Par Azmi Bishara
Entretien conduit par Fayçal Métaoui.
Azmi Bishara, 54 ans, fait partie des « Arabes de 1948 ». Militant communiste en Israël puis nationaliste arabe, il a activé au sein du Rassemblement national démocratique. Sous la bannière de ce parti, il a été élu au Parlement israélien (Knesset) en 1996. Il a démissionné de son poste de député en 2007 pour dénoncer des persécutions dont il faisait l’objet en raison de ses positions soutenant le Hezbollah libanais après l’attaque israélienne en 2006.
Phd en philosophie, il est l’auteur de plusieurs ouvrages écrits en arabe, en hébreu, en anglais et en allemand. Il s’agit, entre autres, de L’identité et la fabrication de l’identité dans la société israélienne, Etre Arabe de nos jours, La société civile, étude critique et Thèses sur une renaissance entravée. Consultant à la chaîne qatarie Al Jazeera, Azmi Bishara enseigne à Doha où il vit.
- Yasser Abd Rabo, secrétaire général du Comité exécutif de l’OLP, estime qu’il est possible de reconnaître l’Etat d’Israël « dans les termes qu’il souhaitera » en contrepartie de la reconnaissance par l’Etat hébreu de la Palestine dans les frontières de 1967. Quelle analyse faites-vous de cette proposition ?
Ce n’est pas nouveau. Cette personne a toujours eu cette position depuis longtemps. Ce n’est pas uniquement son point de vue. Certains, au sein de l’Autorité palestinienne, partagent cette position. Si l’Autorité était contre ce point de vue, on lui aurait signifié de ne pas le répéter à chaque fois. La fonction de cette personne est secrétaire de l’instance exécutive de l’OLP. Donc, il occupe un poste officiel. Il a également signé l’accord de Genève avec Yossi Beilin (ancien ministre de la Justice, ndlr) en 2004. Dans cet accord, il est évoqué l’option de deux Etats pour deux peuples.
Ce qui est nouveau, par contre, est que ces déclarations semblent s’adapter à la demande israélienne de reconnaître « le caractère juif » de l’Etat israélien comme condition pour une solution durable et même, comme cela a été dit dernièrement, comme condition pour mettre fin aux colonisations. Il me semble qu’il y ait une mauvaise perception par les Palestiniens des conditions israéliennes. C’est simple : il y a une série de concessions suivie d’une série de nouvelles conditions israéliennes. Il n’existe pas de cadre référant dans les négociations israélo-palestiniennes. Comme il n’y a pas d’utilisation d’autres moyens tels que la résistance ou la militance. Aussi, Israël sait-il qu’il traite avec un interlocuteur dépouillé de choix. Il n’a pas de références et pas d’autres moyens que la négociation. S’adapter à une condition israélienne est tout de suite suivi par l’imposition d’autres conditions. C’est un cercle vicieux.
- Pourquoi les Israéliens insistent-ils sur la reconnaissance du caractère juif de leur Etat ?
A l’intérieur et pour le sionisme, la demande n’est pas nouvelle aussi. C’est le but même du sionisme : établir un Etat juif. Cela a été exprimé en 1948 et a conduit à l’éparpillement de la plupart des habitants palestiniens. Pour avoir la majorité juive, il fallait disperser la majorité arabe. Ce qui est nouveau est qu’aujourd’hui, Israël demande aux Arabes de le reconnaître comme «Etat juif». Autrement dit, reconnaître le sionisme et le droit d’Israël d’exister. Israël a avancé cela depuis que «la feuille de route» a été proposée, en 2003. Si les Palestiniens le proclament, c’est une forme d’abandon du droit à la terre et du droit au retour des réfugiés. C’est justement là l’objectif de cette demande avant l’entame des négociations. Par ailleurs, Israël ne veut plus se contenter d’une acceptation pragmatique et réaliste de son existence, mais considérer cela comme un droit légitime et idéologique. Cela entraînera, comme effet rétroactif, l’effondrement de toute l’ossature morale, militante et politique arabe.
- Comment voyez-vous la suite des négociations directes entre Palestiniens et Israéliens ?
Sincèrement, je ne m’intéresse pas trop à ces négociations. Car je ne vois aucune différence entre l’existence de négociations ou pas. La relation israélo-palestinienne est d’abord sécuritaire. Il y a une coordination de sécurité et de renseignement entre l’Autorité palestinienne et Israël. Cette coordination, qui continue avec ou sans les négociations, a pour but de frapper la résistance et d’entretenir la sécurité d’Israël. En contrepartie, il y aura l’existence d’une entité palestinienne qui allègera Israël du poids démographique, celui des Palestiniens qui vivent sous l’administration israélienne. Les négociations intéressent en premier lieu Benjamin Netanyahu, qui apparaîtra aux yeux du monde comme un homme de paix et les régimes arabes seront amoindris devant leurs peuples. Le processus de paix est également un moyen «d’endormir» les peuples.
Cependant, les gens conscients n’y prêtent pas attention (…). Les Républicains américains vont augmenter les obstacles devant le président Barack Obama, qui aura une marge de manœuvre réduite. Cela va décevoir davantage ceux qui avaient nourri des espoirs avec la venue d’Obama. Le président américain n’a rien fait pour les Palestiniens depuis son élection. Rien à retenir ! Il a au moins répété dix fois son attachement à l’Etat juif et l’engagement des Etats-Unis par rapport à sa sécurité. Le Parti démocrate subit le lobby israélien. Obama n’est pas plus mauvais que Bush. Mais pour la question palestinienne, il n’y a rien qui indique qu’il est meilleur que son prédécesseur.
- Est-il vrai que les Arabes se sont détournés de « la question palestinienne » ?
Quand on parle de la question arabe, on évoque le conflit avec Israël et pas la paix avec Israël. La question des Arabes ne peut pas être liée aux accords de paix que les régimes, qui ont fait la paix avec Israël, veulent imposer aux Palestiniens. J’évoque la dimension arabe dans le conflit. Sans cette dimension, la question palestinienne se transformera en un autre dossier de la série de la normalisation avec Israël. Une normalisation sans valeur parce que l’équilibre des forces entre Palestiniens et Israéliens est plus mauvais qu’entre Israéliens et Arabes. La normalisation entre l’Egypte et Israël s’est faite entre deux Etats. Les Palestiniens n’ont pas encore d’Etat ; quand ils se comportent comme Etat, ils perdent « les deux mondes », à savoir un mouvement de libération et un Etat. C’est ce qui est arrivé avec la tentative d’appliquer le modèle du Camp David égyptien sur le cas palestinien.
Ce modèle intéresse Israël car il fait sortir l’Egypte, grand pays arabe, du cercle du conflit en établissant la paix et en reconnaissant son existence. Cela a également permis aux Egyptiens de reprendre le Sinaï, c’était le prix à payer de la guerre de 1967. Le but de la guerre 1967 était de consolider les résultats de celle de 1948. Aujourd’hui, Israël n’est pas revenu aux frontières de 1967 et les Palestiniens n’ont ni Etat ni un mouvement de libération. Ils sont entre les deux. Par conséquent, leur position est affaiblie face à Israël. Cela a également créé une résistance séparée du mouvement de libération. Ce mouvement est arrivé à sa fin dans la forme que nous avons connue jusque-là et sa direction politique est engagée dans un processus de normalisation avec Israël, sans contrepartie. La résistance est prise en charge par des secteurs en dehors de l’OLP. Cette situation est née de la perte de la dimension arabe de la question palestinienne.
- Comment mettre fin à cette division entre Palestiniens ?
Il ne s’agit pas de sortir d’une mésentente. Il y a un véritable différend politique. Différend entre ceux qui assument la coordination sécuritaire avec Israël et ceux qui insistent sur la poursuite de la résistance contre l’occupation. Il s’agit de positions complètement différentes. Il ne faut pas sous-estimer cela. J’ai des réserves à émettre sur Hamas, sur sa manière de gérer Ghaza et l’ambition d’une partie de sa direction de sauvegarder le pouvoir par tous les moyens. Il reste que concilier les positions de Hamas et du Fatah est impossible, à moins que l’une des deux parties change radicalement sa vision pour que l’unité nationale soit possible. Car comment concilier ceux qui veulent résister à Israël et ceux qui veulent se livrer à lui ? Peut-être que les choses changent dans le cas d’un échec des négociations entre l’Autorité palestinienne et Israël. Sans changement radical, l’unité nationale palestinienne est impossible.
- La situation paraît bien compliquée…
Compliquée en raison de l’absence de la profondeur arabe de la question palestinienne. Peut-être que l’intervention des Palestiniens de la diaspora et des pays arabes dans le soutien sérieux à la résistance va faire évoluer les choses. Le discours sur la conciliation ne vise, à mon avis, qu’à calmer les choses. Pas plus.
- On ne parle plus du droit de retour des réfugiés…
Il y a des gens comme nous qui n’ont pas cessé de le rappeler. Des jeunes Palestiniens et des intellectuels arabes nous écoutent. Sur le plan populaire et au niveau palestinien, le droit au retour n’a pas été abandonné.
- Pourquoi la question démographique est-elle toujours présente dans le discours des politiques israéliens ? Il y a comme une crainte…
Il existe deux sortes de ce qu’Israël appelle le « poids démographique ». Si Israël avait annexé Ghaza et la Cisjordanie, les Arabes seraient majoritaires en Israël actuellement, surtout avec le retour des réfugiés. C’est pour cela qu’Israël veut se séparer démographiquement de la Cisjordanie et de Ghaza et interdire le droit au retour des réfugiés. Il y a un autre problème lié aux citoyens arabes en Israël qui constituent actuellement 20% des habitants. Ils seront plus nombreux dans le futur avec presque 30%. Israël traite ce problème en démantelant la conscience patriotique chez les Arabes de l’intérieur et en agitant le spectre de la peur.
Le courant que je représente est un véritable défi pour les responsables israéliens à partir du milieu des années 1990. Nous avons insisté sur la citoyenneté comme une antithèse au sionisme. Aucune citoyenneté égalitaire n’était possible sans combattre le sionisme. Nous avons insisté aussi sur l’identité arabe palestinienne des Arabes de l’intérieur en tant que peuple uni et pas en tant que tribus ou ethnies. Israël a toujours voulu jouer sur le fait que les Arabes de l’intérieur pouvaient accepter des droits amoindris et qu’il était possible de les diviser en groupes et ethnies pour qu’ils ne constituent pas de danger démographique. Israël a combattu ce courant. J’étais moi-même victime d’un exil politique forcé. Les nationalistes arabes de l’intérieur sont pourchassés. Des lois ont été adoptées pour limiter leur mouvement comme celle portant sur l’allégeance à la judaïté de l’Etat d’Israël. Tout cela est lié au combat avec les Arabes de l’intérieur et pas avec ceux de l’extérieur.
- Vous avez fait partie du Parlement israélien. Les règles démocratiques y sont-elles respectées ?
C’est un Parlement qui a été mis sur pied dans la foulée de la création d’un Etat juif. Il est démocratique pour les juifs. Israël n’a pas vu d’inconvénient quant à la présence d’Arabes au sein de ce Parlement à travers le Parti communiste, par exemple. Les problèmes ont apparu avec l’émergence de mouvement nationaliste arabe, comme le Rassemblement national démocratique (RND). Nous avons profité de la démocratie israélienne pour avancer des revendications nationalistes réelles. Cependant, Israël nous rappelle à chaque fois qu’on fait partie de la démocratie, mais nous n’avons pas le droit de demander le démantèlement du sionisme pour le remplacer par un Etat pour tous les citoyens, ni d’utiliser le Parlement pour exprimer l’attachement aux droits des Palestiniens et avoir des positions plus patriotiques que celles de l’Autorité palestinienne. Aussi ont-ils mis des obstacles à notre action. Donc, il s’agit d’une démocratie bâtie sur la judaïté d’Israël et pas sur la citoyenneté.
- C’est une forme d’administration de la vie politique. Les Blancs du temps de l’apartheid étaient démocrates entre eux…
Les Arabes qui ont rejoint le Parlement ont été perçus comme une minorité qui ne constituait pas de danger. Même cette action minoritaire est aujourd’hui mal vue. Le RND subit un très fort harcèlement actuellement. Mais il existe, avec une base populaire auprès des étudiants, des femmes et des intellectuels. Il a des députés connus tels que Hanine Zoybi et Djamel Zahlqa. Le parti essaie de trouver un équilibre dans le cadre de la loi entre ses positions et les exigences de la citoyenneté.
- Certains intellectuels, y compris en Israël, évoquent la théorie d’un seul Etat au lieu des deux Etats. Jusqu’où cette thèse est-elle réalisable ?
Historiquement, l’idée d’un seul Etat a été défendue par les Palestiniens, non par les Israéliens. Le projet de base du mouvement Fatah et de l’OLP est de bâtir un Etat démocratique et laïc en Palestine. Etat laïc pour contenir arabes et juifs. C’est l’OLP qui a remis en cause cette exigence en la remplaçant par la solution des deux Etats. Des intellectuels palestiniens et arabes estiment que la solution des deux Etats a échoué et qu’elle n’est plus juste. Cette solution ouvre la voie à un Etat juif et un petit Etat palestinien sans souveraineté et sans droit au retour pour les réfugiés. J’ai évoqué cette question il y a bientôt vingt ans, dans une conférence à l’université de Beir Zeït. Edward Saïd a également abordé cette option d’un seul Etat. Les intellectuels juifs antisionistes n’ont rejoint cette thèse que récemment.
Phd en philosophie, il est l’auteur de plusieurs ouvrages écrits en arabe, en hébreu, en anglais et en allemand. Il s’agit, entre autres, de L’identité et la fabrication de l’identité dans la société israélienne, Etre Arabe de nos jours, La société civile, étude critique et Thèses sur une renaissance entravée. Consultant à la chaîne qatarie Al Jazeera, Azmi Bishara enseigne à Doha où il vit.
- Yasser Abd Rabo, secrétaire général du Comité exécutif de l’OLP, estime qu’il est possible de reconnaître l’Etat d’Israël « dans les termes qu’il souhaitera » en contrepartie de la reconnaissance par l’Etat hébreu de la Palestine dans les frontières de 1967. Quelle analyse faites-vous de cette proposition ?
Ce n’est pas nouveau. Cette personne a toujours eu cette position depuis longtemps. Ce n’est pas uniquement son point de vue. Certains, au sein de l’Autorité palestinienne, partagent cette position. Si l’Autorité était contre ce point de vue, on lui aurait signifié de ne pas le répéter à chaque fois. La fonction de cette personne est secrétaire de l’instance exécutive de l’OLP. Donc, il occupe un poste officiel. Il a également signé l’accord de Genève avec Yossi Beilin (ancien ministre de la Justice, ndlr) en 2004. Dans cet accord, il est évoqué l’option de deux Etats pour deux peuples.
Ce qui est nouveau, par contre, est que ces déclarations semblent s’adapter à la demande israélienne de reconnaître « le caractère juif » de l’Etat israélien comme condition pour une solution durable et même, comme cela a été dit dernièrement, comme condition pour mettre fin aux colonisations. Il me semble qu’il y ait une mauvaise perception par les Palestiniens des conditions israéliennes. C’est simple : il y a une série de concessions suivie d’une série de nouvelles conditions israéliennes. Il n’existe pas de cadre référant dans les négociations israélo-palestiniennes. Comme il n’y a pas d’utilisation d’autres moyens tels que la résistance ou la militance. Aussi, Israël sait-il qu’il traite avec un interlocuteur dépouillé de choix. Il n’a pas de références et pas d’autres moyens que la négociation. S’adapter à une condition israélienne est tout de suite suivi par l’imposition d’autres conditions. C’est un cercle vicieux.
- Pourquoi les Israéliens insistent-ils sur la reconnaissance du caractère juif de leur Etat ?
A l’intérieur et pour le sionisme, la demande n’est pas nouvelle aussi. C’est le but même du sionisme : établir un Etat juif. Cela a été exprimé en 1948 et a conduit à l’éparpillement de la plupart des habitants palestiniens. Pour avoir la majorité juive, il fallait disperser la majorité arabe. Ce qui est nouveau est qu’aujourd’hui, Israël demande aux Arabes de le reconnaître comme «Etat juif». Autrement dit, reconnaître le sionisme et le droit d’Israël d’exister. Israël a avancé cela depuis que «la feuille de route» a été proposée, en 2003. Si les Palestiniens le proclament, c’est une forme d’abandon du droit à la terre et du droit au retour des réfugiés. C’est justement là l’objectif de cette demande avant l’entame des négociations. Par ailleurs, Israël ne veut plus se contenter d’une acceptation pragmatique et réaliste de son existence, mais considérer cela comme un droit légitime et idéologique. Cela entraînera, comme effet rétroactif, l’effondrement de toute l’ossature morale, militante et politique arabe.
- Comment voyez-vous la suite des négociations directes entre Palestiniens et Israéliens ?
Sincèrement, je ne m’intéresse pas trop à ces négociations. Car je ne vois aucune différence entre l’existence de négociations ou pas. La relation israélo-palestinienne est d’abord sécuritaire. Il y a une coordination de sécurité et de renseignement entre l’Autorité palestinienne et Israël. Cette coordination, qui continue avec ou sans les négociations, a pour but de frapper la résistance et d’entretenir la sécurité d’Israël. En contrepartie, il y aura l’existence d’une entité palestinienne qui allègera Israël du poids démographique, celui des Palestiniens qui vivent sous l’administration israélienne. Les négociations intéressent en premier lieu Benjamin Netanyahu, qui apparaîtra aux yeux du monde comme un homme de paix et les régimes arabes seront amoindris devant leurs peuples. Le processus de paix est également un moyen «d’endormir» les peuples.
Cependant, les gens conscients n’y prêtent pas attention (…). Les Républicains américains vont augmenter les obstacles devant le président Barack Obama, qui aura une marge de manœuvre réduite. Cela va décevoir davantage ceux qui avaient nourri des espoirs avec la venue d’Obama. Le président américain n’a rien fait pour les Palestiniens depuis son élection. Rien à retenir ! Il a au moins répété dix fois son attachement à l’Etat juif et l’engagement des Etats-Unis par rapport à sa sécurité. Le Parti démocrate subit le lobby israélien. Obama n’est pas plus mauvais que Bush. Mais pour la question palestinienne, il n’y a rien qui indique qu’il est meilleur que son prédécesseur.
- Est-il vrai que les Arabes se sont détournés de « la question palestinienne » ?
Quand on parle de la question arabe, on évoque le conflit avec Israël et pas la paix avec Israël. La question des Arabes ne peut pas être liée aux accords de paix que les régimes, qui ont fait la paix avec Israël, veulent imposer aux Palestiniens. J’évoque la dimension arabe dans le conflit. Sans cette dimension, la question palestinienne se transformera en un autre dossier de la série de la normalisation avec Israël. Une normalisation sans valeur parce que l’équilibre des forces entre Palestiniens et Israéliens est plus mauvais qu’entre Israéliens et Arabes. La normalisation entre l’Egypte et Israël s’est faite entre deux Etats. Les Palestiniens n’ont pas encore d’Etat ; quand ils se comportent comme Etat, ils perdent « les deux mondes », à savoir un mouvement de libération et un Etat. C’est ce qui est arrivé avec la tentative d’appliquer le modèle du Camp David égyptien sur le cas palestinien.
Ce modèle intéresse Israël car il fait sortir l’Egypte, grand pays arabe, du cercle du conflit en établissant la paix et en reconnaissant son existence. Cela a également permis aux Egyptiens de reprendre le Sinaï, c’était le prix à payer de la guerre de 1967. Le but de la guerre 1967 était de consolider les résultats de celle de 1948. Aujourd’hui, Israël n’est pas revenu aux frontières de 1967 et les Palestiniens n’ont ni Etat ni un mouvement de libération. Ils sont entre les deux. Par conséquent, leur position est affaiblie face à Israël. Cela a également créé une résistance séparée du mouvement de libération. Ce mouvement est arrivé à sa fin dans la forme que nous avons connue jusque-là et sa direction politique est engagée dans un processus de normalisation avec Israël, sans contrepartie. La résistance est prise en charge par des secteurs en dehors de l’OLP. Cette situation est née de la perte de la dimension arabe de la question palestinienne.
- Comment mettre fin à cette division entre Palestiniens ?
Il ne s’agit pas de sortir d’une mésentente. Il y a un véritable différend politique. Différend entre ceux qui assument la coordination sécuritaire avec Israël et ceux qui insistent sur la poursuite de la résistance contre l’occupation. Il s’agit de positions complètement différentes. Il ne faut pas sous-estimer cela. J’ai des réserves à émettre sur Hamas, sur sa manière de gérer Ghaza et l’ambition d’une partie de sa direction de sauvegarder le pouvoir par tous les moyens. Il reste que concilier les positions de Hamas et du Fatah est impossible, à moins que l’une des deux parties change radicalement sa vision pour que l’unité nationale soit possible. Car comment concilier ceux qui veulent résister à Israël et ceux qui veulent se livrer à lui ? Peut-être que les choses changent dans le cas d’un échec des négociations entre l’Autorité palestinienne et Israël. Sans changement radical, l’unité nationale palestinienne est impossible.
- La situation paraît bien compliquée…
Compliquée en raison de l’absence de la profondeur arabe de la question palestinienne. Peut-être que l’intervention des Palestiniens de la diaspora et des pays arabes dans le soutien sérieux à la résistance va faire évoluer les choses. Le discours sur la conciliation ne vise, à mon avis, qu’à calmer les choses. Pas plus.
- On ne parle plus du droit de retour des réfugiés…
Il y a des gens comme nous qui n’ont pas cessé de le rappeler. Des jeunes Palestiniens et des intellectuels arabes nous écoutent. Sur le plan populaire et au niveau palestinien, le droit au retour n’a pas été abandonné.
- Pourquoi la question démographique est-elle toujours présente dans le discours des politiques israéliens ? Il y a comme une crainte…
Il existe deux sortes de ce qu’Israël appelle le « poids démographique ». Si Israël avait annexé Ghaza et la Cisjordanie, les Arabes seraient majoritaires en Israël actuellement, surtout avec le retour des réfugiés. C’est pour cela qu’Israël veut se séparer démographiquement de la Cisjordanie et de Ghaza et interdire le droit au retour des réfugiés. Il y a un autre problème lié aux citoyens arabes en Israël qui constituent actuellement 20% des habitants. Ils seront plus nombreux dans le futur avec presque 30%. Israël traite ce problème en démantelant la conscience patriotique chez les Arabes de l’intérieur et en agitant le spectre de la peur.
Le courant que je représente est un véritable défi pour les responsables israéliens à partir du milieu des années 1990. Nous avons insisté sur la citoyenneté comme une antithèse au sionisme. Aucune citoyenneté égalitaire n’était possible sans combattre le sionisme. Nous avons insisté aussi sur l’identité arabe palestinienne des Arabes de l’intérieur en tant que peuple uni et pas en tant que tribus ou ethnies. Israël a toujours voulu jouer sur le fait que les Arabes de l’intérieur pouvaient accepter des droits amoindris et qu’il était possible de les diviser en groupes et ethnies pour qu’ils ne constituent pas de danger démographique. Israël a combattu ce courant. J’étais moi-même victime d’un exil politique forcé. Les nationalistes arabes de l’intérieur sont pourchassés. Des lois ont été adoptées pour limiter leur mouvement comme celle portant sur l’allégeance à la judaïté de l’Etat d’Israël. Tout cela est lié au combat avec les Arabes de l’intérieur et pas avec ceux de l’extérieur.
- Vous avez fait partie du Parlement israélien. Les règles démocratiques y sont-elles respectées ?
C’est un Parlement qui a été mis sur pied dans la foulée de la création d’un Etat juif. Il est démocratique pour les juifs. Israël n’a pas vu d’inconvénient quant à la présence d’Arabes au sein de ce Parlement à travers le Parti communiste, par exemple. Les problèmes ont apparu avec l’émergence de mouvement nationaliste arabe, comme le Rassemblement national démocratique (RND). Nous avons profité de la démocratie israélienne pour avancer des revendications nationalistes réelles. Cependant, Israël nous rappelle à chaque fois qu’on fait partie de la démocratie, mais nous n’avons pas le droit de demander le démantèlement du sionisme pour le remplacer par un Etat pour tous les citoyens, ni d’utiliser le Parlement pour exprimer l’attachement aux droits des Palestiniens et avoir des positions plus patriotiques que celles de l’Autorité palestinienne. Aussi ont-ils mis des obstacles à notre action. Donc, il s’agit d’une démocratie bâtie sur la judaïté d’Israël et pas sur la citoyenneté.
- C’est une forme d’administration de la vie politique. Les Blancs du temps de l’apartheid étaient démocrates entre eux…
Les Arabes qui ont rejoint le Parlement ont été perçus comme une minorité qui ne constituait pas de danger. Même cette action minoritaire est aujourd’hui mal vue. Le RND subit un très fort harcèlement actuellement. Mais il existe, avec une base populaire auprès des étudiants, des femmes et des intellectuels. Il a des députés connus tels que Hanine Zoybi et Djamel Zahlqa. Le parti essaie de trouver un équilibre dans le cadre de la loi entre ses positions et les exigences de la citoyenneté.
- Certains intellectuels, y compris en Israël, évoquent la théorie d’un seul Etat au lieu des deux Etats. Jusqu’où cette thèse est-elle réalisable ?
Historiquement, l’idée d’un seul Etat a été défendue par les Palestiniens, non par les Israéliens. Le projet de base du mouvement Fatah et de l’OLP est de bâtir un Etat démocratique et laïc en Palestine. Etat laïc pour contenir arabes et juifs. C’est l’OLP qui a remis en cause cette exigence en la remplaçant par la solution des deux Etats. Des intellectuels palestiniens et arabes estiment que la solution des deux Etats a échoué et qu’elle n’est plus juste. Cette solution ouvre la voie à un Etat juif et un petit Etat palestinien sans souveraineté et sans droit au retour pour les réfugiés. J’ai évoqué cette question il y a bientôt vingt ans, dans une conférence à l’université de Beir Zeït. Edward Saïd a également abordé cette option d’un seul Etat. Les intellectuels juifs antisionistes n’ont rejoint cette thèse que récemment.