Adri Nieuwhof
The Electronic Intifada
The Electronic Intifada
          Ce mois-ci, le groupe palestinien : Le trio Joubran, a donné un  concert à Genève pour soutenir le travail de l’association  Meyrin-Palestine qui projette de construire un centre culturel à Gaza.  Le trio Joubran est composé de trois frères, Samir, Wissam et Adnam  Joubran, qui jouent de l’oud, un instrument en forme  de poire du Moyen-Orient qui fait partie de la famille du luth. Le  collaborateur d’Intifada Electronique Adri Nieuwhof parle avec Samir  Joubran de la musique du trio.         
Adri Nieuwhof  :  Pouvez-vous vous présenter, s’il vous plaît ?
Samir Joubran : Je suis  l’aîné de trois frères. Nous sommes des musiciens de Palestine, nés à  Nazareth. Mon père est un joueur de oud de la troisième génération.  Wissam a étudié au conservatoire Antonian Stradivari en Italie. Il a  appris à fabriquer des instruments à cordes, surtout des violons. C’est  lui qui a fabriqué nos instruments. J’ai une formation classique et j’ai  commencé à jouer en public à douze ans. En 2003 Wissam et moi avons  fait un CD, c’est un duo, une rencontre de nos ouds.
L’année dernière nous avons fait un troisième CD, un  hommage au poète palestinien Mahmoud Darwish. Nous composons toute notre  musique nous-mêmes. C’est peut-être la première fois dans l’histoire  que trois frères jouent ensemble sur trois ouds.
AN : Pourquoi avez-vous  choisi le oud ? Que signifie cet instrument pour vous ?
SJ : J’ai grandi dans une  maison pleine de ouds. Mon père en fabriquait un par mois. On peut même  dire que j’ai vécu dans une maison où tout tournait autour du oud.. Cet  instrument est le père de tous les instruments à corde. Il a plus de  4000 ans. C’est plus qu’un morceau de bois ; Quand vous jouez vous le  serrez contre vous, vous le sentez résonner dans votre ventre. Il fait  partie de notre corps, de notre culture, de notre identité. Il y a deux  jours nous étions à Nazareth. Nous avons donné un concert à Haifa et un  autre à Ramallah le 13 mars, jour de l’anniversaire de Mahmoud Darwish  que l’Autorité Palestinienne a institué Journée de la Culture  palestinienne. A ces concerts nous avons utilisé la voix et les chants  de Mahmoud Darwish (en passant un  enregistrement de ses poèmes récités par lui-même).
AN : Je vous ai vu à un  concert de soutien à Gaza. Pourquoi avez-vous décidé de faire cela ?
SJ : Nous avons 70 à 80  concerts par an, principalement en Europe. Nous sommes invités par des  professionnels, ils nous invitent pour notre musique. Nous nous sommes  produits environ quatre fois à Genève. Cela nous plaît et nous plaisons  au public. L’association qui nous a invités aide les Palestiniens de la  bande de Gaza. Nous n’avons pas hésité une seconde. Nous voulons  contribuer au combat de notre peuple pour la liberté. Nous ne voulons  pas être ni des héros ni des victimes. Nous voulons vivre comme des  êtres humains.
AN : Vos frères Wissam et  Adnam sont les autres membres du trio. Votre musique donne l’impression  que vous parlez d’une seule voix. Comment y êtes-vous parvenus ?
SJ : Nous ne partageons  pas seulement la musique, nous sommes de la même famille. S’il y a des  problèmes dans la famille, notre musique s’en ressent. J’ai pris mon  frère Wissam (qui a dix de moins que moi) dans le groupe parce qu’il  était un excellent joueur de oud. Adnam s’est donné beaucoup de mal pour  qu’il soit prêt à jouer en public. Nous nous comprenons, nous  partageons les mêmes émotions, les mêmes racines, nous venons de la même  école de musique. Il y a entre nous une grande unité, ce qui ne nous  empêche pas d’avoir encore un style personnel, reconnaissable dans notre  musique.
Nous travaillons ensemble pour la Palestine, pour notre  culture.
AN : Pouvez-vous nous  parler de votre relation avec Mahmoud Darwish ? En quoi est-il si  important pour vous ?
SJ : J’ai commencé à jouer  avec Mahmoud Darwish en 1996 : avec lui en personne, avec ce qu’il  représente pour moi, avec ses poèmes. Il est le poète le plus important  du siècle passé. Nous avons donné un concert avec lui à Arles deux  semaines avant sa mort. Il m’a dit : « Tu as le futur devant toi ». Mon  futur est dans le passé. Mahmoud Darwish est partout dans notre musique,  jusque dans le titre des morceaux. Une fois il a mentionné le mot  « majaz », cela signifie « métaphore ». Je ne connaissais pas ce mot et  je lui ai demandé ce que cela voulait dire. Il m’a répondu : « Une  métaphore c’est l’ombre des mots ». Nous avons appelé notre dernier CD  ainsi en honneur de Mahmoud Darwish. Il est la voix de la Palestine et  le deuxième nom de la Palestine.
AN : Vous avez dit que  vous aviez donné un concert à Ramallah le 13 mars. N’avez-vous pas eu de  problèmes pour vous y rendre ?
SJ : Sur la route de  Nazareth à Ramallah nous avons été retenus deux heures au checkpoint de  Qaladiya. Vous avez peut-être entendu parler des troubles qu’il y a eu à  Jérusalem ? A Qalandiya il y a eu beaucoup de coups de feu, des gaz  lacrymogènes, les soldats courraient tout partout. Nous sommes restés  quand même parce que nous voulions absolument aller à Ramallah. Nous  voulons mener une vie normale dans une situation anormale. Nous voulions  faire oublier un peu leurs problèmes aux habitants de Ramallah en leur  apportant de l’amour et de l’art. Des personnes de tous âges sont venues  au concert. Notre mission est de donner l’exemple de l’espoir malgré  les difficultés qui sont les nôtres.
AN : Pensez-vous que la  culture palestinienne est menacée ?
SJ : Oui, oui, Mais je  crois que toutes les cultures sont menacées à cause de l’Internet. Nous  les Palestiniens nous n’avons pas besoin de regarder les autres  cultures. La tradition n’est pas ce que vous lisez dans le passé, c’est  ce que vous écrivez aujourd’hui. Nous défendons notre culture. Israël  essaie de voler notre terre, nos arbres, nos âmes. Mais ils ne peuvent  voler notre culture. C’est en affirmant notre culture et en creusant  plus profondément dans notre culture que nous faisons notre histoire.  J’espère qu’un jour la Palestine sera libre. Nous voulons monter sur  scène comme les autres musiciens. Les musiciens de Suède n’ont pas  besoin de penser à la libération de leur pays quand ils montent en  scène. Non, quand la Palestine sera libre, nous serons libres.
 
 
