Benjamin Barthe
Quand les Cisjordaniens boudent les produits fabriqués dans les colonies juives de peuplement...
Dans les territoires palestiniens de Cisjordanie, le panier de la ménagère est au coeur d’une nouvelle controverse politique. Le Premier ministre, Salam Fayyad, a décidé d’interdire la vente et la consommation de produits fabriqués dans les colonies juives de peuplement, au grand dam de son homologue israélien, Benyamin Netanyahu, qui parle d’"incitation à la haine".
Pas fâché de contredire ses adversaires politiques, qui ne voient en lui qu’un technocrate timoré, Fayyad, ancien cadre du Fonds monétaire international, a ressuscité une loi votée en 2005, mais restée lettre morte, qui prohibe la commercialisation de marchandises confectionnées dans les zones industrielles de ces implantations illégales dans le droit international.
Les masques antirides de la société Ahava, les paquets de biscuits de la compagnie Abadi ou les Jacuzzi de l’entreprise Lipski sont désormais bannis des rayonnages palestiniens, tout comme les productions des quelque 250 entreprises israéliennes installées en zone occupée. "Purger notre marché de ces articles n’est pas une expression de haine, mais une affirmation du droit de notre peuple à vivre", martèle le chef du gouvernement.
Purger notre marché de ces articles est une affirmation du droit de notre peuple à vivre
En conséquence, les douanes palestiniennes multiplient les contrôles à l’entrée des grandes villes et les tournées d’inspection dans les magasins palestiniens. Quelque 10 tonnes de pastèques, provenant des moshavim de la vallée du Jourdain, sont passées il y a peu au pilon. Depuis le lancement de la campagne, en début d’année, près de 40 millions de shekels (8,5 millions d’euros) de marchandises prohibées ont été saisis.
Pour l’instant, leurs vendeurs n’écopent que d’une remontrance, mais, en cas de récidive, ils s’exposent à une amende qui peut atteindre 16 000 shekels (3500 euros) et une peine d’emprisonnement de deux à cinq ans. Cet arsenal répressif s’accompagne d’une campagne de sensibilisation, menée par des milliers de bénévoles qui font du porte-à-porte dans toute la Cisjordanie pour vanter les bienfaits du boycott. "Les colonies israéliennes sont à l’origine du blocage des négociations de paix, affirme Hassan Abou Libdeh, ministre palestinien de l’Economie. Il faut donc assécher les sources qui permettent aux colons de s’enrichir."
Surpris par cet accès d’insoumission, le gouvernement israélien s’est aussitôt cabré. Le toupet de Fayyad agace d’autant plus que l’homme, apprécié des chancelleries occidentales, est relativement intouchable. "Nous avons levé des check points [barrages routiers] et travaillons en permanence à l’avancement de l’économie palestinienne, plaide Netanyahu. En dépit de cela, les Palestiniens refusent la paix économique et prennent des mesures qui, en définitive, se retourneront contre eux."
Une approche partagée par les entrepreneurs israéliens, qui s’inquiètent surtout du second volet de l’offensive palestinienne, encore en gestation, destiné à proscrire l’embauche de Palestiniens dans les colonies juives. Une main-d’oeuvre évaluée à 20 000 personnes, qui font vivre, grâce à leur salaire, près de 150 000 autres Palestiniens. "Fayyad est-il vraiment prêt à virer ces ouvriers et à leur offrir un salaire de remplacement ?" interroge Dan Catarivas, responsable au patronat israélien. [1]
"Chiche !" répond l’entourage du Premier ministre. Un fonds de compensation de 150 millions de dollars est en préparation. Il devrait amortir l’impact de cette nouvelle mesure d’interdiction, censée entrer en application à la fin de l’année. La bataille non violente des colonies ne fait que commencer.
[1] voir aussi Michael BLUM de l’AFP relayée par Google :
Israël commence à s’inquiéter du boycott économique palestinien
MISHOR ADOUMIM — "Le boycott, c’est du terrorisme économique !", fulmine Avi Elkayam, un homme d’affaires israélien qui dirige l’association des industriels de Mishor Adoumim, une colonie juive de Cisjordanie.
Même s’il reconnaît que ce boycott "n’a qu’un impact minime" sur les affaires, M. Elkayam s’inquiète pour l’avenir.
Avec l’ambition de préparer l’avènement d’un Etat indépendant, l’Autorité palestinienne organise un boycottage des produits provenant des 120 implantations juives de Cisjordanie occupée, une décision qui a l’assentiment de la "rue palestinienne".
L’Autorité envisage aussi de sanctionner les Palestiniens qui continueraient d’aller travailler dans les colonies après le 1er janvier prochain, une mesure beaucoup moins populaire.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a fustigé l’appel au boycott, jugeant que "malgré nos efforts pour développer une paix économique, les Palestiniens prennent des décisions qui vont à l’encontre avant tout de leurs intérêts".
Avec ses 300 industries, la zone industrielle de Mishor Adoumim fournit plus de 3.000 emplois aux Palestiniens de la région sur les 22.000 travaillant dans des entreprises israéliennes en Cisjordanie.
Avi Elkayam, 35 ans, dirige une société de confiserie avec un chiffre d’affaires d’un million de shekels (200.000 euros), dont 5% proviennent des Territoires palestiniens.
"Nous savons comment contourner ce boycottage, en changeant les étiquettes sur nos produits, par exemple", explique-t-il, assurant qu’aucune entreprise de Mishor Adoumim n’a fermé à cause de l’embargo palestinien.
Mais quand on évoque l’assèchement de la main d’oeuvre palestinienne, il s’emporte : "Depuis 20 ans, nous sommes ensemble ici, Palestiniens et Israéliens, pourquoi vouloir tenter de briser cette coexistence ?"
Une responsable de l’entreprise voisine, qui préfère garder l’anonymat, ne cache pas ses craintes.
Elle vend ses produits dans le monde entier, parfois avec des étiquettes affichant une autre provenance que celle de son usine de Cisjordanie afin de contourner les campagnes internationales de boycott. Les colonies sont considérées comme illégales par la communauté internationale.
Plus de 200 Palestiniens, en majorité de Jéricho, se rendent chaque matin dans cette usine.
"Nous dépendons de ces Palestiniens pour la fabrications de nos produits et ils dépendent de nous pour nourrir leurs familles", précise-t-elle.
Au supermarché Rami Lévy, dans la colonie du Gush Etzion, près de Bethléem, troisième magasin de cette chaîne installé en Cisjordanie, les clients palestiniens côtoient les Israéliens, en majorité des colons venus des implantations voisines.
Le directeur du supermarché, Ovadia Lévy, dont plus de la moitié des 110 employés sont des Palestiniens, est confiant : "Ils continueront d’acheter chez nous car les prix sont attractifs, il y a un plus grand choix de produits que chez eux", assure-t-il.
Il est convaincu que les premières victimes du boycottage seront les Palestiniens eux-mêmes.
"Ils ont besoin de nourrir leurs enfants, l’Autorité palestinienne ne leur offre aucune alternative", souligne-t-il.
C’est ce que pense Moussa Johar, un Palestinien de 55 ans, habitant d’un village voisin, qui déclare : "Personne ne va me dire comment je vais gagner ma vie".
"Nous ne faisons pas de politique, nous voulons continuer à pouvoir ramener de l’argent à la maison et ce n’est pas l’Autorité palestinienne qui va me nourrir", argue cet ouvrier du BTP.