Laurent Zecchini
"Les Etats-Unis ne peuvent pas imposer une solution". Ce postulat est bien sûr affaire de volonté politique : Washington n’envisage pas de réduire l’importante assistance militaire et financière allouée chaque année à l’Etat juif, au contraire.
Près de deux ans après l’entrée de Barack Obama à la Maison Blanche, les ambitions des Etats-Unis au Proche-Orient ressemblent à un champ de ruines diplomatique. Après avoir fait naître l’espoir avec son discours du Caire de juin 2009, le président américain a dilapidé l’essentiel de son crédit auprès des Israéliens, des Palestiniens et des pays arabes. Par ricochet, aux yeux de ceux qui se tournent vers elle pour obtenir sa protection ou la défier, le leadership de l’Amérique s’est érodé.
Comme un acteur fatigué à qui on demande de rejouer une scène pour la énième fois, George Mitchell, émissaire américain pour le Proche-Orient, a repris ses navettes dans la région. Pour ses interlocuteurs, il incarne désormais l’aveu d’échec auquel s’est résolue la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, le 10 décembre. L’administration américaine a admis s’être fourvoyée pendant deux ans en insistant sur le préalable d’un arrêt de la colonisation dans les territoires palestiniens occupés.
Ce faisant, elle a entraîné le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, qui ne pouvait se montrer moins exigeant qu’elle sur une question existentielle : comment avancer vers l’objectif d’un Etat palestinien, si l’une des parties - Israël - poursuit méthodiquement celui d’en miner les fondations en étendant sans cesse les implantations juives, décrétées illégales par la communauté internationale ? D’ores et déjà, le point de non-retour de la viabilité d’une telle entité territoriale est peut-être déjà dépassé.
Parce qu’ils n’ont pas de stratégie de rechange sinon celle, incertaine, d’allonger la liste des pays qui ont accepté, depuis 1988, de reconnaître leur patrie, les Palestiniens persistent à réclamer l’arrêt de la colonisation. Ils se placent ainsi doublement à contre-courant des nouvelles priorités du seul parrain dont ils ont cru disposer pour défendre leurs positions face à l’Etat juif : l’Amérique, hostile à toute démarche unilatérale auprès des Nations unies, s’est rabattue sur la vieille méthode consistant à remettre les enjeux du conflit sur la table des négociations.
"Nous avons vu ce film tellement de fois...", a commenté, désabusé, le négociateur palestinien Yasser Abed Rabbo. C’est peu dire que les propos de Mme Clinton ont déçu les Palestiniens. La secrétaire d’Etat s’est livrée à une extraordinaire défense de "la vision sioniste d’un Etat juif et démocratique dans la patrie historique du peuple juif", qui a laissé pantois plus d’un diplomate israélien. "C’était un discours très favorable à Israël", admet l’un d’eux, ravi d’entendre que "les Etats-Unis ne peuvent pas imposer une solution". Ce postulat est bien sûr affaire de volonté politique : Washington n’envisage pas de réduire l’importante assistance militaire et financière allouée chaque année à l’Etat juif, au contraire : la Maison Blanche a tenté d’acheter aux responsables israéliens trois mois supplémentaires de gel de la colonisation avec un paquet-cadeau composé de 20 avions de combat F-35, de garanties de sécurité et du veto américain contre toute résolution anti-israélienne à l’ONU.
Face à la reculade de Washington, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a relevé avec gourmandise que "les Etats-Unis ont compris que les discussions sur la question mineure de la construction ne menaient à rien". La colonisation a donc repris de plus belle. Du point de vue israélien, tout montre que cette stratégie de l’intransigeance est payante : M. Nétanyahou devance dans les sondages le chef de file de l’opposition, Tzipi Livni.
Le Parti travailliste est exsangue et son président, le ministre de la défense Ehoud Barak, sert de caution (comme le président israélien Shimon Peres) à l’orientation de plus en plus droitière du gouvernement. Celle-ci accompagne l’évolution d’une société israélienne où les manifestations d’intolérance, notamment religieuse, se multiplient. L’Amérique n’étant pas disposée à endosser le rôle de gendarme, l’heure de l’Europe, qui aspire à devenir un acteur influent dans la région, est-elle arrivée ? Vingt-six anciens hauts responsables européens suggèrent quelques pistes audacieuses, comme celle de fixer un ultimatum à Israël pour... appliquer les résolutions des Nations unies.
Cet enthousiasme - qui montre qu’il est plus aisé de hausser le ton envers Israël lorsqu’on a quitté le pouvoir - a été douché lorsque, le 13 décembre, l’Union européenne a "regretté" la poursuite de la colonisation et affirmé qu’elle reconnaîtra un Etat palestinien... "au moment opportun". Cette pusillanimité, brocardée à Jérusalem, convainc les Palestiniens de ne plus se faire d’illusions sur les chances d’un accord de paix en négociant avec Israël.
Ils entendent contourner l’obstacle en suscitant une dynamique internationale en faveur de la reconnaissance d’un Etat palestinien, et en s’appuyant sur ses fondations économiques, juridiques et politiques. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international jugent que cet objectif est pratiquement réalisé. "C’est vrai que l’essentiel est déjà là, et qu’il s’agit surtout de consolider des acquis", reconnaît un diplomate israélien. Les Palestiniens font le pari d’une sorte d’effet cathartique sur le plan diplomatique. C’est un espoir ténu, mais c’est le seul.