Laurent Zecchini, Le Monde, mercredi 26 mars 2014
Si l’enjeu n’était pas aussi déterminant pour l’avenir de la
population palestinienne, les tractations diplomatiques qui
s’intensifient à l’approche du 29 mars
pourraient paraître dérisoires. Soumis à une pression accrue de
l’administration américaine, Israéliens et Palestiniens disposent
encore d’un peu plus d’un mois (jusqu’au 29
avril) pour tenter de se mettre d’accord sur un consensus minimal : la
prolongation — au-delà de la période de neuf mois qui avait été
convenue entre eux —, des négociations sur les grands principes de
l’accord-cadre pour la création d’un Etat palestinien, que doit leur
proposer Washington.
Mais c’est en réalité fin mars que les choses vont se jouer : Israël doit relâcher le quatrième et dernier contingent des 104
prisonniers palestiniens qu’il s’était engagé à libérer au début de
ce cycle de pourparlers, en échange de l’engagement de l’Autorité
palestinienne de surseoir à toute démarche visant à obtenir son
adhésion à différentes agences des Nations unies, voire à la Cour
pénale internationale. 26 prisonniers palestiniens, condamnés avant les accords d’Oslo (1993) doivent, en principe, être élargis à la fin de la semaine.
Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, assure que
leur libération n’est pas liée à la poursuite des négociations (il
se réserve donc la possibilité de refuser la seconde), tout en
laissant entendre que celles-ci seraient à coup sûr compromises si
Israël renonce à libérer les prisonniers. Le sort des détenus dans les
geôles israéliennes a toujours été au cœur des préoccupations de
la société palestinienne (rares sont les familles qui ne sont pas
concernées). L’insistance de M. Abbas se comprend d’autant mieux qu’il
ne peut se prévaloir d’aucune autre avancée auprès de ses concitoyens
pour justifier un processus de négociations jusque-là stérile.
La « carte Pollard »
En Israël, de nombreux responsables politiques s’expriment sur le
sujet : les plus modérés, comme la ministre de la justice Tzipi Livni,
qui pilote les négociations avec les Palestiniens, sont d’avis de ne
pas libérer les prisonniers si M. Abbas ne donne pas son accord pour
poursuivre les négociations. Les plus ultras, comme Danny Danon,
vice-ministre de la défense et chef de file de l’aile dure du Likoud,
le parti du premier ministre Benyamin Nétanyahou, sont opposés à la
remise en liberté de « terroristes ayant du sang sur les mains ». La
décision est d’autant plus difficile à prendre que M. Abbas exige que 14 Arabes Israéliens (qui ont la nationalité israélienne) soient inclus dans la liste des 26 prisonniers.
Alors qu’il assure avoir reçu des assurances en ce sens de la part
du secrétaire d’Etat américain John Kerry, le gouvernement israélien
dément l’existence d’une telle clause, et se réserve le droit de
choisir l’identité des prisonniers libérables. Le différend semble
inextricable, sauf à jouer la « carte Pollard »… Jonathan Pollard est
un citoyen américain interpellé en 1985 et condamné en 1987
à la prison à perpétuité aux Etats-Unis pour espionnage au profit
d’Israël. Sa libération est demandée depuis des années par les
Israéliens : il est devenu une cause nationale.
Le marchandage diplomatique (officieux) pourrait être le
suivant : la libération de Pollard en échange de celles des
Arabes-Israéliens. Un tel accord semble très incertain, notamment
parce que le président Barack Obama s’est toujours refusé à faire
preuve de clémence en faveur de l’ancien analyste de l’US
Navy. Ces tractations se déroulent dans la coulisse, mais sur fond
de tension croissante en Cisjordanie, d’accélération de la
colonisation dans les territoires palestiniens occupés, et alors
que les positions des deux parties sur leurs principaux désaccords
(le tracé des frontières, le droit au retour des réfugiés, la question
de Jérusalem, etc.) n’ont jamais semblé aussi éloignées.
John Kerry interrompt son voyage
Alors que M. Nétanyahou continue d’exiger des Palestiniens qu’ils
reconnaissent Israël comme « Etat-nation du peuple juif », M. Abbas
répète qu’une telle concession est hors de question. Outre le soutien de
la Ligue arabe, il a reçu, mercredi 26
mars, celui du sommet des dirigeants des pays arabes réunis à Koweït,
qui ont affirmé « leur refus total et catégorique de reconnaître
Israël comme un Etat juif ».
Ce bras de fer entre Israéliens et Palestiniens devrait trouver
son épilogue dans les prochains jours : les seconds font monter la
pression en menaçant de relancer leurs démarches onusiennes si Israël
ne libère pas les prisonniers. Ce scénario ne comporterait alors
qu’une certitude : ce serait la fin de ce cycle du processus de paix.
C’est pour cela que John Kerry, interrompant un voyage en Europe et en
Arabie saoudite avec le président Obama, rencontrera Mahmoud Abbas,
ce mercredi à Amman (Jordanie), dans ce qui ressemble à une réunion
de la dernière chance.