Des pressions de l’intérieur sur les colonies israéliennes
Isaac Scharf et Aron Heller, Traduction : SF pour BDS France
Associated Press, publié le 13 février 2014 dans Israël News: http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4487794,00.html
Tandis que le monde entier critique les constructions
d’Israël en Cisjordanie, une désapprobation persiste aussi dans le pays,
depuis les protestations diplomatiques de parlementaires jusqu’au
boycott de produits des colonies par des consommateurs.
Des entreprises de Cisjordanie rencontrent une résistance à leurs produits.
En ce moment, quand Yaaacov Berg tente de vendre sa ligne
de vins de choix de Psagot, qui a été distinguée par des prix, il
rencontre des obstacles de tous côtés. Son produit est de plus en plus
mis de côté parce que venant d’une colonie de Cisjordanie. Berg, qui a
37 ans, dit que le refus ne vient pas que de l’étranger mais de Tel Aviv
même : « en fait, nous avons de gros problèmes ; il est quasiment
impossible de vendre aux restaurants (de Tel Aviv) » ajoute-t-il.
Alors qu’Israël est embourbé dans le combat contre les
appels croissants au boycott des produits israéliens et des entreprises
qui ont des liens dans les colonies controversées, on voit discrètement
émerger parmi les Israéliens une campagne qui avance sans bruit et de
manière plutôt informelle.
Des Israéliens partisans de longue date de la paix mais
qui ont longtemps considéré que les colonies n’étaient pas tellement un
problème, commencent à demander pourquoi Israël continue à y construire
face à ce qui apparaît comme un consensus mondial proche de
l’indignation.
Même parmi les Israéliens qui considèrent que la
Cisjordanie appartient de droit à Israël, on note maintenant un certain
malaise face à la poursuite d’investissements en Cisjordanie au
détriment de solutions à apporter à la crise intérieure du logement et
autres problèmes sociaux en Israël.
Bien qu’il n’y ait pas de mouvement organisé, il est de
plus en plus évident qu’une prise de distance se manifeste de fait par
rapport à la colonisation : des gens évitent notamment d’acheter des
produits des colonies allant du vin à des aliments bio et aux
cosmétiques de la Mer Morte.
« En tant qu’Israélien, je m’oppose à un régime que je
trouve illégitime en Cisjordanie et je ne veux rien avoir à faire avec
lui, aussi je fais l’effort de ne pas acheter ces produits » dit Yaron
Racah, un employé de 38 ans, du secteur de l’High-tech de Tel Aviv. « Si
je ne peux pas y mettre fin, je peux au moins ne pas aggraver la
situation en prenant activement part à quelque chose en quoi je ne crois
pas ».
Plus de 550 000 Israéliens vivent en Cisjordanie et dans
Jérusalem Est, des zones voisines conquises lors de la guerre de 1967,
parmi environ 2,5 millions de Palestiniens. En 2013, les autorités
israéliennes ont planifié plus de 14 000 logements dans les colonies à
engager en plusieurs étapes, d’après La Paix Maintenant, le groupe
israélien anti-colonies.
Les Palestiniens disent que ces territoires ainsi que la
bande de Gaza, de l’autre côté d’Israël, le long de la côte, devraient
constituer leur futur Etat. Ils critiquent le fait que la croissance du
peuplement des colonies rendra encore plus difficile la partition de la
Terre Sainte entre Israël et un Etat palestinien.
Certains Israéliens voient un gros risque dans la
restitution de la Cisjordanie qui commande la région montagneuse sur la
partie centrale d’Israël. Beaucoup de Juifs religieux voient la
Cisjordanie comme leur centre biblique.
Le problème est venu au devant de la scène dans les
pourparlers de paix en cours, le secrétaire d’Etat John Kerry ayant dit
que la poursuite de la construction pose la question de l’engagement
d’Israël pour la paix. Avec des officiels européens de haut niveau, il a
averti Israël qu’il s’exposait à un isolement croissant et à des
pressions économiques si les pourparlers de paix échouaient et que les
colonies se développaient.
La question pendante est de savoir ce qui se passera si
Israël n’est plus du tout séparé de la Cisjordanie. Avec 6 millions de
Juifs et 2 millions de citoyens arabes en Israël, une fusion avec la
Cisjordanie ne ressemblerait pas tellement à un « Etat juif ».
Des deux côtés, certains disent qu’un point de non retour a
déjà été atteint. Et certains israéliens sont tellement énervés à cette
idée qu’ils en arrivent à des positions qui auraient semblé
incroyablement radicales il y a à peine quelques années.
Zehava Galon qui est à la tête du Meretz, le parti
d’opposition colombe, a dit que si elle s’oppose aux efforts de boycott
international total contre Israël, elle évite de consommer des produits
des colonies parce qu’il faut bien qu’il y ait « un prix à
l’occupation » : « C’est inacceptable. Quiconque a pensé qu’ils
pouvaient tromper le monde entier a eu raison pendant quelques années
mais c’est fini » dit-elle.
Certains universitaires se sont abstenus de coopérer avec
des collègues des colonies, une poignée d’acteurs a refusé de jouer dans
des théâtres des colonies et il y a eu quelques cas de réservistes
refusant de se présenter pour leur période de garde dans des colonies.
Au Parlement, des législateurs pacifistes ont récemment argumenté en
faveur de plus de transparence dans le financement des colonies.
Certains Israéliens parlent même tranquillement du besoin
d’une action plus dure dans le monde, en particulier de la part de
l’Union européenne qui accorde à Israël un statut spécial ; celui-ci est
la clef du sentiment de normalité de son peuple qui participe aux
compétitions sportives européennes et à des événements tels que le
concours de chansons Eurovision.
Amira Hass, qui tient une chronique dans le quotidien
Haaretz, et qui est considérée comme résolument pro-palestinienne par
nombre de ses concitoyens, a lancé un appel aux pays européens pour
qu’ils cessent de délivrer des visas aux Israéliens qui en font la
demande avant de voyager. « Une atteinte à notre liberté de mouvement et
l’éventualité de refus de visas seraient un avertissement adéquat, qui
nous dirait que notre normalité n’est qu’une illusion », a-telle écrit
mercredi.
Dans la mesure où des accusations d’antisémitisme ont été
prononcées en Israël contre le boycott international, ce genre de
parallélisme est très sensible dans le pays.
Yoram Cohen, de la cave Tanya dans la colonie d’Ofra, a
appelé les boycotteurs israéliens des hypocrites « branchés », qui n’ont
pas d’états d’âme pour acheter du vin provenant de pays bien pires en
ce qui concerne les droits humains. Berg a dit avoir peur qu’une
minorité qui donne de la voix « empoisonne » le discours public et gagne
de l’influence sur d’autres pour éviter les produits des colonies.
Les entreprises dans les colonies disent qu’elles
fournissent du travail bien payé aux Palestiniens ; c’est le cas de
Sodastream, fabricant international de machines à faire des boissons
gazeuses, qui a récemment fait sa publicité au Super Bowl avec la
participation de l’actrice Scarlett Johansson. Mais les officiels
palestiniens disent que la présence des colonies étouffe leur propre
développement économique.
Avec d’autres viticulteurs des colonies, Berg a récemment
annoncé publiquement que des douzaines de restaurants de tel Aviv
boycottaient leurs vins dans l’espoir de les faire changer de cap en
leur faisant honte.
L’agence de presse a contacté plus de douze restaurants de
tel Aviv, y compris certains nommés par les colons. Tous ont refusé
d’aborder le sujet. Ce n’était pas seulement la peur de s’aliéner des
clients qui les aurait dissuadés de parler mais également une loi
israélienne de 2011 qui peut les exposer à des poursuites en cas de
boycott officiel. La loi n’a pas fait de l’appel au boycott un délit,
mais un problème civil qui pourrait motiver une compensation financière.
Il n’y a pas encore eu de précédent.
Parmi les consommateurs, les sentiments sont mêlés : « il
nous faut montrer qu’il y a des gens ici qui n’approuvent pas les
colonies, que tout le monde ne pense pas que c’est OK » a dit un
habitant de Tel Aviv, Chai Hazen. « Si le boycott est le moyen de le
montrer… c’est ce que nous ferons ».
Mais quelqu’un d’autre, de tel Aviv également, Tali Biton,
a dit que les divisions internes ne font que nuire à l’image et à
l’économie du pays.
Yaniv Rosner, propriétaire d’un magasin de vins et
spiritueux de la ville proche de Kfar Saba, a dit que les clients
rejetant le vin des colonies étaient rares, autrement dit, le vin
devrait rester à l’écart de la politique : « donnez moi un bon vin du
Liban et je le vendrai aussi ».