Pour pouvoir considérer qu’un vrai changement de politique a eu lieu, il faudrait que la Grande-Bretagne cesse de soutenir Israël et de financer l’occupation, tout en agissant pour corriger l’injustice qu’elle a imposée aux Palestiniens il y a de cela un siècle, écrit Ramzy Baroud.
- Nervis des forces d’occupation s’ataquant à un manifestant palestinien - Photo : http://media.paperblog.fr
À la différence de la Suède, et de la plupart des 130 pays qui ont effectivement reconnu la Palestine, la Grande-Bretagne est un des protagonistes les plus anciens du conflit au Moyen-Orient. En fait, s’il n’y avait pas eu l’intervention de la Grande-Bretagne, il n’y aurait aucun conflit ni même d’état israélien sur lesquels s’appesantir.
C’est avec ce rappel que le vote Britannique importe, et grandement.
Pendant que j’écoutais le débat passionné entre les députés britanniques ,au bout duquel a eu lieu le vote historique de 272 en faveur [de la reconnaissance] et de 12 contre, les fantômes du passé me sont revenus à l’esprit.
Quand mon père est né en Palestine historique en 1936, il s’est retrouvé dans un monde politiquement dominé par la Grande-Bretagne. Il est né et a grandi dans le village palestinien de Beit Daras, depuis longtemps détruit - devenu, comme le reste de la Palestine historique partie intégrante de ce qui est nommé Israël. Lui et sa famille se sont retrouvés confrontés à deux anomalies qui ont considérablement marqué le paysage autrement paisible de la campagne palestinienne : une colonie juive appelée Tabiyya et un centre omniprésent de la police britannique qui avait pour première mission de protéger les intérêts de la colonie juive et de contrôler Beit Daras.
Les habitants du village, encore inconscients du plan en marche pour les déposséder de leur patrie, sont avec le temps devenus plus attentifs à cette double danger. Mais en 1947-48, il était déjà trop tard. Le retrait britannique de Palestine avait pour but de laisser l’espace à un état juif, l’Israël d’aujourd’hui. Les Palestiniens, depuis plus de 66 années, ont souffert non seulement de se retrouver sans-abri et dépossédés de tout, mais également d’une occupation militaire et d’innombrables massacres dont le dernier en date est la guerre israélienne de cet été sur Gaza.
Dans cette dernière agression, près de 2200 Palestiniens, en grande partie des civils, ont été massacrés et cinq fois plus ont été blessés. Pourtant, les Palestiniens continuent de résister et avec une plus grande volonté que jamais.
Pour cette raison - et le fait que le gouvernement britannique demeure un membre du club éhonté des défenseurs dévoués d’Israël - le vote au parlement britannique importe considérablement. Bien que « symbolique » et non contraignant, il a malgré tout de l’importance. Il importe parce que l’arsenal israélien est largement dépendant des fournitures britanniques puisque le gouvernement anglais, en dépit des fortes protestations populaires, se comporte toujours envers Israël comme si ce dernier étaient un état respectueux de la loi avec une situation des droits de l’homme hors de toute critique. Ce vote importe en dépit de la formulation très douteuse qui lie la reconnaissance de la Palestine à côté d’Israël, « à la négociation d’une solution à deux états. »
Mais il ne peut y avoir deux états dans une terre qui est déjà habitée par deux nations, qui, en dépit de la profondeur de l’occupation, sont en fait reliées géographiquement, démographiquement et par d’autres manières. Israël a créé des réalités irréversibles en Palestine et les respectables députés britanniques devraient le savoir.
Le vote des députés a été motivé par différentes choses. Certains ont voté « oui » parce qu’ils sont depuis longtemps les défenseurs des Palestiniens, et d’autres sont avant tout choqués par le comportement israélien. Mais si le vote reflétait en grande partie une tentative de redonner de l’oxygène à « la solution [obsolète] à deux états » dans un conflit créé par les Anglais eux-mêmes, alors le terrible legs britannique en Palestine, vieux de presque un siècle, continuera à s’imposer comme il l’a toujours fait.
Les bottes de l’armée britanniques ont foulé le sol de la Palestine dès 1917 après avoir défait l’empire Ottoman - dans lequel la Palestine était incluse - qui se désagrégeait rapidement sous la pression combinée des puissances européennes. Dès que Jérusalem a été conquise par les Anglais sous les ordres du Général Edmund Allenby en décembre 1917, et le reste du pays avant octobre 1918, la volonté du peuple palestinien s’est retrouvée prise en otage par l’Empire britannique. Le nombre d’Arabes palestiniens tués, blessés, torturés, emprisonnés et exilés par la Grande-Bretagne, depuis cette date jusqu’à l’établissement de l’état israélien en 1948, est au delà de tout récit...
Cependant, le rôle actif de la Grande-Bretagne dans la souffrance des Palestiniens et l’établissement de l’état sioniste n’était pas affaire de coïncidence avec des ambitions coloniales immédiates. Il était inscrit et enraciné dans les intrigues politiques et diplomatiques qui traversent le 19ème siècle. Il s’appuyait également sur un racisme indubitable, profondément ancré dans la culture coloniale. Ses manifestations font toujours la honte de la Grande-Bretagne aujourd’hui, laquelle refuse pourtant d’inverser cette politique historique.
Il est inexplicable que près d’un siècle après l’implication britannique en Palestine et malgré son échec incontestable, la politique étrangère actuelle ne se soit pas éloignée du vocabulaire et des politiques de l’Empire Britannique quand le Ministre des Affaires Étrangères, Arthur James Balfour, « promettait » la Palestine pour l’installation d’un état Juif. La « Déclaration de Balfour » est datée du 2 novembre 1917, avant même que la Palestine ne soit occupée par les Anglais, illustrant ainsi leur arrogance et indifférence à l’égard des droits des Palestiniens.
Dans une de ses lettres, Balfour écrivait avec un mépris insondable : « Pour ce qui est de la Palestine, nous ne proposons aucunement de consulter les souhaits des habitants actuels du pays… Les quatre grandes puissances sont engagées vis-à-vis du sionisme, et le sionisme, qu’il soit juste ou faux, bon ou mauvais, représente beaucoup plus en tradition séculaire, en besoins actuels, en futurs espoirs, que le désir et les préjudices des 700 000 Arabes qui habitent aujourd’hui cette terre antique. À mon avis, cela est juste. »
Encouragé par le vote récent au parlement en faveur de la Palestine (bien que presque la moitié des députés britanniques étaient absents ou se sont abstenus) on peut difficilement nier que c’est un signe que le public britannique et beaucoup dans la direction politique du pays, sont simplement dégoûtés par la guerre et l’occupation israéliennes permanentes qui représentent une des principales causes de déstabilisation de la région, bien longtemps avant que ne commence la guerre civile syrienne et d’autres bouleversements. Alors qu’ils étaient par le passé de solides alliés d’Israël, beaucoup de députés britanniques sont furieux face à la violence d’Israël, face à son expansionnisme et à son sabotage de toute perspective de paix. Ce fait est incontournable.
Mais ce n’est pas suffisant. Quand le gouvernement britannique insiste pour maintenir sa politique pro-israéliennes et quand l’attitude générale de ceux qui tiennent vraiment les rênes du pouvoir à Londres reste liée à une vision rocambolesque à deux-états, à l’idée qu’Israël doit se défendre et que les Palestiniens foivent être systématiquement affaiblis, la vision de Balfour restera la pierre angulaire de la politique Britannique à l’égard de la Palestine.
Soixante-six ans après la fin de son « mandat » en Palestine, la Grande-Bretagne reste partie prenante de ce conflit sanglant, où Israël applique toujours les mêmes politiques d’expansion coloniale, exploitant - ce qui concerne aussi les Anglais - les fonds, les armes et l’appui politique de l’Occident. Pour pouvoir considérer qu’un vrai changement de politique a eu lieu, il faudrait que la Grande-Bretagne cesse de soutenir Israël et de financer l’occupation tout en agissant pour corriger l’injustice qu’elle a imposée aux Palestiniens il y a de cela un siècle.
Sans ligne de conduite claire pour aider les Palestiniens à conquérir leur liberté, le vote britannique demeurera un autre geste symbolique dans un conflit où l’occupation militaire, la guerre, le blocus, la mort et la destruction sont les réalités de tous les jours. Et quand les dirigeants britanniques, comme le Premier Ministre conservateur David Cameron continuent à répéter comme des perroquets leur soutien inconditionnel à Israël, même après les combats et massacres dans Gaza, on cherchera toujours en vain un signe de rupture avec l’héritage de Balfour.
* Ramzy Baroud est doctorant à l’université de Exeter, journaliste international directeur du sitePalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre,Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé àDemi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net