Je ne m’attendais pas à ce que Marwan Barghouti reste prisonnier
dans les geôles israéliennes aussi longtemps. En avril prochain, il
aura effectué douze ans.
Je me souviens encore de ce matin d’avril, quand je suis allé le
voir au centre de détention de Meskobieh à Jérusalem, trois jours
après son enlèvement du centre de la ville de Ramallah.
Dans une salle réservée aux visites des avocats, je me suis assis, ne
m’attendant pas vraiment à ce qu’on me permette de le voir.
Selon mon expérience, les enquêteurs israéliens ont toujours
empêché la visite de l’avocat au détenu de sécurité, de façon à
l’isoler dans les premiers jours de l’enquête et à le priver de toute
assistance en le laissant à la merci de l’isolement avec le sentiment
que " les amis et la famille " l’ont oublié, ce qui atteint son moral et
ses capacités à faire face.
Marwan est venu vers moi. Je pense qu’il a été lui aussi surpris par
la visite, tout autant que moi, et en moins d’une seconde, on s’est
serré dans les bras.
Les questions et les réponses ont fusé, sa principale
préoccupation était de rassurer sa famille qu’il aime comme son
pays. Pendant deux heures, cette pièce exiguë est devenue une sorte de
palais de nostalgies. Marwan n’était pas inquiet et n’avait pas peur
d’être enlevé et détenu en Israël. Il parlait lentement, en essayant
d’économiser ses forces et sa respiration. Je le regardais, son
visage fatigué, ses traits tirés, son teint sombre, l’homme ne me
semblait pas comme à son habitude. Cependant, il est resté digne.
Il me regardait " Je n’ai pas dormi, Jawad ! Depuis plus de 24
heures … ils m’empêchent de dormir …Ils emploient des méthodes
sataniques … Crois-moi, Jawad, ce sont des formes de torture les plus
atroces … J’ai failli devenir fou… Je suis épuisé et je perds parfois
la capacité de réfléchir et de me concentrer… ". Il s’est tu pour
rassembler ses forces puis il a continué en disant, " Ils ont
l’intention d’attaquer la légitimité de l’Intifada et de la résistance
palestinienne à travers mon arrestation et mon procès, ils veulent
saper le président Arafat, et ils visent à délégitimer l’organisation
du Fatah et le Conseil législatif palestinien …".
En un instant, mes souvenirs m’ont ramené quelques années en
arrière, à ces jours d’avant et aux détails de l’affaire, qui étaient,
d’après la plupart des faits et des éléments, uniques et spécifiques.
Celui qui lit l’acte d’accusation prononcé contre Marwan Barghouti
saura l’importance des objectifs qu’Israël a essayé de frapper, et le
nombre d’experts juridiques, médiatiques et diplomatiques investis
pour persuader " le monde" que ce pays a été capable d’arrêter le plus
grand terroriste de tous les temps, qui représente pratiquement
une direction terroriste d’une population de terroristes.
Il comprendra aussi que faire avorter et déjouer les plans
d’Israël, était devenu d’un intérêt national et historique
supérieur. Celui qui se remémore ce que ce dossier a suscité comme
mobilisation internationale officielle, institutionnelle et
populaire, pourra mesurer son importance et le rôle joué par Marwan
ainsi que l’importance de la position de principe qui a été la sienne.
J’écris ceci pour rappeler à la génération d’aujourd’hui certains
détails importants qui ont pu être oubliés et affirmer que la
libération de Marwan Barghouti présente un intérêt qui dépasse
l’importance de justice qu’il mérite. Elle équivaut à la
reconnaissance de valeurs et d’acquis qu’Israël a tenté d’effacer.
C’est aussi le rappel des prises de positions et des batailles dont le
tribunal a été le théâtre ; au premier plan, l’objectif de
contrecarrer l’attitude constante des dirigeants israéliens et de
réussir à renverser l’équation par la mise en accusation de
l’occupation qui doit être poursuivie et jugée.
Aujourd’hui, je me rappelle encore de cette première et
importante visite où j’ai pu me rassurer à son sujet, d’autant plus
que certains médias israéliens ont publié les regrets et la colère du
Premier ministre Sharon quand il a appris que les soldats avaient
arrêté Marwan Barghouti au lieu de le tuer et de se débarrasser de lui
une fois pour toutes.
C’est au cours de cette visite que je me suis entendu avec Marwan
sur la ligne de défense de principe que nous allions mener et selon
laquelle nous ne reconnaîtrons ni la légalité de son arrestation
à Ramallah, car c’est un enlèvement, ni la légalité des
interrogatoires, ni les tribunaux de l’occupation militaires ou
civils qui sont au service de l’occupant.
Marwan Barghouti est un député élu et un leader politique connu,
nous n’accepterons pas une accusation préparée pour le compte de
l’État israélien occupant et peu importe son contenu.
Le droit de résister à l’occupation est un droit garanti, et c’est
l’occupation qui devrait être inculpée et jugée pour ses actes et ses
crimes contre le peuple palestinien.
Je me souviens encore quand je l’ai quitté pour le laisser entre les
mains des enquêteurs, sachant qu’ils ne le laisseraient pas dormir
car ils ne supportent pas sa ténacité et qu’ils allaient essayer de
briser son image et sa pensée.
Dehors, à la sortie de la prison, j’ai rapporté aux journalistes
les déclarations de Marwan, et rappelé notre position, ce qui devint
plus tard le célèbre dossier : " Marwan Barghouti " - contre
l’occupation israélienne de la Palestine. Depuis, des années se sont
écoulées, mais ce dossier est toujours ouvert et d’actualité.
Par Jawad Boulos, avocat de Marwan Barghouti lors de son procès à Tel Aviv
Traduit par Moncef Chahed