Khalil Nakhleh
Comment les Accords d’Oslo ont systématiquement sapé la
lutte palestinienne pour la libération et l’autodétermination, en la
remplaçant par une forme dangereuse de néocolonialisme économique. OLP
et AP en ont été les premiers bénéficiaires, facilitant la création de
« nouvelles classes prédatrices ».
- Bank of Palestina - PLC
Il ne s’agit pas ici d’évaluer l’impact des Accords d’Oslo, qui ont
commencé à être signés en 1993. Le « processus » n’a jamais été du genre
à se prêter à une analyse du type bilan comptable, montrant les côtés
positifs et négatifs de ce qui en transpirait. Les Accords ont été
destructeurs dès le début. Comme le formulait brillamment feu Edward Said :
« Les vulgarités du défilé de mode de la cérémonie à la Maison-Blanche,
[…] : tout cela n’a obnubilé que temporairement les proportions
vraiment incroyables de la capitulation palestinienne. Alors, avant
tout, appelons cet accord de son vrai nom : un outil de la capitulation
palestinienne, un Versailles palestinien ».
Ce qu’il faut analyser, c’est plutôt ceci : comment les Accords
d’Oslo ont systématiquement sapé la lutte palestinienne pour la
libération et l’autodétermination, en la remplaçant par une forme
dangereuse de néocolonialisme économique. La direction de l’Organisation
de Libération de la Palestine (OLP)/Autorité Palestinienne (AP) en a
été un partenaire bien disposé et par ailleurs bénéficiaire, facilitant
la création de « nouvelles classes prédatrices ».
La néocolonisation de la Palestine
La Palestine toute entière a bien sûr été soumise à une forme unique
de colonialisme, à savoir le colonialisme de colons qui s’installaient,
et ce depuis le début du XIXème siècle. Derrière le paravent du Mandat
Britannique, les colons sionistes et plus tard l’Etat d’Israël ont
dépouillé et déraciné la population indigène et volé leurs terres et
leurs ressources naturelles.
Ce processus toujours en cours s’est intensifié avec l’occupation de
la Cisjordanie et de Gaza en 1967 et plus particulièrement depuis le
début du « processus de paix » il y a 20 ans. Toutefois, celui-ci était
marqué par une forme nouvelle de colonisation et de néolibéralisme que
je qualifierai de néocolonialisme économique.
Les résultats de la recolonisation du Sud, qui a démarré en Amérique
du Sud et s’est poursuivie en Afrique et au Moyen-Orient, mérite qu’on y
réfléchisse un moment, puisqu’elle a été mise en œuvre et continue
d’être appliquée en Palestine (terme que j’utilise pour sa concision).
Le processus néolibéral de recolonisation du Sud a remplacé les armées
occupantes, les armes de destruction et les missiles par des systèmes et
des agents invasifs qui :
* imposent la dérégulation des secteurs publics
* privatisent des services indispensables, comme l’éducation, les soins de santé et la sécurité sociale
* endettent les gens au moyen de plans de crédit facilement accessibles avec la complicité d’institutions financières créées localement et de monopoles inventés localement, chargeant donc les citoyens de dettes et d’engagements financiers lourds qu’ils n’ont pas pu payer
* ont généré des niveaux de chômage élevés tout en réduisant les opportunités d’emploi.
* privatisent des services indispensables, comme l’éducation, les soins de santé et la sécurité sociale
* endettent les gens au moyen de plans de crédit facilement accessibles avec la complicité d’institutions financières créées localement et de monopoles inventés localement, chargeant donc les citoyens de dettes et d’engagements financiers lourds qu’ils n’ont pas pu payer
* ont généré des niveaux de chômage élevés tout en réduisant les opportunités d’emploi.
La conséquence fut la paupérisation de générations entières et la
soumission politique et économique de la majorité de la population aux
nouvelles élites qui contrôlent les ressources politiques et
économiques. En même temps, ce processus a implanté ancré un mirage
généralisé - à savoir que ces changements amèneraient la libération du
peuple et assureraient leur bien-être économique. La Palestine n’est pas
différente ; elle n’a pas échappé à ce que Chris Hedges nommait avec
pertinence une « capacité collective de s’auto-illusionner ».
La Palestine néocoloniale, qui a reçu quelque 23 milliards de dollars
depuis 1994, porte actuellement le poids d’une dette extérieure et
intérieure d’au moins 4,3 milliards de dollars. Elle est souvent
incapable de payer les salaires de ses 17.000 fonctionnaires à la fin du
mois. Le taux de chômage sans cesse croissant, par exemple, dépasse
45 % parmi les diplômés universitaires et les personne de moins de 30
ans. Son économie est totalement dépendante de celle de son occupant et
de « l’aide » extérieure. Du point de vue de son développement, la
société palestinienne est au bord de l’explosion.
- Hotel Movenpick - Ramallah
De plus, le processus d’Oslo a ancré la non-souveraineté de la
Palestine. Le concept de souveraineté [le pouvoir de décider
démocratiquement] est utilisé ici dans un sens holistique, c’est-à-dire
qu’il ne renvoie pas seulement à la souveraineté politique mais englobe
également l’économie, l’alimentation, l’éducation, la santé l’eau et
d’autres ressources cruciales pour un développement humain durable.
Ayant été sujette à de nombreuses formes d’occupation la Palestine n’a
jamais fait l’expérience d’une souveraineté véritable. Néanmoins elle
expérimente aujourd’hui – dans cette illusion d’autonomie inoculée par
le processus d’Oslo – une absence de souveraineté sans précédent dans
toutes les sphères citées ci-dessus.
Considérons simplement les quelques faits suivants. Les Territoires
Palestiniens Occupés (TPO) sont sous le contrôle absolu de l’occupation
militaire israélienne en collaboration avec les forces de sécurité bien
entraînées et grassement subventionnées de l’AP.
Par ailleurs, le peuple palestinien a été fragmenté en cinq
compartiments : la Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-Est, les citoyens
palestiniens d’Israël et les Palestiniens de la diaspora (al-shatat).
Chacun de ces groupes expérimente - ou plutôt endure – un statut
d’administration et de gouvernance différent : occupation, statut de
réfugié, citoyenneté minoritaire, et exil. Ils sont fragmentés encore
plus profondément au micro-niveau, par exemple dans la classification en
Zones A, B et C, chacune ayant son propre statut juridique. La capacité
des Palestiniens de se déplacer librement entre ces groupes et
au-dedans dépend entièrement de l’approbation des forces d’occupation
israéliennes.
Et puis, bien sûr, il y a la subordination formelle et absolue de
l’économie palestinienne à Israël, pour qui elle sert de marché captif.
Comme l’exprime sobrement Sam Bahour(*), « Les
ressources économiques stratégiques qui constituent un état sont la
terre, l’eau, les routes, les frontières, le spectre électromagnétique,
l’espace aérien, la mobilité, l’accès, l’électricité, des relations
commerciales libres et, la plus importante, la ressource humaine […]
sont à 100 % micro-managées par l’occupation militaire israélienne ».
Au-delà de l’instauration d’une non-souveraineté, le processus d’Oslo
a incubé de nouvelles « classes prédatrices » qui se sont gavées sur
les groupes vulnérables, ont accédé aux privilèges politiques et aux
fonds des donateurs, et ont donné un vernis de légitimité à la
normalisation avec les structures de l’occupation israélienne, tout en
servant de subordonnés pour l’occupation – voir.
Ce qui dans le passé se faisait avec répugnance et subrepticement, en
raison du risque d’être exclu et abandonné par la société en général,
voire parfois au risque de sa vie, se fait, depuis Oslo, ouvertement,
sans vergogne, voire avec une fierté orgueilleuse, par exemple en
obtenant des accords prétendument innovateurs pour le développement de
la Palestine.
- Ramallah - Dunia Trade Center
(la liste n’est pas du tout exhaustive)
* des courtiers politiques qui normalisent les contacts entre l’AP et l’administration israélienne de l’occupation
* des courtiers fonciers qui réalisent des affaires immobilières en
vendant des terres indigènes à des gens fortunés, palestiniens, arabes,
ou juifs vivant hors de Palestine
* des courtiers financiers qui agissent en tant qu’intermédiaires entre
agences d’aide transnationales, agences gouvernementales étrangères,
compagnies commerciales, d’une part, et ONG et firmes locales, d’autre
part.
* des courtiers du capital, qui mettent en relation des Palestiniens des
TPO avec des capitalistes palestiniens, arabes, juifs israéliens, juifs
occidentaux et d’autres capitalistes occidentaux qui recherchent des
investissements lucratifs en Palestine
* des courtiers en sécurité, qui mettent en relation des entreprises de
sécurité israéliennes et occidentales avec des firmes et des compagnies
locales ayant des besoins de sécurité émergents.
Libérons-nous de cette fâcheuse situation
Dans son ensemble, le développement économique de la Palestine depuis
les Accords de Camp David, et en particulier depuis les Accords d’Oslo
de 1993, a été fragmenté et non cumulatif. Il a été mis en œuvre au
premier chef par l’occupation israélienne - la colonisation des terres
et le siphonnage des ressources - mais également par une coalition entre
des élites capitalistes et politiques palestiniennes, des ONG œuvrant
pour le développement, et des agences d’aide transnationales.
Cette coalition dépendait du flux d’argent transnational et de la
collaboration avec les corporations juives-israéliennes en Israël, dans
la région, et dans le monde. Beaucoup – notamment l’actuel Premier
Ministre israélien Benjamin Netanyahou – espéraient que cela
entraînerait un état permanent de « paix économique » (**).
L’aide avancée à la Palestine dans le contexte des Accords d’Oslo
sous une occupation et une colonisation qui se prolongeaient, est une
aide politique par excellence. Elle est avancée dans le but précis de
persuader le peuple palestinien de consentir et de se soumettre à un
agenda économique et politique imposé, lequel est déterminé, formaté et
dicté par la stratégie mondialiste néolibérale de l’occupant
palestinien.
Une telle aide se concentre sur la non production et sur une
consommation impudente étalant impudemment des signes de richesse, en
s’appuyant sur un crédit facile proposé par les institutions
financières, autrement dit, en endettant et en rendant captives de la
dette politique et économique toute la société actuelle ainsi que les
générations futures. C’est cette aide même qui enjoint aux Palestiniens
de consommer ce qu’ils ne produisent pas – et de ne manger que ce que
leur occupant autorise, et au moment où il l’autorise.
Il existe une alternative : une approche différente du développement que j’appelle le développement de libération centré sur le peuple.
Il nécessite un ré-agencement de nos structures mentales et de nos
institutions sociales, économiques et éducatives, pour mener par
processus cumulatif à l’autodétermination et à la libération
socio-politique et économique.
Un tel processus de restructuration ciblerait la société toute
entière afin de renforcer et de mettre en valeur ses ressources
indigènes ; il vise en premier lieu à résister et à abolir l’occupation
étrangère, la recolonisation politique et économique ainsi que les
classes prédatrices. Voir
- Le mur d’apartheid
Le défi est maintenant le suivant : comment recomposer cet
environnement imposé artificiellement et le rendre démocratique et
promoteur de liberté ? Premièrement, les Palestiniens doivent éviter
ceux qui insistent fébrilement sur des solutions immédiates dans le
contexte existant, statu quo qu’ils acceptent, qu’ils soutiennent et
dont ils tirent profit. Notre approche doit plutôt être stratégique et
sur le long terme.
Le processus doit commencer avec une auto-libération du genre de
celle que défendait Frantz Fanon dans son essai « Les damnés de la
terre » (basée sur une conscience créée et cultivée par l’indigène
lui-même, et enracinée dans l’histoire, les points forts et les systèmes
de valeur du peuple. voir en ligne : ceci ou cela
Un pas décisif vers cet objectif est de réviser le cursus éducatif
afin de redéfinir ce que signifie « être un Palestinien » dans le
contexte de l’occupation prolongée, et de réintégrer cette compréhension
de la palestinianité avec celle du reste du peuple palestinien.
Une démarche similaire est de ré-instiller des valeurs culturelles
positives das notre société en particulier le volontarisme.
En parallèle, il faudrait concentrer les efforts sur le
rétablissement de la souveraineté populaire en réclamant les moyens
agricoles de production – nos terres et nos ressources naturelles, en
particulier l’eau. Des coopératives agricoles devraient damer le chemin
en avant vers un futur prévisible. Imiter le capitalisme et ses marchés
prétendument ouverts n’est pas le chemin à suivre pour consolider notre
tissu sociétal sous oppression et sous occupation. Nous devons
travailler sur la production plutôt que sur une consommation
tape-à-l’oeil et promouvoir l’objectif de consommer ce que nous
produisons.
Ce genre d’approches stratégiques pourrait en fin de compte mener à
l’émancipation et à la libération collectives. Cela prendrait du temps
mais le peuple palestinien peut s’inspirer de l’expérience de ses
nombreux combats au cours du siècle dernier. Il n’y a vraiment pas
d’autre voie : libération, indépendance, autosuffisance et souveraineté
ne peuvent être atteintes dans le cadre créé par le processus d’Oslo.
(**) Cf Trenton, N.J. and London : The Red Sea Press, 2011, disponible à.
Mon livre est fondé sur 30 années d’expérience dans diverses
institutions où j’espère avoir contribué au développement de mon pays,
la Palestine - la Palestine historique.
*Khalil Nakhleh est un anthropologue et chercheur
palestinien, consultant indépendant pour le développement et
l’éducation, auteur de nombreux articles et de plusieurs livres sur la
société palestinienne : Le mythe du développement palestinien, L’émancipation des générations futures, L’avenir de la minorité palestinienne en Israël, Globalized Palestine : The National Sell-out of a Homeland. Le Dr Nakhleh réside à Ramallah et peut être joint à : abusama@palnet.com.
http://al-shabaka.org/oslo-replacin...
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM