Ivar Ekeland, Annick Coupé, Nahla Chahal et Michèle Sibony
A l’heure où ni la communauté  internationale, ni l’Union européenne et encore moins la France, ne  jouent leurs rôles dans l’application des résolutions internationales  votées par l’ONU, il s’agit bien de construire un mouvement citoyen,  "par le bas", exerçant des pressions économiques et politiques sur  Israël afin qu’il applique les résolutions votées par les Nations unies.
Pour la Campagne Boycott  désinvestissement sanctions (BDS) à l’égard d’Israël, l’heure est  semble-t-il en France à la criminalisation et aux attaques  diffamatoires. La tribune publiée par Me Michaël Ghnassia sur Le  Monde.fr du 24 mars n’en est qu’un exemple. La rhétorique déployée par  ce dernier renvoie un geste citoyen pour obtenir l’application du droit  international, le boycott, à une "hérésie morale". Le boycott a pourtant  une histoire en forme d’arme des sans-armes, que Me Ghnassia semble  bien oublier : boycott des bus de Montgomery en 1955 à l’appel de Martin  Luther King, boycott de l’Afrique du Sud contre l’apartheid à la fin  des années 1970… A une échelle plus modeste, en janvier 2001, des  ouvriers de Calais et Ris-Orangis menacés de licenciements appelaient à  boycotter leur propre compagnie, Danone.
Aujourd’hui, la Campagne internationale BDS, dont des  dizaines d’associations, de syndicats et de partis politiques sont  signataires, relaie l’appel de la société civile palestinienne lancé en  2005, enjoignant aux "hommes et femmes de conscience du monde entier  [d’]imposer de larges boycotts et [de] mettre en application des  initiatives de retrait d’investissements contre Israël tels que ceux  appliqués à l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid". Un appel repris  depuis en France et dans le monde, et qui s’inscrit d’abord dans un  contexte politique dont Me Ghnassia ne saurait ignorer les derniers  développements les plus tragiques : lorsqu’Israël proclame il y a trois  semaines la construction de 1 600 logements supplémentaires à  Jérusalem-Est, continuant ainsi à coloniser et à expulser des familles  palestiniennes, il s’agit d’une violation totale de la résolution  onusienne 242. Le rapport de la commission Goldstone, accusant Israël de  "crimes de guerre" et de possibles "crimes contre l’humanité" lors de  la guerre contre Gaza en janvier 2009, et qui a fait plus de 1 400 morts  palestiniens, a été adopté par le Conseil des droits de l’homme et  l’Assemblée générale de l’ONU, sans que pourtant rien ne soit fait par  les grandes institutions internationales pour mettre fin au blocus  imposé à l’ensemble de la bande de Gaza.
Or toute l’essence et l’éthique de la Campagne BDS se  situe à ce point précis : à l’heure où ni la communauté internationale,  ni l’Union européenne et encore moins la France, ne jouent leurs rôles  dans l’application des résolutions internationales votées par l’ONU, il  s’agit bien de construire un mouvement citoyen, "par le bas", exerçant  des pressions économiques et politiques sur Israël afin qu’il applique  les résolutions votées par les Nations unies. C’est cela, la Campagne  BDS, et rien que cela : l’exigence du droit, et de tout le droit, à  l’heure où les puissances internationales abandonnent justement ces  "sans-droits" que sont aujourd’hui les Palestiniens.
Michaël Ghnassia écrit à juste titre que "la justice des  hommes s’est construite sur ce principe de la responsabilité  individuelle, qui est aujourd’hui un droit fondamental à valeur  constitutionnelle, consacré par la Déclaration des droits de l’homme et  l’ensemble des conventions internationales". Or c’est justement à cette  notion de responsabilité individuelle que nous appelons. Responsabilité  individuelle de citoyens, qui s’interrogent sur les Accords  d’associations entre Israël et l’Union européenne qui ne valent, comme  l’indique leur article 2, que si Israël "respecte les droits de  l’homme". Responsabilité de consommateurs également : lorsque  l’entreprise israélienne Agrexco/Carmel, exportant fleurs, fruits et  légumes, compte s’installer dans le port de Sète, nous sommes en droit  de dénoncer le fait que cette entreprise exporte 70 % des productions  des colonies israéliennes installées dans les territoires de Cisjordanie  (en toute illégalité, selon les normes du droit international), et de  refuser d’en consommer les produits.
Me Michaël Ghnassia écrit encore que "l’objet de cette  campagne-propagande n’a finalement pour but que de réduire une nation,  composée d’individus aux opinions et aux engagements aussi différents  que ceux qui peuvent exister en France, en un unique ennemi désincarné  et sans humanité : l’’Israélien’ ou le ’sioniste’". Or, faut-il aussi le  rappeler, la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions,  lancée à l’initiative d’acteurs politiques, syndicaux et associatifs  palestiniens, a été reprise et soutenue en Israël même par des  mouvements pacifistes et anticolonialistes israéliens, qui, comme la  Coalition des femmes pour la paix alimente depuis quelques années un  site nommé "A qui profite l’occupation" (Who Profit from the  Occupation ?), permet de cibler les entreprises israéliennes et  étrangères impliquées dans la colonisation. C’est cela qu’omet de dire  Me Michaël Ghnassia : la Campagne BDS n’a justement aucune couleur  confessionnelle. Elle s’étend de la société civile palestinienne aux  mouvements anticolonialistes israéliens, des syndicats britanniques au  Conseil des étudiants de Berkeley (Californie) demandant à leur  université de se désinvestir de sociétés américaines impliquées dans la  fabrication d’armes israéliennes. C’est peut-être ce caractère pluriel,  internationalisé et antiraciste de la Campagne BDS qui fait peur  aujourd’hui à un gouvernement israélien dans lequel l’extrême droite  tient plusieurs ministères, dont celui des affaires étrangères. Et qui  explique le déferlement de dénégations et de mensonges à l’encontre  d’une campagne internationale de boycott n’ayant qu’un seul objectif  reconnu : l’application du droit.
Signataires :
Ivar Ekeland est ancien président de l’université  Paris-Dauphine et président de l’Aurdip (Association des universitaires  pour le respect du droit international en Palestine),
Annick Coupé est porte-parole de Solidaires,
Nahla Chahal est coordinatrice de la Campagne civile  pour la protection du peuple palestinien,
Michèle Sibony est co-présidente de l’Union juive  française pour la paix,
tous sont membres de la Campagne BDS France.
publié par le Monde
 
 
