Isabelle Martin
Tout avait mal commencé puisque j’avais loupé mon avion, après m’être embrouillée dans les horaires… J’avais ajouté 120 euros et réservé un vol pour le lendemain… Il ne me restait plus que trois jours pour aller rendre visite en Israël à ma meilleure amie, une Française qui vit à Naplouse dans les territoires palestiniens [1]. Nous avions prévu qu’elle me récupère à l’aéroport pour filer trois jours au bord de la mer à Eilat.
Mon séjour étant raccourci, je voyageais léger : toutes mes affaires tenaient dans un bagage à mains, ce qui m’évitait l’enregistrement en soute. J’ai donc réglé le « check in » sur Internet depuis chez moi pour être sûre, cette fois, de ne pas être en retard.
Je passe sans encombres les services d’immigration, le contrôle de sécurité et j’arrive dans la zone duty free pour embarquer.
Où est votre deuxième passeport ?
Je suis sur le point de monter sur la passerelle, je n’ai plus qu’à montrer mon passeport une dernière fois et c’est bon… quand une femme de la sécurité commence à m’interroger :
-Vous êtes française ?
- Oui.
Elle poursuit en anglais :
- Vous êtes née à Séoul ? Où est votre deuxième passeport ?
- Je n’en ai pas, je suis seulement Française.
Vous connaissez le cours euro/shekel ?
Elle m’écarte de la file, appelle son supérieur. Il poursuit l’interrogatoire :
- Il est où votre deuxième passeport ?
- Je n’en ai pas.
- Pourquoi ?
- Je suis adoptée.
- Peut-être vous en avez quand même un autre ?
- Non, je suis adoptée plénière, je ne connais rien à la Corée et je suis arrivée ici à l’âge de trois mois.
- Vous allez voir qui ? Où ?
- Je vais passer trois jours à Eilat avec une amie diplomate française.
- Quel est le nom de l’hôtel ?
- Je ne sais pas, ce sont mes amis qui m’emmènent.
- Vous revenez quand ? Pourquoi votre billet a-t-il été émis hier ?
A ce moment-là, je sens que tout ce que je dis commence à devenir suspect pour lui. Je commence à devenir fébrile, ça se voit et ça devient un cercle vicieux.
Il pose ses questions très vite, ne me laisse pas le temps de répondre, les entrecoupe régulièrement de « Il est où votre deuxième passeport ? » sensés me surprendre et me déstabiliser encore plus.
- Vous connaissez le cours euro/shekel ?
- Non…
Il feuillette mon passeport, découvre un tampon tunisien de 2007.
- Qu’est-ce que vous êtes allée faire en Tunisie ?
- Voir une amie, faire du tourisme, trois jours.
Il arrive aux pages avec les nombreux tampons japonais et démarre une série de questions sur mes allers-retours, mes activités, mes revenus etc. Ça devient trop personnel, tous les souvenirs de ces dernières années remontent en bloc, la difficulté à s’intégrer, le racisme, la solitude, les nombreux jobs…
Il change de nouveau de sujet :
- Et vos parents, ils font quoi ? Ils viennent d’où ?
- Ma mère est belge, mon père français, ils sont avocats.
A la fin, je m’aperçois que ma vie est juste trop compliquée pour lui. L’air de se foutre de tout, après plus d’une demi-heure passée sur mon cas, il décide simplement que je ne monterai pas à bord de cet avion et me confie à une hôtesse d’El Al. Elle me permet de retrouver mes esprits dans un salon puis me raccompagne vers la sortie.
Remboursée par la compagnie
Le lundi, j’ai appelé le service commercial pour demander à être remboursée. La fille que j’ai au téléphone me dit que l’explication mentionnée dans mon dossier est « profil atypique ». Je lui réponds : « Oui c’est ça, je suis jaune ! »
Au final, rien de grave, je serai remboursée, je n’ai pas été traumatisée par ce grand coup de balai fait dans ma vie (d’autres enfants adoptés auraient eu des raisons de l’être) et je ne suis pas interdite de voyage à vie. Je ne sais seulement pas ce qui a pu alimenter leur paranoïa : le fait d’être née à Séoul ? de travailler au Japon ? d’avoir une mère belge ou d’avoir visité la Tunisie ? … Peut-être est-ce seulement d’être globe-trotter, avec une tête qui ne correspond pas à mon passeport ?
Une chose est sûre : la prochaine fois je prends Air France et je passe par Amman [2].