Bruno Salaün
Au Liban, les 250.000 à 270.000 réfugiés palestiniens sont privés de droits. Parqués, parfois depuis 62 ans, dans des camps aux réalités très contrastées. Exemples à Chatila, dans la banlieue de Beyrouth, et Rashidieh, au sud de Tyr.
camp de réfugiés palestinien au Liban - Phot : Sabreen (Flickr.com)
Abou Ischam arrive au bout du chemin dans son réduit d’une sombre venelle insalubre du camp de Chatila. Le vieil homme ne reverra pas sa terre de Palestine. En 1948, lorsqu’il l’a quittée, fuyant les combats, pour la banlieue sud de Beyrouth, on l’avait incité à fermer sa maison à clef, avec la promesse qu’il y reviendrait. La clef, il l’a toujours... Il mourra en réfugié, survivant du massacre de Chatila (de 800 à 2.000 morts le 16septembre 1982) et de la guerre des camps (575 morts en 1985-1987). Réfugié, l’octogénaire l’aura été les deux tiers de sa vie. Sans droits civiques ni civils.
Les réfugiés palestiniens en sont privés au Liban. Chatila, un km², 19.000 habitants, dont 15.000réfugiés palestiniens et quelques milliers de Libanais et Syriens en déshérence.
Tas d’ordures, cloaques, des centaines de fils électriques s’enchevêtrent, voisinent des canalisations d’eau suspendues. Les logements s’étirent, comme des cubes mal ajustés, vers le ciel. Des enfants continuent de mourir électrocutés les jours de pluie. « Ici, les gens sont comme vivants et morts à la fois. Ils sont abandonnés à leur sort », témoigne Kifah Afifi.
« Services quasi inexistants ici »
« Les services de santé de l’Unrwa (l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient) sont quasi inexistants. Il n’y a plus de centre médical et les Palestiniens n’ont pas le droit d’aller se faire soigner dans les hôpitaux libanais. Ils ne peuvent pas plus exercer 72 métiers. Pas beaucoup de monde travaille », décrit cette résistante de la cause palestinienne. Dans ce camp tenu par le Fatah et le FPLP, les gens survivent, pour partie avec les aides des factions palestiniennes, pour partie en vendant des fruits et légumes ou des objets de la vie quotidienne aux abords du camp. Ce sont souvent les femmes qui nourrissent tant bien que mal les foyers. Elles font du ménage chez les Libanais, à l’extérieur du camp.
Niveau d’éducation en baisse
Les jeunes, eux, subissent le chômage de plein fouet, errent dans le camp à pied ou sur des scooters bricolés, fument du narguilé au coin des rues... Et pour certains, se confondent dans des trafics de drogue. « Avant, les enfants allaient dans les écoles, faisaient des études ; aujourd’hui, ils quittent l’école à 10, 12 ou 13 ans, si bien que le niveau d’éducation et de culture du peuple palestinien des camps tend à baisser, alors qu’il était jadis l’un des plus élevés parmi les peuples arabes », regrette Kifah.
L’Unicef confirme ce tassement. Dans le camp de réfugiés de Rashidieh, près de Tyr, à 80km de là vers le sud, Zahra, la couturière, mesure bien l’enjeu de l’éducation pour ses trois enfants. Cette femme, souriante et déterminée, a développé, ces dernières années, sa petite activité pour subvenir aux besoins de sa famille.
Son mari, malade, a dû arrêter d’enseigner dans les trois écoles du camp développées par l’Unrwa. Zahra bénéficie du microcrédit instauré par l’Unicef, en collaboration avec l’Union générale des femmes palestiniennes. « J’ai commencé par emprunter 500$ pour acheter une machine. J’ai d’abord travaillé à la maison, puis j’ai fait deux autres prêts pour prendre cette location, acheter une autre machine et du matériel », lance-t-elle fièrement dans son petit atelier de couture. Elle dit y travailler de 8h à 22h. « Çame permet d’assumer les dépenses de la maison. »
Témoignages à peu près comparables de Hamda, la vendeuse de légumes, ou Yasser, l’agriculteur, dont les magnifiques aubergines poussent dans un champ situé dans une zone verte, proche de la Méditerranée, à la périphérie de ce camp de 25.000 réfugiés. Il y fait désormais vivre sa famille de huit enfants, ainsi que deux autres familles de salariés agricoles qu’il emploie. « Depuis 2001, mille femmes et hommes ont bénéficié de ce programme à Rashidieh et dans deux camps voisins (Burj Ashemall et Al-Buss).
Ce n’est pas un crédit à la consommation mais bien une aide à créer une micro-activité. Les profits dégagés doivent rendre leur vie de réfugié moins difficile », résume Joanne Doucet, chargée de la protection de l’enfance et des Palestiniens pour l’Unicef au Liban. « Ilne faut pas oublier que les Palestiniens n’ont pas plus accès au crédit qu’à plein de métiers. Avec ce programme, non seulement ils retrouvent un peu de dignité mais ils peuvent mieux se nourrir, acheter des médicaments ou soutenir les études de leurs enfants », insiste-t-elle.
« 50 dossiers refusés chaque mois »
Zahra, Hamda et Yasser acquiescent. Ce jour-là, une quinzaine de personnes viennent chercher les 500 ou 1.000$ porteurs d’espoir. « Nous cherchons les moyens de faire plus, en particulier auprès des jeunes diplômés. Car il y a de la demande : 50 dossiers sont refusés chaque mois. C’est envisageable de faire plus. Nous continuons à tourner avec notre mise de fond de départ de 30.000$, car les prêts sont remboursés à 95% dans les 12 mois », assure Joanne Doucet. En août, le Parlement libanais a adopté une loi qui doit permettre aux Palestiniens d’exercer les mêmes professions que les étrangers du Liban. Elle reste à appliquer. Et pendant ce temps, l’appui de l’Unrwa est menacé par un déficit de 66M€. Les organisations palestiniennes tentent de prendre le relais. Le Hezbollah aussi. Il contribue, dans certains camps, à soigner et distribuer de l’aide sociale aux réfugiés.
17 octobre 2010 - Le Télégramme - Vous pouvez consulter cet article à :
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