Aya Kaniuk - Mahsanmilim
F. et trois autres jeunes qui avaient 16 ans et demi et 19 ans à
l’époque, étaient assis au pied d’un mur en construction et ils
réfléchissaient à la manière de renverser le régime israélien.
Ils étaient tous nés dans le camp de réfugiés de Qalandiya.
Ils ont d’abord caressé l’idée de lancer des grenades à
un check point. Mais ils ne savaient pas faire des grenades. Puis ils
ont eu l’idée de préparer des quantités de cocktails Molotov et de les
lancer au lance pierre à la place des cailloux. Mais R. dit qu’ils
s’éteindraient tout de suite et que ça ne marcherait pas. Alors ils ont
pensé mettre des explosifs dans des pneus et de les faire rouler vers
les soldats qui chassaient leurs proies habituelles autour du camp. Mais
ils ne savaient pas non plus faire des explosifs et ils ne
connaissaient personne qui puisse le leur apprendre.
En fin de compte ils ont décidé de faire sauter le mur
d’Apartheid. Pour cela il leur fallait apprendre au plus vite à
fabriquer des explosifs. Ensuite ils en prépareraient une grande
quantité et placeraient la première charge là, à l’endroit où ils
étaient assis. Ils traînèrent de grosses pierres pour marquer l’endroit.
Et ils se dirent que quand les explosifs feraient sauter le mur, le monde saurait que les Palestiniens ne restent pas passifs.
Et ils se dirent que quand les explosifs feraient sauter le mur, le monde saurait que les Palestiniens ne restent pas passifs.
Après avoir mis au point leur plan sur la comète, ils
rentrèrent chez eux. Et n’y pensèrent plus. Parce qu’en fait ils ne
savaient pas trop quoi faire ni comment le faire. Et qu’ils étaient
jeunes et insouciants malgré tout.
Deux mois plus tard, les soldats sont venus en pleine nuit arrêter F. qui avait 17 ans et demi à l’époque.
Je dormais, m’a-t-il dit, et j’ai été réveillé par un grand bruit quand ils ont fait exploser la porte d’entrée. Et j’ai eu terriblement peur. On nous a hurlé de nous mettre dans la même pièce. M. et R. n’étaient pas encore nés. J’étais pieds nus, a-t-il poursuivi. Il n’y avait que Maman qui avait des chaussons. Il y avait 10 soldats, je crois. Un d’eux parlait arabe mais il n’était pas arabe. Et il a hurlé de montrer nos cartes d’identité. Et seulement papa, maman et moi avions des cartes d’identité. E. n’en avait pas bien qu’il ait 16 ans et les autres étaient petits. Papa a donné nos CI. Alors ils ont hurlé mon nom et maman a crié : "Non !" et elle a couru s’accrocher au soldat. Mon père l’a rattrapée et l’a tenue et a dit au soldat : "Ne la tuez pas !" parce qu’il y a 6 mois Umm Bilal a sauté sur un soldat qui emmenait son fils et le soldat lui a donné un coup et elle a eu une attaque et elle est morte.
Je dormais, m’a-t-il dit, et j’ai été réveillé par un grand bruit quand ils ont fait exploser la porte d’entrée. Et j’ai eu terriblement peur. On nous a hurlé de nous mettre dans la même pièce. M. et R. n’étaient pas encore nés. J’étais pieds nus, a-t-il poursuivi. Il n’y avait que Maman qui avait des chaussons. Il y avait 10 soldats, je crois. Un d’eux parlait arabe mais il n’était pas arabe. Et il a hurlé de montrer nos cartes d’identité. Et seulement papa, maman et moi avions des cartes d’identité. E. n’en avait pas bien qu’il ait 16 ans et les autres étaient petits. Papa a donné nos CI. Alors ils ont hurlé mon nom et maman a crié : "Non !" et elle a couru s’accrocher au soldat. Mon père l’a rattrapée et l’a tenue et a dit au soldat : "Ne la tuez pas !" parce qu’il y a 6 mois Umm Bilal a sauté sur un soldat qui emmenait son fils et le soldat lui a donné un coup et elle a eu une attaque et elle est morte.
Et le soldat a rigolé, je me souviens qu’il a ri parce
qu’ils avaient de la peinture noire sur la figure alors quand lis
riaient leurs dents ressortaient.
F. a été arrêté pour avoir tenté de faire sauter le
check point de Qalandiya. Et il a été condamné à trois ans de prison à
la prison de Damoun. Les autres garçons ont eu des condamnations
similaires.
C’était difficile mais pas insurmontable, m’a-t-il dit
quand je le lui ai demandé. C’était surtout les interrogatoires qui
étaient horribles, a-t-il ajouté. Ils vous battent et ils vous
persécutent, et tout ça... Mais en prison ce n’était pas si pénible. La
nourriture n’est ni bonne ni suffisante, et je n’avais pas d’argent pour
aller à la cantine. Et j’ai appris l’hébreu et l’anglais aussi. C’est
les plus anciens qui nous l’apprenaient.
Ce qui était vraiment dur c’est de ne pas voir sa
famille, a-t-il dit. Sa mère avait eu droit de lui rendre visite deux
fois pendant toute la durée de sa détention et son père pas une seule
fois, ni son frère E. Il n’y a que des deux petites soeurs H. et S. qui
pouvaient venir le voir tous les quelques mois.
Un an avant sa libération, on a diagnostiqué un cancer
des poumons à son père. F. est devenu agité et s’est mis à se quereller
tout le temps. On l’a d’abord mis à l’isolement pendant deux semaines et
là aussi il criait et marchait sans arrêt alors on l’a amené au
capitaine du Shabak (services secrets israélien) qui venait souvent à la
prison. On l’appelle le capitaine Aiman, mais ce n’est pas son nom, dit
F. et il n’est pas arabe.
Le capitaine lui a dit qu’il pouvait même sortir le
lendemain et rester avec son père parce qu’il était un bon garçon qui
avait seulement fait une bêtise et le capitaine le savait bien. F. ne
dit rien et attendit parce qu’il savait déjà que rien n’est gratuit à la
prison ; on lui a donné une cigarette et il l’a prise, et du café et le
capitaine a dit : "Il y a beaucoup de problèmes au check point qui ne
sont pas le fait de bons garçons comme toi, j’ai juste besoin de
quelqu’un pour me dire qui les envoie. Ce sont des malheureux,
crois-moi, ils viennent me voir et ils me disent qu’ils ne veulent pas
le faire mais on leur dit d’aller au check point et de jeter des
pierres".
Et moi je lui ai répondu que ça m’était égal, que je resterais en
prison, que je ne voulais pas de ça, que je n’avais besoin de rien et
que je n’étais pas un "jasus" (espion, collaborateur).
Alors il a dit : "Mais tu est ici à cause d’un jasus.
Et j’ai dit, oui et vous voulez que je finisse comme ce jasus finira quand on saura ce qu’il a fait ?
Et il m’a dit, ce janus est ton frère.
Et il m’a dit, ce janus est ton frère.
Alors je me suis levé et j’ai essayé de le frapper et
deux gars qui étaient dans la pièce m’ont attrapé et m’ont battu jusqu’à
ce que je perde connaissance.
Et je me suis souvenue que son frère était allé au checkpoint et avait dit, je suis venu tuer un Juif, et j’ai tout compris.
Et je me suis souvenue que son frère était allé au checkpoint et avait dit, je suis venu tuer un Juif, et j’ai tout compris.
J’ai compris qu’il avait essayé de se racheter. C’était
sa manière de dire qu’il regrettait ce qu’il avait fait. Ce qu’on
l’avait forcé à faire. Et c’est pourquoi il n’a pas voulu qu’on l’aide
au tribunal. Il ne voulait pas de réconfort. Et il n’arrêtait pas de
dire qu’il voulait aller en prison "pour être avec son frère et tuer
ceux qu’i l’avait mis en prison".
Et F. dit qu’après il s’était senti mal. Il ne parlait
presque plus. Et il était triste. Et même après être rentré chez lui, il
n’était pas heureux. Et puis un jour il a compris qu’il fallait
pardonner, pardonner à son frère. Et il l’a fait. Et il est allé mieux.
Et il a cherché du travail et s’est mis à aider à la maison et il a
décidé d’aller étudier la médecine en Russie parce que à cette époque-là
ils donnaient encore des bourses aux Palestiniens ; c’est un peu plus
tard que nous nous sommes rencontrés.
Cela ne fait pas longtemps. Ce jour-là il y avait une
manifestation à Qalandiya. Je ne sais plus à quelle occasion. C’était la
commémoration de la Nakba ou juste après que Mahmoud Abbas ait demandé
la reconnaissance de l’état palestinien, ou le Jour de la Colère, en
tous cas, il n’y a pas longtemps. Mais il y a tellement de
manifestations. Et ce ne sont pas des manifestations comme les autres.
D’un côté il y a les soldats d’occupation avec leurs casques, leurs
fusils, leur arrogante dureté et leur amour de la guerre. Et en face, il
y a des enfants et des gamins et des pierres du camp de réfugiés de
Qalandiya et une colère sans nom et une jeunesse radieuse.
Et alors les soldats tirent et les enfants du camp lancent des pierres.
Cela fait des années que ça dure. Et si pour une raison ou une autre les
enfants cessent de lancer des pierres les soldats tirent pour les
réveiller. Et ils recommencent. Et les soldats tirent à nouveau. En les
visant directement. A bout portant. Ils le font parce qu’ils peuvent le
faire. Et avec les années, c’est comme ça qu’ils ont tué , un par un,
Omar qui avait 14 ans, Matar, qui avait 12 ans, Abu Latifa, les frères
Samer et Yassar Kusba —et tous les autres— parce que c’est l’Occupation.
Et puis j’ai vu deux de ses petits frères. M. et A. Et
A., qui est vraiment tout petit avait une pierre qu’il avait du mal à
tenir dans ses petites mains. Et je me faisais du souci parce qu’ils
étaient si petits et que c’était si dangereux mais je ne dis rien car
qu’aurais-je pu dire. Est-ce qu’ils n’ont pas le droit de résister au
mal à leur manière, et cela c’est la manière de ces petits enfants-là.
Mais il s’est passé une chose bien plus horrible quand
un homme beaucoup plus âgé que les garçons est sorti de chez lui, d’une
des maisons qui longent l’allée qui surplombe la grand route qui va du
check point à Ramallah. Il s’est mis à marcher en direction de la grand
route, doucement, le dos tourné aux soldats alignés avec leur fusils
pointés juste à côté de la maison de Fatma et Sami. Je me disais que les
soldats devaient regarder dans leurs jumelles et qu’ils l’avaient vu
sortir de la maison et qu’ils avaient vu qu’il ne faisait pas partie de
la manifestation, que même eux qui considèrent la résistance à
l’Occupation comme un crime avaient bien vu qu’il n’avait rien à voir
avec tout ça, quand il a reçu la balle dans le dos. Et comme dans les
films, son corps a tremblé un peu, il a encore fait un pas ou deux en
titubant, les yeux révulsés, ses jambes se sont dérobées sous lui, il a
perdu l’équilibre et il est tombé par terre. Les médecins du Croissant
Rouge se sont précipités pour le ramasser. Les sirènes de l’ambulance
qui roulait à toute allure ont résonné pendant un moment. Et je ne sais
pas ce qu’il est devenu.
J’ai appelé F. parce que même si ses petits frère
devraient avoir le droit de manifester leur colère à des soldats
d’Occupation capables de tout, c’est vraiment trop dangereux et je n’ai
pas pu m’en empêcher. Il m’a dit qu’il arrivait et il est en effet
arrivé peu après.
Les soldats tiraient sans pitié sur tout le monde. Il a
trouvé ses frères et leur a dit, venez les enfants, et ils ont fait un
sourire à ce grand frère qu’ils admiraient et ils l’ont suivi. Tous les
quatre, nous avons quitté la manifestation, les gaz lacrymogènes et les
tirs et nous avons grimpé la colline qui mène à la route de Ramallah
jusqu’à ce que nous soyons assez loin, et nous nous sommes assis sur un
mur bas au bord de la route.
Et j’ai commencé à parler. De ces soldats. Je leur ai
dit que c’était du petit bétail. Ils font ce qu’on leur dit de faire,
des choses qu’on cache derrière des mots comme "défense" et "sacrifice"
et "devoir" alors que ce qui les motive en fait c’est le besoin maladif
d’être ensemble et de tirer sur tout ce qui bouge parce que c’est la
norme acceptée par la société et que ça rapporte à la société, rien
d’autre.
Ils ne voient pas des personnes. Seulement des symboles sans visages. Et
j’ai dit à F. que je voudrais qu’ils aillent tous en prison, tous. Et
j’ai parlé de leurs mère qui collaborent. Que c’est une caricature de
l’amour, pas de l’amour véritable —d’accepter que son fils aille à
l’armée. Et pas seulement parce qu’il va persécuter un autre peuple pour
la seule raison que c’est "l’autre" mais parce qu’il risque sa vie à
lui aussi.
Et après avoir parlé un bon moment nous avons fait silence. Il a envoyé un des enfants chercher de la boisson et des falafels. Puis il m’a dit :
Et après avoir parlé un bon moment nous avons fait silence. Il a envoyé un des enfants chercher de la boisson et des falafels. Puis il m’a dit :
Aya, tu ne comprends pas, ces soldats dont tu dis tant
de mal ; ils sont moi. Ce soldat est moi aussi. Et j’ai levé sur lui un
regard interrogatif.
Quand j’ai jeté des pierres à ces soldats, est-ce que je n’étais pas comme eux ? Heureux de me battre, peu importe pourquoi ? Désireux d’en découdre parce que c’est une action valorisante et populaire, la norme en somme, ce que tout le monde fait ?
Quand j’ai jeté des pierres à ces soldats, est-ce que je n’étais pas comme eux ? Heureux de me battre, peu importe pourquoi ? Désireux d’en découdre parce que c’est une action valorisante et populaire, la norme en somme, ce que tout le monde fait ?
Mais les soldats ont des fusils. Ils gardent le check
point qui empêche votre famille de vivre. Sans compter la terre qu’ils
ont pris de force à des gens de votre famille. Et ils sont les agents
d’une politique de vol et de déportation et de terrorisme d’état. Ce ne
sont pas des gens comme tout le monde. Ils ne représentent pas la
justice.
C’est vrai, tu as raison a-t-il dit après un moment de
réflexion. C’est vrai, ils sont injustes, j’ai davantage raison qu’eux.
Parce que je me bats pour me défendre et eux ils m’attaquent. Mais quand
même je crois que quand je lançais des pierres à ces soldats, je le
faisais parce que nous le faisions tous et que c’était excitant et
dangereux.
Et je crois que ce soldat aussi fait ce qu’il fait pour
faire comme tout le monde et parce que c’est excitant et dangereux. Et
il ferait de bonne choses et se battrait contre le mal si c’était ce que
tout le monde faisait autour de lui.
C’est seulement par hasard qu’il est au service de l’Occupation.
C’est seulement par hasard qu’il est au service de l’Occupation.
D’accord, ai-je dit, mais quand même ce n’est pas la
même chose de se battre contre ceux qui vous agressent que de se battre
contre quelqu’un qu’on a agressé. Tu ne crois quand même pas que ce soit
la même chose, d’être un soldat ou d’être un civil ?
Non bien sûr. Comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est
différent du point de vue de la justice. Il y a l’occupant et l’occupé.
Ce n’est pas juste et c’est nous qui sommes occupés. C’est évident. Ce
n’est pas une guerre entre égaux. Ces gens-là sont venus chez nous, ce
n’est pas nous qui somme allés chez eux. Depuis le début ils nous disent
de partir, que cette terre n’est pas à nous et ils nous tuent et nous
chassent et ils tirent et prennent notre vie, notre santé, notre
travail, notre terre et bafouant la justice. Et nous avons le droit de
résister, nous en avons le droit.
Et tirer des balles et lancer des pierres n’est pas non plus la même
chose.
Mais l’homme est peu de choses. Cet homme est peu de
choses et celui-là aussi. C’est seulement dans les livres d’histoire
qu’ils disent que c’est mal que la Wehrmacht ait servi les Nazis et que
c’est bien que les alliés aient attaqué Dresden. Ce soldat est bon et
celui-là mauvais. Celui-ci sert la justice et celui-là non. Mais si nous
voyons les choses sous l’angle humain, je pense que chaque soldat est
au service de ce que son époque considère comme la norme.
Mais F., dis-je, peut-être que la motivation d’un soldat
qui sert l’état est la même sous tous les régimes et que ce n’est pas
parce que ce régime est tel ou tel qu’un jeune homme aura envie de se
battre sur un champ de bataille ou aura envie de se battre pour une
cause qui lui paraisse moins injuste. Mais quand tu jetais des pierres
ce n’était pas pareil. Ce n’est pas l’armée. C’est une résistance
spontanée contre ceux dont les bottes piétinent vos vies, non ?
Et F a dit, je ne suis pas sûr que tu aies raison, Aya.
J’ai beaucoup réfléchi à tout ça en prison. Et il faut que je te dise
quelque chose. Ce n’est pas facile à dire mais c’est ce que je crois
profondément. Est-ce que je n’aurais pas été lancer des pierres si nous
avions moins raison et qu’ils étaient moins criminels ? Je n’en suis pas
sûr... Je ne sais pas... Ceci est stupide et cela aussi. Celui-ci est
peu de chose et celui-là aussi. C’est pareil. Du point de vue de
l’humain, de la personne dans sa fragilité, pas de l’état, nous sommes
pareils. Pareils.
Nous continuions d’entendre les tirs et les ambulances
derrière nous et les gaz lacrymogènes arrivaient par moments jusqu’à
nous et nous devions nous arrêter de parler et attendre que nos poumons
et nos gorges s’éclaircissent. Et je regardais F. et je pensais : quelle
maturité il a, il est incroyable. Et il parle couramment mes langues,
l’hébreu et l’Anglais, qu’il a appris pendant ses trois ans de prison et
je ne suis pas encore capable de parler assez d’arabe pour avoir une
conversation avec lui et bien que ce soit horrible ça aussi, tout à fait
horrible, c’est un autre sujet.
Et je vais te dire autre chose, a ajouté F, en
interrompant mes réflexions. Ce soldat ne déteste même pas la personne
dont il répand le sang. C’est comme ça que vous dites, non ? Répandre le
sang. Quelle belle expression. Il tue parce que ses copains tuent et
parce qu’il peut le faire. Parce qu’il en a le droit. Que c’est légal.
Et que c’est considéré comme une bonne action. Et que tout le monde le
fait. Et qu’ainsi tout le monde est content. Content de lui. Mais ce
n’est pas par haine. Il ne tue pas par haine. Peut-être qu’il se met à
haïr après avoir tué. Mais il ne tue pas par haine. Il tue parce qu’il
aime tuer et qu’il aime être avec ses copains*.
Mais l’enfant qui jette des pierres ne les jette pas sur
n’importe qui, ai-je insisté. Pas sur moi. Seulement sur les soldats.
Sur les colons. Sur ceux qui sont venus lui prendre sa vie. Et le soldat
tire sur des gens qui ne lui ont rien fait. Simplement parce qu’ils
sont palestiniens. Et ça c’est du racisme.
Et il m’a répondu, c’est vrai, ils sont un peu racistes,
mais seulement un peu. Je suis d’accord avec toi que votre société est
plus raciste que la nôtre. Mais à mon sens ce n’est pas tellement par
racisme que les soldats nous traitent ainsi mais à cause de leurs
copains. Parce que c’est agréable. Parce que c’est ce qu’ils apprennent à
l’école. Parce que c’est considéré comme très important. Et qu’on vous
respecte quand vous le faites.
Et alors j’ai dit, mais F., est-ce que tu lancerais des pierres à n’importe qui ou seulement aux soldats ?
Il a ri et a dit, est-ce que tu te rends compte à quel
point tu me protèges, tu me comprends et tu justifies tout ce que je
fais ? Mais eux, les soldats israéliens, tu ne les comprends pas.
Pourquoi est-ce que tu me comprends quoi que je fasse et pas eux ?
C’est comme si tu prenais partie, mais le parti opposé. Parce que tu dis que tous les Palestiniens ont raison et tous les Israéliens sont coupables. C’est du racisme aussi, un peu, non ?
C’est comme si tu prenais partie, mais le parti opposé. Parce que tu dis que tous les Palestiniens ont raison et tous les Israéliens sont coupables. C’est du racisme aussi, un peu, non ?
Et j’ai pensé, comment peut-il, de là où il se trouve,
voir tout cela et avoir cette largeur d’esprit, une largeur d’esprit que
je n’ai pas, comment peut-il voir l’humanité en chaque être humain quel
qu’il soit, quoiqu’il fasse. mais je me suis dit, c’est son privilège
de pouvoir s’identifier à quelqu’un qui le persécute, l’agresse et le
dépouille. Je n’ai pas ce privilège car en cette période de l’histoire
je n’appartiens pas au peuple victime.
Moi je ne peux que juger. Et je le fais. Chaque cellule de mon corps le fait. Je juge ces jeunes et durs soldats de l’Occupation à la méchanceté bruyante et leurs mères qui ne se couchent pas sur les routes pour les empêcher de partir et les enseignants qui les confortent dans le désir de perpétuer cette injustice et cette normalité malsaine qui fait que chacun fait ce qu’il fait parce que c’est ce que tout le monde fait, sans se poser de questions.
Moi je ne peux que juger. Et je le fais. Chaque cellule de mon corps le fait. Je juge ces jeunes et durs soldats de l’Occupation à la méchanceté bruyante et leurs mères qui ne se couchent pas sur les routes pour les empêcher de partir et les enseignants qui les confortent dans le désir de perpétuer cette injustice et cette normalité malsaine qui fait que chacun fait ce qu’il fait parce que c’est ce que tout le monde fait, sans se poser de questions.
Et j’ai dit, c’est vrai, j’ai un camp. Mais pas de la
manière que tu crois. Je veux dire, mon camp n’a rien à voir avec une
quelconque appartenance. Et c’est vrai que mon camp n’est pas
obligatoirement ni automatiquement le peuple juif d’Israël, vraiment
pas. Mais ce n’est pas non plus le peuple palestinien. Mon camp n’a rien
à voir avec un peuple, une race, un des deux sexe, ou une ethnie. Mon
camp est celui de la victime.
Et en cette période de l’histoire vous êtes les victimes.
En cette période de l’histoire les Palestiniens, sont les victimes. Pas le peuple juif d’Israël. C’est pourquoi je prends leur parti. Le parti des victimes.
Et en cette période de l’histoire vous êtes les victimes.
En cette période de l’histoire les Palestiniens, sont les victimes. Pas le peuple juif d’Israël. C’est pourquoi je prends leur parti. Le parti des victimes.
Il a réfléchi un moment puis il a souri et dit, ça me
va, et il a caressé affectueusement la tête d’un de ses petits frères.
Nous avons mangé et bu en silence encore un peu pendant qu’au loin les
nuages de gaz lacrymogènes et les balles que nous avions complètement
oubliés, et les blessés et les morts éventuels imbibaient tout de
gouttes de tristesse.
Note :
"Mais la peur n’est qu’un prétexte que l’on se donne
pour obéir : le plus souvent on préfère obéir. On ferait tout pour être
ensemble, pour baigner dans l’odeur de trouille, pour boire l’excitation
qui rassure, qui chasse l’horrible inquiétude d’être seul." - L’art
français de la guerre de Alexis Jenni, p 64.
Novembre 2011 - Pour consulter l’original :
http://mahsanmilim.com/ThatSoldierI...
Traduit de l’hébreu par Tal Haranet et de l’anglais par Dominique Muselet.
http://mahsanmilim.com/ThatSoldierI...
Traduit de l’hébreu par Tal Haranet et de l’anglais par Dominique Muselet.