L’agence de gestion des frontières de l’UE a eu des entretiens avec l’industrie militaire israélienne à propos de la façon dont les drones peuvent contribuer à traquer les demandeurs d’asile.
- Le Hermes 900 Kochav, d’Elbit Systems, est un UAV (Unmanned Aerial Vehicle, véhicule aérien sans pilote embarqué, ou drone) de dimensions moyennes et à fonctions multiples - Photo : Wikicommons
Une nouvelle version de cet avion de combat sans pilote – le Hermes 900 – a fait ses débuts en combat quand Israël a attaqué Gaza au cours de cet été. Il pourrait falloir un certain temps avant d’avoir une idée du nombre de morts que l’on peut attribuer à cet engin de mort d’un genre particulier (ou, plus exactement, à ses opérateurs). Israël a interdit à Amnesty International et à Human Rights Watch d’entrer à Gaza pour enquêter sur la façon dont l’offensive a été menée.
Néanmoins, nous pouvons être sûrs que cet engin a contribué à infliger des souffrances et des destructions immenses. Capable de transporter deux fois plus de bombes que le modèle de drone qu’il va remplacer, le Hermes 900 a été inauguré lors de la première semaine de l’offensive, qui a débuté le 8 juillet. À la fin du mois, les Forces aériennes israéliennes jubilaient à propos du fait que le drone avait été utilisé « non-stop ».
Israël était très désireux d’insister sur ses applications moins létales aussi. Le Brésil a acheté un drone Hermes 900 à des fins de surveillance lors de la Coupe du Monde. La transaction a permis à Elbit, le constructeur de l’appareil, de se vanter de la façon dont il pouvait contribuer à la « sécurité » lors d’événements sportifs.
Au moins, la surveillance de masse des supporters de football a fait l’objet de très nombreux reportages. Au contraire, les discussions concernant l’utilisation potentielle des drones israéliens pour repérer les réfugiés mettant le cap sur les plages européennes sont largement passées inaperçues.
L’an dernier, Elbit a contacte Frontex, l’agence européenne de gestion des frontières, afin de mettre ses drones en valeur. Elbit a suggéré que l’agence pourrait avoir un « intérêt particulier » dans la « variante recherche et sauvetage » de l’Hermes 900.
En réponse, Frontex a fixé un rendez-vous dans son quartier général de Varsovie entre un de ses « hauts responsables » et la société d’armement. Elbit a assuré le suivi en proposant une « démonstration en live » de sa technologie, s’il faut en croire les documents internes de Frontex que j’ai obtenus conformément aux règles de l’UE concernant le libre accès à l’information.
Un autre fournisseur important d’avions de combat utilisés pour écraser Gaza, Israel Aerospace Industries (IAI), avait fait le même genre de démonstration pour Frontex en octobre 2011. IAI avait perçu plus de 260.000 dollars pour ce privilège, bien qu’il eût pu demander plus encore. Dans un échange de courriels, IAI garantissait à l’agence qu’il disposait des drones « les plus adéquats » pour repérer les demandeurs d’asile. Pour mettre en évidence son côté altruiste, la firme avait proposé d’exhiber ses marchandises à un « tarif fortement réduit ».
Ces entretiens discrets fournissent certaines indications sur les raisons pour lesquelles l’UE a refusé d’imposer à Israël un embargo sur les armements. Il y a trois ans, Frontex s’est vu accorder le pouvoir d’acheter et de prendre en leasing ses propres équipements (jusqu’alors, l’agence les empruntaient aux gouvernements européens).
L’agence est parfaitement consciente qu’Israël est un innovateur important en ce qui concerne les drones qu’elle convoite. Elle sait également qu’IAI a participé aux projets de recherche financés par l’UE sur la façon dont les drones peuvent traquer les demandeurs d’asile. Personne ne devrait se laisser abuser par des expressions à caractère émotionnel comme « recherche et sauvetage » ou « sécurité ». Frontex suit un agenda essentiellement raciste consistant à tenter d’empêcher des étrangers de pénétrer en Europe.
Une logique obscène sous-tend la raison pour laquelle les fonctionnaires européens de la gestion des frontières souhaiteraient coopérer avec Israël. Aussi bien Frontex qu’Israël ont violé les droits des réfugiés palestiniens.
Dans le cadre de ses activités, Frontex opère avec les autorités grecques pour repérer les demandeurs d’asile. Un rapport de plusieurs organisations des droits de l’homme, publié en mai, révélait comment Frontex enregistrait que les réfugiés palestiniens qui avaient vécu en Syrie était « apatrides », sans reconnaître qu’ils fuyaient une guerre civile très violente.
Ces réfugiés se voyaient intimer l’ordre de quitter le territoire grec dans les 30 jours. Un principe repris dans les lois internationales – stipulant que personne ne devrait être expulsé vers un pays où sa vie serait en danger – a été allègrement ignoré par une agence de l’Union européenne.
Israël est un État créé à partir d’une dépossession de grande envergure. Quelque 750.000 Palestiniens ont été déracinés lors de la Nakba (mot arabe pour « catastrophe »), l’épuration ethnique, à l’époque de la création d’Israël en 1948. Nombreux sont ceux qui ont fui vers Gaza. Au cours des six dernières années, ces réfugiés ont subi trois agressions à grande échelle.
Des témoignages oculaires de médecins travaillant dans les hôpitaux de Gaza indiquent qu’Israël a largué des armes expérimentales, durant l’offensive de cet été. On croit que, parmi ces armes, figurent des DIMEs (dense inert metal explosives – explosifs à métaux inertes de forte densité), qui provoquent d’horribles blessures en brûlant à très haute température. Al-Haq, le groupe palestinien des droits de l’homme, a déclaré que ces DIMEs équipaient des missiles Hellfire largués par les drones israéliens.
La seule réponse adéquate et compatissante à de telles horreurs est de cesser de faire des affaires avec l’industrie militaire israélienne. Cette démarche requerrait de rompre l’engagement d’investir davantage dans le développement de drones pris par les chefs d’État et Premiers ministres européens en décembre 2013. Alors qu’Israël n’est pas explicitement mentionné dans cet engagement, les importants projets de l’UE concernant les drones ont impliqué un important niveau de contribution de la part d’Israël.
Les drones Watchkeeper prévus par l’armée britannique, par exemple, ont été construits d’après le Hermes 450 d’Elbit. Du fait que ce dernier va devoir être remplacé par le Hermes 900, il a été commercialisé en tant que « premier stade » des « opérations contre-terroristes » d’Israël et comme avion « fiable ayant fait ses preuves en combat ». Les clients susceptibles de ces produits comprennent exactement ce que signifie ces euphémismes : les constructeurs de drones transforment leur contribution aux crimes d’Israël contre l’humanité en atouts de vente.
Même avant que Gaza ne soit bombardée, IAI avait déjà un carnet de commande de 9,7 milliards de dollars. Celui d’Elbit portait sur 6,2 milliards. Ne soyez pas surpris si ces armements font l’objet d’une demande accrue, désormais.
Cet été, Gaza a été transformée en laboratoire pour l’industrie militaire. En forgeant d’étroits lien avec l’industrie militaire israélienne, l’Europe a accordé aux Palestiniens le même statut que celui des animaux que l’on utilise au cours d’expériences cruelles. Avec son esprit indomptable, la population de Gaza a montré qu’elle n’accepterait jamais ce statut.