Publié le 29-06-2009
« Nous avons investi l’école pour y détenir toute personne de 17 à 50 ans. Tous étaient menottés et les yeux bandés. Quand ils demandaient à aller aux toilettes, les soldats les faisaient se lever et les frappaient sans aucune raison qui aurait justifié ces raclées. Beaucoup étaient détenus en vue d’une collecte d’informations pour les services de sécurité, non parce qu’ils avaient fait quoi que ce soit. En général, les gens étaient maintenus assis pendant dix heures au soleil. De temps en temps, on leur donnait de l’eau. Les soldats passaient dix heures debout, à s’ennuyer, de sorte qu’ils battaient les hommes. Quelquefois c’est leur unique satisfaction ».
Cela s’est produit en mars dernier à Harès, un village du nord de la Cisjordanie occupée. Le dialogue entre le soldat qui livre ce témoignage et un militant de Breaking the Silence (Rompre le Silence), une association israélienne combattive, se poursuit ainsi :
- Il y a des soldats qui pensent que les menottes de nylon sont destinées à immobiliser et à empêcher le sang d’arriver aux doigts, qui deviennent bleus.
Combien de temps sont ils restés ainsi ?
Sept heures. A la fin, du fait des plaintes et des pleurs, le commandant a ordonné qu’on desserre les menottes.
Le bataillon entier a été de la partie ?
Oui
L’opération a débuté de jour ?
Pendant la nuit. A trois heures du matin, ils ont amené le concierge de l’école pour qu’il ouvre les classes.
Sur quels critères ont-ils arrêté les gens ?
A partir de l’âge de 17 ans. Mais il y avait des gamins de 14 ans. Ils étaient à peu près 150. Pour la plupart, en pyjamas.
Vous avez vu d’autres incidents ?
Beaucoup de réservistes y ont pris part, en se réjouissant des humiliations, des insultes, de l’arrachage de cheveux, des coups de pied et des gifles. C’était la norme. Ce qui est arrivé dans les toilettes, ce que nous appelons le bal des démons, a été le plus extrême.
Un groupe d’Israéliens juifs, certains d’entre eux anciens sous-officiers et croyants fervents, s’efforcent à grand peine de faire connaître ce que beaucoup savent en Israël mais dont peu osent parler. Les choses sont dures pour ces militants de Breaking the Silence, qui élèvent la voix dans un pays anesthésié devant la souffrance de l’ennemi. Ils ont l’ambition de briser l’épais mur de silence qui enveloppe les pratiques aberrantes de nombreux soldats quand il s’agit de réprimer les lancements de pierres par de jeunes Palestiniens. Dénoncer ces faits coûte cher. Pourtant, exception à la règle, quelques militaires ne supportent pas ce qu’ils voient. Et ils rompent le silence. Rarement avec succès.
C’est le cas d’un autre soldat en uniforme, D., caporal de 19 ans dans la Brigade Kfir, la plus impliquée dans les abus commis en Cisjordanie. D. n’en peut plus depuis la rafle de Harès, le 26 mars. Il a décrit à ses supérieurs le comportement de beaucoup de ses camarades et s’est refusé à accomplir certaines tâches en Cisjordanie. Il a été condamné à 30 jours de prison.
« L’opinion commune parmi les soldats du bataillon Haruv », accuse D., « est que les Arabes sont des bêtes sauvages qui doivent être supprimées ».
Le porte-parole de l’armée en propose une version bien différente : « Pendant des mois, les automobilistes qui circulaient sur la route proche de Harès ont subi des attaques provenant des collines de la zone. Plusieurs civils innocents ont été blessés. C’est pourquoi l’armée a entrepris d’interroger des suspects d’implication dans ces attentats. Tous les détenus, soupçonnés d’être impliqués dans des activités violentes, ont bénéficié d’un traitement digne, y compris par la distribution d’eau et de nourriture ».
Il ne manque pas de soldats qui estiment que les moyens de sécurité sont indispensables, mais qui détestent les humiliations gratuites. Comme celle de la vidéo diffusée cette semaine dans laquelle plusieurs militaires forcent un Palestinien à se frapper au visage tout en faisant l’éloge de ses agresseurs, qui se moquent de lui.
Les vexations ne sont pas l’exception. Il suffit de voir l’allure des Palestiniens lors des contrôles. En file, muets, attentifs aux ordres souvent hurlés, parfois directement pointés par un fusil. Il ne faut pas non plus s’étonner de l’attitude de ces jeunes en uniformes, étant donné les propos du colonel Itai Virob, chef de la Brigade Kfir, qui voilà quelques semaines s’est attiré une réprimande du Haut Commandement en affirmant : « Pour empêcher que la violence (des Palestiniens) n’augmente, l’agressivité n’est pas seulement permise, elle est quelquefois exigée. Frapper est possible, même quand les gens ne sont pas impliqués, pour atteindre l’objectif de la mission ».
Les opérations de la Brigade Kfir – dans laquelle servent des centaines de jeunes gens de l’extrême droite nationaliste et religieuse – sont constantes en Cisjordanie. De temps en temps, ils accompagnent les colons dans leurs assauts contre des villages palestiniens. Beaucoup de soldats de cette brigade sont en même temps des colons qui disposent d’informations précises obtenues de mouchards palestiniens, et qui lancent des opérations destinées à connaître jusqu’au plus petit recoin d’un village. Ce qu’ils appellent cartographie.
Un sergent de la brigade raconte : « Nous pénétrons dans une maison. Nous regroupons la famille dans une pièce et ordonnons à un garde de les maintenir sur la menace d’un fusil. On photographie tout, on inspecte ce qu’il y a dans l’habitation et l’information est transmise aux services de sécurité. Ce qui choque est qu’il y en a qui volent » . Il est fréquent que cela vire à la violence gratuite.
« Moi, ajoute le sergent de la brigade, je ne le fais pas, mais mes amis me parlent du vandalisme ». Et de destructions du mobilier de la maison en présence des mères et des enfants, des humiliations infligées à des handicapés. « Quand je me suis enrôlé, j’étais très motivé. J’ai suivi l’entraînement et dans le service j’ai vu les gens se comporter comme des bêtes… Comme s’ils étaient des dieux », explique-t-il, très pessimiste quant aux possibilités de changer la situation. « Pour les soldats, Arabe est synonyme de terroriste. C’est ainsi qu’on les a éduqués ».
Les soldats jouissent d’une position de supériorité accablante. Armés jusqu’aux dents devant une population locale effrayée qui souhaite accomplir le plus vite possible les formalités du contrôle militaire, alors que les retards délibérés sont habituels. Comme l’explique le sergent déjà cité : « Quand tu as une arme et que tu demandes quelque chose à un Palestinien, tu es en train de le contraindre. Il a peur. L’Arabe peut nous dire ‘Oui, prends, il n’y a pas de problème’ . Il sait que tu peux le persécuter s’il dit un seul mot hors de propos ». « Je me rappelle, dit le sous-officier, ma première expérience d’un contrôle militaire. Un groupe de réservistes étaient venus pour nous former. L’un d’eux a vu un taxi surchargé. Les Palestiniens en sont descendus et on a commencé à leur demander leurs papiers d’identité et à fouiller les sacs. Dans l’un d’eux, il a trouvé un authentique maillot du Real Madrid et m’a demandé si je le voulais. Si je l’avais souhaité, il l’aurait pris pour moi ».
Réponse du porte-parole de l’Armée : « L’Armée soutient le respect des droits humains et condamne catégoriquement toute maltraitance ou tout usage injustifié de la force contre la population civile. Quand des irrégularités se produisent, elles donnent lieu à des enquêtes indépendantes ». Les ONG israéliennes démentent sans ambages les déclarations de ce type. Si l’on en juge par les condamnations de soldats au cours des dernières années, qui sont aux confins de zéro, les abus ne seraient que le fruit de l’imagination.
Juan Miguel Muñoz
Source : EL PAIS, 28 juin 2009.
(Traduit de l’espagnol par Anne-Marie PERRIN pour CAPJPO-EuroPalestine)
CAPJPO-EuroPalestine