et de gaz naturel. Les revenus excédentaires de l’Etat sont placés sur le fond de pension global du gouvernement afin d’éviter que des fonds étrangers ne prennent trop de place dans l’économie intérieure du pays.
Le fond recueille actuellement, sous l’égide de la Banque centrale, l’équivalent de 333 milliards de dollars. Depuis 2004, un conseil éthique vérifie tous les investissements nationaux et publie régulièrement des recommandations.
Voir aussi :
La Norvège se désinvestit d’une firme israélienne d’armement impliquée dans la construction du Mur - Ma’an News Agency
Ilan Pappe est président du département Histoire à l’université d’Exeter.
4 septembre 2009 - The Electronic Intifada - traduction : JPP