Jack Khoury
Susan Lourenco est bénévole de l’organisation Machsom Watch (observation des points de contrôle) depuis sept ans, aussi est-elle une habituée de quasiment tous les points de contrôle de l’armée israélienne en Cisjordanie.
Pour y avoir passé de longues heures avec d’autres femmes qui sont actives dans l’association, elle connaît parfaitement le point de contrôle de Huwara près de Naplouse – l’un des symboles de l’occupation et du contrôle qu’elle exerce sur la population civile palestinienne.
Vendredi dernier, Haaretz a annoncé que l’armée se retirerait de Huwara et qu’elle démantèlerait le point de contrôle. L’annonce a été reçue avec satisfaction par Machsom Watch qui a néanmoins prévenu que cette mesure n’avait rien de spectaculaire, car au bout du compte elle ne diminuera pas le contrôle israélien sur la population civile de Cisjordanie. En dernière analyse, le but de Machsom Watch n’est pas d’éliminer quelques points de contrôle ici et là mais de mettre fin à l’occupation.
Commençons par une note personnelle. A 75 ans, vous êtes toujours active dans l’ organisation ?
"Oui, je reste active et je continue à aller aux points de contrôle, à la fois ceux du centre comme Huwara et ceux du nord de la Cisjordanie dans la région de Jénine, et aussi quelquefois dans le sud, près du Mont Hebron. Vous savez, je ne suis pas seule. Il y a beaucoup d’autres militantes bénévoles qui, comme moi, s’installent aux points de contrôle pratiquement chaque jour."
A votre avis, Huwara est l’un des pires points de contrôle de Cisjordanie ?
"Oui, il est très dur et beaucoup de Palestiniens y ont souffert. Nous y avons été présentes et nous avons vu comment tout le monde, les femmes comme les hommes, était traité. L’attente durait des heures et des heures, sous la pluie en hiver et dans la chaleur terrible de l’été. "On voyait des hommes, des femmes et des enfants qui attendaient les fouilles au corps et aussi la fouille des voitures, menée de façon humiliante en y introduisant des chiens. On a vu l’humiliation dans les yeux de ces gens. C’est une injure, de mettre des chiens dans les voitures."
Pouvez-vous vous rappeler un incident spécifique ?
"Oui. Le cas d’une femme très malade qui arrivée au point de contrôle avec son mari a dû attendre très longtemps. Ils n’ont pas autorisé le mari à entrer en Israël avec sa femme malade. C’était horrible à voir. Mais je ne dis pas que des choses terribles comme ça arrivent tous les jours."
Comment les soldats se conduisaient-ils avec les Palestiniens ?
"Les soldats traitaient tous les Palestiniens comme s’ils étaient des terroristes. En fait ils reflétaient bien la vision des Palestiniens qu’on a en Israël. Tout le mode est soupçonné d’être impliqué dans des activités terroristes. Cela s’exprime dans la façon dont les gens sont traités. Tout le monde est suspect, alors c’est comme ça qu’ils agissent.
"Je ne dis pas que les soldats sont responsables de tout ce qui se passe. Au fond, nous parlons d’une occupation, et le point de contrôle en est un symbole. Il faut noter qu’il y avait toujours des colons qui se tenaient près des soldats et qui juraient et humiliaient les Palestiniens."
Est-ce que les soldats collaboraient avec les colons ?
"Je ne dis pas que les soldats collaboraient avec eux mais il y avait toujours des colons qui se trouvaient là, sans qu’on les empêche de s’en prendre aux Palestiniens et de les humilier. Cela n’avait rien à voir avec le fait que les Palestiniens étaient soupçonnés de quelque chose ou non. Ils humiliaient tout le monde."
Comment les soldats réagissaient-ils à votre présence ?
"Ils n’aimaient pas forcément qu’on soit là –comme si on les dérangeait dans leur travail et le processus des contrôles sécuritaires. De leur point de vue ils ne font que leur travail, ils obéissent aux ordres afin de préserver la sécurité d’Israël et ils voient tout en termes sécuritaires."
Alors, le démantèlement du point de contrôle de Huwara va rendre la vie plus facile à la population palestinienne et permettre la liberté de mouvement entre Ramallah et Naplouse ?
"C’est vrai mais ce n’est pas suffisant. Il n’est pas possible de dire que le démantèlement des points de contrôle est la solution au problème des Palestiniens en Cisjordanie. Dans d’autres endroits, où les points de contrôle ont été enlevés, ça n’a pas réellement changé la situation générale.
"Le problème des Palestiniens aujourd’hui, ce n’est pas seulement les points de contrôle. Il y a d’autres choses, comme le refus de délivrer des permis pour se déplacer, pour entrer à Jérusalem ou pour quitter la Cisjordanie. Tout nécessite un permis israélien et parfois cela prend beaucoup de temps.
"C’est un sujet très douloureux mais pas à la mode et ça ne fait pas l’objet de campagnes photo comme les points de contrôle, alors les gens n’en parlent presque pas. Il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas quitter la Cisjordanie à cause de quelque interdiction sécuritaire ou autre. En fin de compte, le point de contrôle n’est qu’un symbole supplémentaire de l’occupation. Les enlever n’enlève pas l’occupation."
Pensez vous que Machsom Watch a joué un rôle dans le démantèlement du point de contrôle de Huwara ?
"Je ne sais pas si l’armée est influencée par nos activités. Ce qui est sûr c’est que l’armée sait bien que nous sommes actives sur le terrain et que nous veillerons à rendre public ce qui s’y passe. Mais la plupart de nos activités ne visent pas l’armée. Nous travaillons à informer le public israélien de ce qui se passe aux points de contrôle, qui sont l’un des symboles de l’occupation. Nous expliquons que les points de contrôle n’ont pas pour but de protéger les citoyens israéliens mais les colons de sorte qu’ils puissent continuer à contrôler la terre."
Considérez vous que le démantèlement du point de contrôle est votre victoire ?
"Seulement partiellement, en ce cas. L’occupation reste la même avant et après Huwara, il est donc impossible de dire que c’est une victoire."
Pensez-vous que la décision de l’enlever marque un changement prochain de politique ?
"Pas du tout. A notre avis, c’est une sorte d’évaluation de la situation que fait l’armée et ça n’annonce rien de significatif pour l’avenir. Demain ou dans deux semaines, ils peuvent remettre en place le point de contrôle à Huwara ou ailleurs, et l’occupation existe toujours."
Allez vous continuer à manifester votre présence à d’autres points de contrôle ?
"Certainement. Nous allons continuer nos activités aux points de contrôle, en insistant sur ceux qui se trouvent aux entrées de Jérusalem et à proximité de Qalqiliya, Jénine et Tulkarerm. Mais, comme je vous le disais, notre objectif principal est de mettre fin à l’occupation, pas seulement aux points de contrôle."