Il est dix heures du matin lorsque nous nous retrouvons avec quatre amis place Manara, en plein cœur de Ramallah. Une heure inhabituelle pour se lever un vendredi matin pour des étudiants en Palestine ; les soirées étudiantes – quelque peu arrosées pour les étrangers et la « Haute palestinienne » - ont toutes lieu les jeudis soirs. Mais ce vendredi est spécial.
- Défilé à Ramallah - Photo : Sekina
Le mur de séparation borde la ville, et elle est soumise à une forte désorganisation ; pas de police palestinienne présente, et une autorité israélienne qui intervient de façon limitée – sauf généralement pour protéger les intérêts israéliens. Ce qui en a fait un lieu de cristallisation des tensions en Cisjordanie, et tout un symbole pour la résistance civile palestinienne.
Nous prenons un taxi-bus, taxi collectifs bon marchés. Nous arrivons à Bi’lin en fin de matinée. Nous sommes un peu en avance, nous devons attendre la fin de la prière du vendredi pour que la manifestation pacifique commence. Un Palestinien nous propose de nous emmener jusqu’au lieu de la manifestation en voiture. Nous sommes sept, serrés les uns contre les autres dans le véhicule, où nous faisons la connaissance de deux Anglaises sexagénaires venues manifester.
En arrivant au lieu de rendez-vous, quelques internationaux sont déjà présents, ainsi que des journalistes. Mais les plus nombreux sont les Palestiniens, et surprise pour nous, des Israéliens. Ceux-ci sont membres du parti anarchiste israélien, Akhadim (unité).
Quelques minutes après notre arrivée, l’armée israélienne fait son apparition.
Pendant près d’une demi-heure, aucun heurt n’est à signaler. Les soldats israéliens vérifient l’identité des manifestants israéliens, et discutent politique avec eux. La plupart des manifestants sont en retrait, distant de l’armée. Un manifestant palestinien prend cependant les devants, et s’approche des soldats.
A une dizaine de mètres d’eux, il leur demande ce qu’ils font encore là, à quoi bon rester dans une terre qui n’est pas la leur. Devant son indignation, les soldats ne bougent pas. Ils prennent même des photos des manifestants, entre deux poses sandwich.
Pendant ce temps, nous discutons avec un des Israéliens présent : « Je suis de Tel-Aviv » nous dit-il. « L’occupation est une honte, cette situation doit cesser. Ce qui arrive aux Palestiniens est horrible… ». L’homme bafouille un peu, et semble quelque peu dérouté par la situation. Peut-être est-ce sa première manifestation. Au moins, ce discours diverge beaucoup de celui d’un bon nombre d’Israéliens, généralement peu critiques vis-à-vis de l’occupation et de la colonisation.
- Soldats des troupes israéliennes d’occupation - Photo : Sekina
En une seconde, le calme relatif fait place à la panique. Des bruits de tirs surviennent « GO,GO !! NOW ! ». L’armée a lancé plusieurs gaz lacrymogènes, alors que la manifestation n’avait exprimé aucune violence. Naturellement, nous fuyons le plus loin possible du gaz, qui brule nos yeux et donne une impression de manque d’oxygène.
« Ne pas s’évanouir, ne pas s’évanouir, fuir l’armée, fuir l’armée » pensai-je prise de panique, « même si l’horrible sensation du gaz me fait presque perdre conscience ». Si l’armée israélienne nous arrête lors d’une manifestation de ce type, c’est directement la case « expulsion » pour tous les internationaux présents.
Nous parvenons à nous extirper du « champ de gaz » avec peine, et nous retrouvons sur une route loin de l’armée israélienne.
Sur notre chemin, nous croisons une maison et une piscine abandonnées. « C’était un restaurant, avant le mur » nous dit notre ami Palestinien, habitué de Bi’lin. « Le mur a tué l’économie locale… ». L’une des critiques faites au mur de séparation est souvent économique. Il a coupé les déplacements des habitants présents des deux côtés du mur, ainsi que les échanges entre eux, et les Palestiniens eux-mêmes désertent ces zones.
Nous arrivons sur une côte, d’où le « mur de la honte », et les habitations israéliennes sont visibles. Quelques Palestiniens présents à la manifestation s’y trouvent aussi.
Un des Israéliens membre du parti « Unité » survient, et discute un instant avec nous. Je ne retire pas mon écharpe et mes lunettes de soleil, qui me cachent le visage. Après quelques semaines en territoires palestiniens, la méfiance devient votre meilleure ennemie. Particulièrement dans ce genre « d’évènement » à connotation politique, qui peut être réutilisé par l’État israélien pour nous refuser une demande de visa.
- Défilé à Ramallah. Ici le portrait du jeune Abu Khdeir, jeune palestinien brûlé vif par ses meurtriers - Photo : Sekina
Autant de drapeaux palestiniens et keffieh arborés avec honneur qui nous rappellent, après la manifestation de Bi’lin, que les Palestiniens luttent à chaque instant pour affirmer leur droit à exister et à exprimer leur culture.
Parmi les participants au défilé, deux hommes tiennent le portrait du jeune Mohamed Abou Khdeir, brûlé vif par des juifs extrémistes en juillet dernier. Une image qui rappelle que face aux initiatives pacifiques de Bi’lin - qui fleurissent dans toute la Cisjordanie - et les rencontres israélo-palestiniennes qui se forment pour l’occasion, le conflit israélo-palestinien fait parfois appelle à une violence extrême…
3 octobre 2014 - Transmis par l’auteur