Toufic Haddad - Alakhbar
Ramallah, la capitale financière et politique de facto de Cisjordanie, a l’air de régner sur un état souverain et prospère.
A droite sur la photo : Fakhri Barghouti - Photo : Toufic Haddad
D’énormes portraits du président de
l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, tenant dans la main la demande
de reconnaissance d’un état palestinien à l’ONU, couvrent les murs de la
ville. La construction de ministères gouvernementaux, d’hôtels, et de
centres commerciaux par des promoteurs bat son plein jour et nuit.
Les marchés fourmillent de monde et de
voitures neuves, achetées grâce aux nouveaux programmes de crédit. Les
routes qui exhibaient autrefois les signes infamants des roues de tanks
sont maintenant repavées, avec des lignes fraîchement peintes et des
trottoirs bien délimités. Il y a même des parcmètres grâce à un income generation scheme* entre la municipalité et la Banque Mondiale.
Mais si l’on sort de la fourmillante
Ramallah pour se rendre au petit village tout proche de Kobar à 15 km au
nord-ouest, le mirage de l’indépendance étatique s’évanouit rapidement.
Tous les Palestiniens qui roulent
régulièrement sur cette route se rappellent l’époque de la seconde
Intifada, époque à laquelle les bulldozers israéliens l’avaient éventrée
pour couper les villages environnants de la ville qui était leur
principale source de nourriture et d’approvisionnement. Et ils savent
qu’Israël peut recommencer quand il veut et avec la même impunité. Les
jeeps de l’armée installent quotidiennement des « check points volants »
pour arrêter les voitures, harceler et arrêter les passagers, et les
routes qui croisaient cette route en direction de villages plus éloignés
sont depuis longtemps interdites aux Palestiniens et réservées à
l’armée d’occupation et aux colons juifs.
En arrivant à Kobar on fait un bond en
arrière dans le temps. Une bonne partie des routes du village n’ont pas
été repavées depuis l’époque de l’occupation jordanienne avant 1967. On
préfère les ânes aux voitures comme moyen de transport. Le paysage de
Kobar, une succession de terrasses plantées d’oliviers, est le témoin
d’un style de vie vieux de centaines sinon de milliers d’années qui est
désormais menacé par l’extension des colonies juives implantées sur les
collines voisines.
Mais à Kobar on fait aussi un bond en
arrière dans un autre sens. Ce village de 5000 âmes s’enorgueillit que
des douzaines de ses filles et de ses filles aient été emprisonnés dans
les prisons israéliennes au cours de l’histoire de la lutte
palestinienne pour mettre fin à l’occupation israélienne.
Beaucoup de gens ont entendu parler de
Marwan Barghouti, le secrétaire général du Fatah de Cisjordanie, qui a
été condamné à plusieurs peines de prison à vie par les Israéliens. Il a
grandi ici dans une maison modeste à l’entrée du village.
Mais avant Marwan, il y en a eu d’autres,
notamment Fakhri et Nael Barghouti, les cousins de Marwan, qui ont passé
66 ans à deux dans les prisons israéliennes et sont rentrés récemment
grâce à l’accord d’échange de prisonniers conclu entre le gouvernement
israélien et le Hamas le 11 octobre 2011.
Quand on pense à l’échange de prisonniers
plusieurs semaines après on ne peut s’empêcher de se poser quelques
questions embarrassantes sur la manière dont les médias occidentaux ont
couvert l’échange de prisonniers et couvrent ce qui se produit dans la
région d’une manière générale.
Le monde entier sait beaucoup de choses sur Gilad Shalit et le combat de sa famille pour le libérer. Sa page sur Wikipedia est traduite en 23 langues et on a pu voir son visage jusque sur les taxis de Londres.
Mais on ne s’intéresse pas de la même
manière aux prisonniers palestiniens, bien qu’ils soient infiniment plus
nombreux et que l’histoire de leur vie soit souvent étonnante et
remarquable. Au contraire, la majorité des médias occidentaux ont choisi
de réduire la libération des prisonniers palestiniens à de simples
statistiques sans s’intéresser le moins du monde à leurs pensées ni à
leurs vies.
Le racisme et l’ironie du processus de
production du savoir occidental contemporain sur la Palestine est mis en
lumière de manière frappante quand on se penche sur le cas de Fakhri
Barghouti, dont l’histoire personnelle est à la fois révélatrice et
touchante.
Barghouti a été emprisonné 8 ans avant la
naissance de Gilad Shalit (Fakhri est en prison depuis 1978 et Shalit
est né en 1986). Il a passé 33 ans derrière les barreaux — 5 ans de plus
que le leader du Congrès National d’Afrique du sud, Nelson Mandela, et
seuls 10 prisonniers libérés pendant l’échange avaient passé plus
d’années que lui en prison. Mais à la différence de Mandela, il n’y a
pas eu de concerts de rock pour demander sa libération.
La libération de Fakhri et de ses
compagnons des prisons israéliennes n’a pas été accueillie par la
jubilation internationale qui a salué la fin de l’Apartheid. Ils ont été
libérés au milieu du silence international qui couvre la version
actuelle d’Apartheid que représente la colonisation israélienne de la
Palestine.
Pendant que Fakhri Barghouti était en
prison, il y a eu sept échanges de prisonniers dont il n’a pas eu le
droit de bénéficier, et son frère Rawhi, sa soeur Haniya, et ses deux
parents sont morts. L’histoire de ses enfants, Shadi et Hadi est tout
aussi douloureuse, et on en comprend mieux toute sa tristesse en
écoutant Fakhri en parler lui-même. (Voir l’interview exclusive de
Fakhri Barghouti.)
Ses deux fils ont été arrêtés par Israël et
ont rejoint leur père en prison. L’un a été accusé d’essayer de
capturer un soldat israélien dans l’intention apparente de l’échanger
ensuite contre son père et d’autres prisonniers.
Voilà le sort de Fakhri Barghouti, et de
milliers d’autres avant lui. Avec environ 700 000 Palestiniens
emprisonnés en Israël depuis le début de l’occupation de 1967, le
système carcéral israélien fonctionne comme une véritable institution
palestinienne.
Les officiers de l’armée israélienne l’ont
même reconnu implicitement lorsqu’ils ont justifié l’accord de
libération des prisonniers palestiniens en échange de Shalit. Le chef
d’état major, le lieutenant général Benny Gantz, a dit avant le vote du
cabinet : « J’ai envoyé les soldats au combat et c’est mon devoir de
donner mon appréciation professionnelle sur le sujet. L’accord est le
seul moyen [de libérer Shalit]. Il est possible que nous retrouvions
certains de ceux que nous avons libérés au cours de futures opérations
militaires, mais selon nos évaluations, relâcher les prisonniers ne
nuira pas à notre sécurité ». (Haaretz 13/10/2011)
C’est une manière implicite de reconnaître
que tous les Territoires Occupés de Palestine ne sont qu’une large champ
de manoeuvre d’opérations militaires israéliennes avec seulement des
niveaux de réglementation différents pour contrôler la vie des
Palestiniens en dehors et à l’intérieur des prisons israéliennes.
Personne ne le sait mieux que Fakhri
Barghouti, qui paraît beaucoup plus vieux que ses 57 ans car la dure vie
de prisonnier l’a usé. Entre les vagues de délégations palestiniennes
qui viennent encore le féliciter de sa libération, Fakhri observe le
monde surréaliste de la « liberté » — une existence douloureuse faite de
séparations, de privations, de force d’âme et de lutte pour la dignité
humaine.
Note :
* Income generation scheme : Genre
de subvention basée sur le fait de mettre en contact des gens ordinaires
et des personnes riches qui obtiennent des réductions d’impôts en
« donnant » de l’argent à des gens ordinaires.
* Toufic Haddad est co-auteur et éditeur de Between the Lines : Readings in Israel, the Palestinians and the US ‘War on Terror’
(Haymarket Books, 2007). Il prépare un diplôme d’Etudes du
Développement à l’école des études orientales et africaines de Londres.
15 novembre 2011 - Alakhbar - Pour consulter l’original :
http://english.al-akhbar.com/conten...
Traduction : Dominique Muselet
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Traduction : Dominique Muselet