Les autorités israéliennes d’occupation ont, pour la première fois depuis 1967, décidé de fermer l’enceinte d’Al-Aqsa aux fidèles. Une mesure qui ne fait qu’aviver les tensions.
- Hébron, Cisjordanie, le 31 octobre 2014. Des Palestiniens qui prennent part à un rassemblement contre Israël et ses restrictions d’accès à la Mosquée Al-Aqsa (Photo REUTERS/Mussa Qawasma)
L’escalade est intervenue quelques heures après qu’Israël ait renforcé et resserré la sécurité sur Jérusalem en adoptant la politique de « punition collective » contre les Palestiniens et ce, en réponse aux affrontements qui ont éclaté dans la ville et qui les ont opposés à la police israélienne.
Pour sa part, l’Autorité Palestinienne (AP) a estimé que la décision israélienne de fermer Al-Aqsa était une déclaration de guerre, alors que la partie israélienne et les colons continuent d’accuser l’AP d’être derrière ces évènements. Le président palestinien Mahmoud Abbas a, cependant, déclaré dans une interview accordée à la chaîne 10 de la télévision israélienne, avant la fusillade qui a ciblé Glick, qu’il s’opposait au déclenchement d’un soulèvement palestinien à Jérusalem.
Il y a lieu de rappeler que depuis l’enlèvement et l’assassinat du jeune Mohamed Abu Khdeir, le 12 juillet dernier, Jérusalem a connu des affrontements à divers niveaux d’intensité.
Hanna Omeira, membre du Comité Exécutif de l’OLP pour la ville de Jérusalem a confié à Al-Monitor que les protestations que connait Jérusalem sont la réaction populaire contre la politique de punition collective pratiquée contre la population et les sanctuaires.
Fakhri Abu Diab, membre du Comité de Défense de Silwan a lui aussi confié à Al-Monitor que c’est le cumul et les comportements caractérisant la politique de l’occupation dans la ville, comme l’oppression, l’absence d’une solution politique et l’expansion des colonies qui ont conduit au soulèvement de Jérusalem.
Bien que près de quatre mois se soient écoulés depuis la mort la mort d’Abu Khdeir, les affrontements (bien qu’irréguliers) impliquant des jeunes se poursuivent encore.
Mesbah Abu Sabih est un militant basé à Jérusalem. Il a expliqué à Al-Monitor que l’intensité et les points d’engagement des affrontements varient à l’occasion ; ils ont atteint leur maximum à la suite de la mort d’Abu Khdeir et se reproduisent après chaque nouveau martyr de la ville.
Il a reconnu que les affrontements sont périodiques car ils dépendent des développements que connait la ville, mais il y a des endroits où les affrontements éclatent assez souvent, comme dans les quartiers d’Issawiya et de Silwan et dans les quartiers Saadia, Bab Hutta, Ras al-Amud et Tur de la Vieille Ville.
Abu Diab a souligné que ce soulèvement est conduit par des jeunes âgés entre 14 et 20 ans et qui utilisent tous les moyens pour résister à l’occupation. Ils sont conscients des menaces qui guettent leur ville et leur avenir et ils connaissent très bien la nature du conflit qui les oppose aux Israéliens.
Il faut dire que les protestations sont spontanées et manquent d’une direction nationale, ce qui soulève des questions et des interrogations sur la possibilité de leur continuité face au contrôle répressif imposé par les forces israéliennes.
Abu Sabih a précisé que personne n’organise vraiment ni ne dirige les manifestations de rue. C’est la raison pour laquelle nous remarquons qu’elles persistent dans certaines régions alors qu’elles restent intermittentes dans d’autres. « Il n’y a aucune direction qui gère les choses sur le terrain. Le manque de leadership est la principale cause de l’irrégularité des manifestations, désormais liées aux évènements seulement. »
Et d’ajouter : « Le manque de leadership ainsi que l’étau que les forces de sécurité israéliennes resserrent autour des Palestiniens ne feront pas obstacle à un soulèvement à Jérusalem, » compte tenu de la résistance aux projets israéliens, notamment la division d’Al-Aqsa.
« Les protestations contre les mesures mises en place par l’occupation se poursuivront tant qu’Israël continue d’appliquer sa politique à Jérusalem, » insiste Omeira.
Omeira a par ailleurs ajouté qu’il était difficile de former un leadership national à Jérusalem. « Je ne peux pas comparer la situation actuelle avec celle qui prévalait durant la première Intifada, où nous avions un commandement unifié car les circonstances sont différentes et cela dépend des forces politiques. »
Toutefois, Jamal Amro, spécialiste pour les questions et affaires de Jérusalem, exprime un point de vue opposé. « Si aucune décision Palestinienne n’est prise dans les hautes sphères afin de remonter le moral des citoyens de Jérusalem, et si aucun affrontement n’éclate ailleurs rien que pour alléger et réduire la pression qui pèse sur eux, la ville ne survivrait pas longtemps, » analyse Amro. « Tant que Jérusalem est sous l’emprise du cordon sécuritaire et du blocus, elle ne tiendra pas le coup et ne survivra pas longtemps, » même si l’évolution sur le terrain alimente le soulèvement.
Le militant Abu Sabih se dit préoccupé par les tentatives des organismes officiels visant à étouffer et à anéantir le soulèvement des jeunes de Jérusalem. « Selon certaines indications, l’AP est en train de manœuvrer pour mettre un terme au soulèvement dans la ville de Jérusalem, » dit-il.
Nabil Amro, responsable au Fatah et membre du Conseil Central de l’OLP, a confirmé par le biais d’un article de presse que l’AP, l’OLP et les partis palestiniens négligent la nécessité de soutenir Jérusalem.
La préoccupation d’Israël au sujet des affrontements se manifeste de plusieurs façons. Ces inquiétudes se sont intensifiées depuis la tentative d’assassinat de Glick. Le quotidien israélien Maariv a cité des ministres qui ont déclaré que Netanyahu avait perdu Jérusalem. Le maire de Jérusalem a, en date du 29 octobre, lancé un ordre pour appliquer des sanctions contre les jeunes qui entrent en conflit avec la police israélienne et pour faire pression sur la population palestinienne afin qu’elle agisse contre ces jeunes.
Les médias hébreux ont mis l’accent sur les graves développements enregistrés à Jérusalem, tandis que les écrivains israéliens les plus éminents ont décrit les évènements comme un « soulèvement silencieux. »
Pendant ce temps, deux chercheurs israéliens ont mis en garde contre une possible explosion de la situation à Jérusalem, compte tenu des mesures israéliennes visant à renforcer la sécurité en recourant uniquement à la force. Le journal israélien Yedioth Ahronoth a écrit dans son édition du 31 octobre que les affrontements et heurts que vit Jérusalem ont pris les proportions d’un conflit religieux qui risquerait de se propager dans tout le Moyen-Orient.
Pour Amro : « Le soulèvement de Jérusalem effraie et dérange Israël parce qu’il met à nu son incapacité à dompter la population, à changer son identité et à judaïser sa culture à travers la normalisation et l’intégration dans la société israélienne. »
Il a ajouté que les mesures appliquées par les Israéliens à Jérusalem ont ouvert les yeux des Palestiniens de Jérusalem qui ont découvert qu’ils étaient « les plus pauvres et qu’ils devaient faire face à l’occupation, un comportement qui a surpris Israël qui avait pensé que cette tranche de la société avait fini par se calmer et que le projet de normalisation portait ses fruits. »
Pendant ce temps, Antoine Shalhat, directeur du Madar, le Centre Palestinien d’Études Israéliennes, a expliqué à Al-Monitor que les préoccupations israéliennes proviennent de l’importance de Jérusalem dans le conflit arabo-israélien et du refus d’Israël de faire des concessions à la table des négociations.
Shalhat a déclaré qu’Israël considère la bataille pour Jérusalem comme la première de toutes les batailles. « Les affrontements reflètent et relèvent un défi pour l’ensemble de ses plans immédiats et stratégiques pour la ville, lesquels sont fondés sur des faits imposés sur le terrain à travers l’expropriation des terres, la colonisation et l’expulsion des Palestiniens. »
Selon Shalhat, les mesures prises par Israël à Jérusalem reflètent la vision de du gouvernement Netanyahu. Ces mesures ont reçu l’approbation de tous les partis et sont basées sur le refus israélien de tout accord avec les Palestiniens, d’une part, et sur l’accélération des démarches et procédures visant à imposer des faits accomplis sur le terrain et qui incarnent cette vision, d’autre part.
L’atmosphère générale en Israël révèle que le gouvernement Netanyahu poursuit l’exécution de ses projets à Jérusalem, comme le soutien aux colons, ce qui signifie un éclatement de la situation dans la ville et la poursuite des protestations et affrontements spontanés conduits par des jeunes gens. Ces affrontements sont susceptibles de se transformer, à n’importe quel moment, en un soulèvement, sauf que personne ne saura prédire et mesurer sa portée et son étendue.
* Ahmed Melhem est journaliste et photographe, basé à Ramallah. Il travaille également pourAl-Watan News