Mohammed Omer - IPS
Les coupures prolongées d’électricité, de 12 à 16 heures chaque jour, sont le sujet de conversation sur toutes les lèvres dans la bande de Gaza. Il fait chaud, c’est le Ramadan, et les gens sont fatigués, ils ont soif, ils ont faim, ils sont désespérés.
La fourniture d’électricité a commencé à décliner après la victoire du Hamas aux élections de janvier 2006 qui a conduit Israël et l’Egypte à imposer un blocus économique. Israël a lancé ses frappes aériennes en décembre 2008, faisant sauter tous les six transformateurs qui alimentaient la bande de Gaza en électricité.
Comme aucune reconstruction n’est en vue, tout le monde s’attend à ce que la situation empire.
« La vie est paralysée ici, » dit Sami Abu Ouaf, 45 ans, père de famille de sept enfants, au chômage, qui vit dans le camp de Buriej dans le centre de la bande de Gaza. « Et c’est le prix que nous payons pour la démocratie.
« Je n’aurais jamais imaginé une punition de ce genre - avoir mon électricité, mon eau et mon gaz coupés - à cause de mon vote, » ajoute-t-il. Abu Ouaf doit avoir l’œil pour être sûr de ne pas rater le moment de la fourniture rationnée quand elle arrive. « C’est une démocratie à la lueur de bougie - quand on a la chance de pouvoir se payer une bougie. »
Le calendrier des fournitures varie selon les localités mais aussi au fil des jours, dit Kanan Obied, l’un des responsables de l’Autorité pour l’électricité de Gaza. Et la situation a empiré il y a quelques semaines, coïncidant - comme par hasard - avec le début du Ramadan.
L’Union européenne qui payait l’Autorité palestinienne pour l’approvisionnement en diesel des générateurs de Gaza a coupé son financement en août, accusant le Hamas d’empocher les revenus de l’électricité. Le gouvernement de Gaza a répondu que la décision de l’Union européenne était intervenue après qu’elle ait identifié un fonctionnaire corrompu de la Compagnie de l’électricité.
En déambulant dans les marchés et les rues de Gaza, on entend presque tout le monde dire qu’il faut faire appel aux Nations-Unies, à l’Union européenne et à la Ligue arabe pour trouver une solution rapide à la crise. Zahran Awad, de la ville de Gaza : « Cette tentative de l’Occident pour nous faire nous retourner contre le Hamas va échouer ».
Alors que s’éteignent les lumières dans Gaza, l’attention des médias sur la crise de l’électricité semble s’estomper elle aussi. Beaucoup de citoyens gazaouis ont le sentiment que tout étant allé aussi mal et aussi longtemps, cela pourrait bien durer encore.
Environ les deux tiers du un million et demi d’habitants sont des réfugiés des guerres de 1948 et 1967 selon l’UNRWA (agences des Nations unies d’aide aux réfugiés palestiniens au Moyen-Orient), dont 675 000 vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Un économiste, basé à Gaza : « Obliger la population gazaouie à payer la facture est hors de question. Elle souffre d’un long siège, avec des frontières fermées et sans possibilités d’emplois. » On voit les gens passer d’un quartier à un autre juste pour recharger leurs téléphones et ordinateurs portables. Un journaliste peut faire recharger son ordinateur à l’hôpital local.
Abu Ouaf donne une idée de l’impact de ces pénuries. « Nous achetons la nourriture et les médicaments juste pour un seul jour, car il est impossible de faire faire fonctionner un réfrigérateur » dit-il.
Assurer la fourniture en carburant des générateurs reste le défi immédiat. Ni le gouvernement de Gaza, ni l’Autorité palestinienne, ne sont prêts à payer le montant exorbitant de 13 millions de dollars exigés pour chaque mois.
Un responsable du Hamas, le Dr Yousef Rizka, conseiller du Premier ministre Ismail Hanyieh, a lancé une initiative. Il propose que les gouvernements, à Ramallah et à Gaza, déduisent 45 dollars, chaque mois, à chaque fonctionnaire et employé. Le gouvernement Hamas emploie 30 000 agents, ce qui signifie qu’en théorie, environ 1,3 million de dollars seraient dégagés par mois pour payer les factures de carburant.
Mais ce ne pourrait être qu’une mesure provisoire puisque les dettes de la Compagnie d’électricité s’élèvent à 1,3 milliard de dollars, et personne ne s’est penché encore sur ce problème.
A Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, un vendeur de rue, Mohammed Abdelal, 85 ans, prépare son étal pour vendre des vêtements de contrebande venus d’Egypte. « Nous n’avons jamais traversé une période aussi difficile qu’aujourd’hui dans notre vie. » dit-il.
Selon son épouse, Hadia Abdelal, 75 ans, les coupures d’électricité sont « les derniers cauchemars dans le siège de Gaza ». Leurs petits-enfants, qui « ont beaucoup souffert ces dernières années », se sont maintenant habitués à étudier à la lueur d’une bougie.
Pendant ces mois chauds d’été, Abdelal se montre impatient « d’avoir un ventilateur et de boire de l’eau fraîche ». Mais il y a rarement de l’eau courante puisque l’alimentation en eau et celle en électricité ne coïncident jamais. Les gens relativement aisés se servent de générateurs pour pomper l’eau.
L’approvisionnement en eau de la famille Abdelal se fait une fois tous les trois jours, si bien que leur réservoir d’eau est souvent vide. Quand il y en a, l’eau est utilisée seulement pour boire. « Une douche est un luxe », dit un jeune homme de Jabalya. Mais son ami le corrige, « Non, c’est un rêve ».
Les coupures d’électricité ont un autre impact, sur la station d’épuration. En l’absence d’électricité, la station fonctionne sporadiquement et chaque jour, 88 000 mètres cube d’eaux usées, ou partiellement traitées, débordent dans la Méditerranée. Les eaux polluées sont dangereuses pour le poisson et faire une petite trempette dans la mer est même impossible à imaginer.
Une cliente à l’étal d’Abdelal, Ghalia Abu Jamiea, 49 ans, mère de neuf enfants : « Mes trois plus jeunes enfants se réveillent souvent la nuit en hurlant de frayeur, » dit-elle. « Et l’énurésie est devenu un problème, la nuit ».
Pour Abu Jamiea, il n’y a pas de solution, car même si quelqu’un lui faisait cadeau d’un générateur, il ne pourrait se payer le carburant pour le faire fonctionner.
Le petit-fils d’Abdelal, Mohammed, dit qu’il s’est réveillé aux environs de 3 h 30 ce matin, pour le suhur, le repas qu’il prend, comme les autres musulmans, avant le lever du soleil pendant le Ramadan. « Il est énervant de marcher à tâtons dans l’obscurité, de chercher les bonnes assiettes et d’essayer de trouver quelque chose à manger. Et on reste avec la faim et la soif tout le reste de la journée. »
Abu Jamiea dit qu’elle espère apprendre à ses enfants « à aimer la vie, même si l’obscurité persiste et si le monde abandonne la population impuissante de Gaza ». Cela ne s’améliorera pas après le Ramadan, et personne ne peut dire si cela s’améliorera jamais.
* Mohammed Omer a collaboré à de nombreuses revues et magazines, y compris le Washington Report on Middle East Affairs, Pacifica Radio, Electronic Intifada, The Nation, et Inter Press Service ; il a également fondé le blog Rafah Today. Il a été récompensé du Prix pour le Journalisme 2007 Martha Gellhorn.
6 septembre 2010 - Miftah - Source : IPS - traduction : JPP