Efraim Sneh, ancien ministre adjoint de la Défense, analyse les tensions israélo-américaines en relation avec le dossier iranien. Inquiet de la dégradation de l’image internationale d’Israël, il conclut que la meilleure option est celle d’un gel de la colonisation en échange de sanctions unilatérales des USA contre Téhéran. Faute de quoi, Israël devrait attaquer l’Iran avant l’hiver prochain, juge-t-il. --- La lecture d’Efraim Sneh montre à quel point la mentalité obsidionale des dirigeants israéliens les prive de vision géostratégique. Une paix juste, par exemple selon les termes de l’initiative saoudienne, ferait d’Israël un acteur régional central, dialoguant d’égal à égal avec Riyad, Ankara et Téhéran, et désamorcerait du même coup l’idée folle selon laquelle l’Iran pose une réelle menace existentielle à un pays doté de dizaines d’ogives nucléaires. Mais il faut pour cela admettre que la géographie conditionne le destin d’Israël. Celui d’un pays moyen-oriental qui doit vivre en bonne entente avec ses voisins, et non d’un fortin occidental, fiché en une terre qui lui serait éternellement hostile, condamné à vivre dans l’alarme et la crainte. Contre Info.
par Efraim Sneh, Haaretz, 2 avril 2010
La crise actuelle entre Israël et les Etats-Unis est grave et fondamentale. Même si une solution minimale est trouvée, elle ne sera que temporaire, avant la prochaine crise, qui ne saurait tarder. Ces crises nuisent à nos intérêts nationaux, et une véritable solution durable doit être mise en œuvre. Pour ce faire, dix hypothèses doivent être prises en compte :
1. Israël ne peut poursuivre longtemps une confrontation avec ses amis, alors que sa légitimité est érodée. Cela va bientôt commencer à pénaliser une économie basée sur les exportations.
2. Sans une pause réelle dans l’expansion et la construction de colonies à Jérusalem-Est, Israël continuera de perdre le soutien de ses amis et sa légitimité internationale.
3. Israël ne peut pas vivre à l’ombre d’un Iran nucléaire. L’immigration cessera, davantage de jeunes vont émigrer et les investissements étrangers vont diminuer. Un Israël qui ne serait plus un foyer sûr pour les Juifs de la diaspora et ne serait plus caractérisé par un esprit d’entreprise et d’excellence signifierait la fin du rêve sioniste.
Un Iran nucléaire renforcerait l’audace des extrémistes de la région, menacerait les modérés et amènerait, dans quelques années, à l’acquisition d’armes nucléaires par l’Arabie Saoudite et l’Egypte. L’équilibre des puissances de la région se transformerait, au désavantage d’Israël.
4. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, en conformité avec ses convictions fortes en la matière, ne peut se permettre d’être le dirigeant ayant laissé l’Iran obtenir l’arme nucléaire durant son mandat.
5. En l’absence de « sanctions paralysantes » qui affaibliraient le régime de Téhéran, il est raisonnable de supposer que d’ici 2011 l’Iran disposera d’une ou deux bombes nucléaires.
6. Une campagne militaire israélienne contre les installations nucléaires iraniennes serait de nature à paralyser ses projets nucléaires pour un certain nombre d’années. Les mesures de rétorsion contre Israël seraient pénibles, mais supportables.
7. Il serait difficile pour le président américain Barack Obama, ne serait-ce que pour des raisons politiques internes, d’entreprendre une action militaire contre l’Iran et, partant, d’ouvrir un nouveau théâtre de conflit, en plus de l’Irak et l’Afghanistan.
8. L’acquisition d’armes nucléaires par l’Iran durant le mandat d’Obama lui causerait beaucoup de dommages au plan politique. Ceux résultant d’une frappe israélienne décidée de façon indépendante - une flambée des prix du carburant et des pertes américaines subies lors d’opérations de représailles - auraient un effet dévastateur pour Obama.
9. Pour des raisons pratiques, en l’absence de véritables sanctions, Israël ne sera pas en mesure d’attendre jusqu’à la fin de l’hiver prochain, ce qui signifie qu’il faut agir aux alentours de la période des élections au Congrès, en novembre, scellant ainsi le destin présidentiel d’Obama.
10. Sans légitimité internationale, et avec ses amis en colère contre lui, il sera très difficile pour Israël d’agir seul.
Ces 10 hypothèses montrent à quel point la situation est complexe. En les soupesant, il apparaît une seule solution à la crise avec les États-Unis : mettre fin aux implantations. Israël devrait adopter un gel illimité de la colonisation et de l’expansion des « avant-postes », s’abstenir de construire de nouveaux quartiers à Jérusalem-Est et arrêter les constructions juives dans les quartiers arabes.
Les États-Unis, indépendamment du Conseil de sécurité des Nations unies, où les sanctions seraient privées de tout mordant, devraient mettre en œuvre une législation sur les sanctions contre l’Iran (un embargo sur la vente de carburant, sur l’investissement et la modernisation des industries pétrolières et gazières et un boycott total de son système bancaire). Agissant ainsi, ils seraient rejoints par leurs partenaires naturels et les Etats européens importants.
Seule une telle approche intégrée répondrait ensemble aux exigences de la sécurité de l’Amérique et d’Israël. Le premier ministre pourrait trouver une majorité à la Knesset qui choisirait la coopération avec les États-Unis sur cette question de survie, plutôt que de complaire à l’extrême droite.
Ephraim Sneh a occupé plusieurs fonctions ministérielles. Il préside le Center for Strategic Dialogue au Netanya Academic College. Après avoir quitté les travaillistes, il a fondé le parti Yisrael Hazaka (Israël Fort), qui n’a obtenu aucun siège aux dernières législatives. Il est le fils de Moshe Sneh, l’un des dirigeants de la Haganah.
Publication originale Haaretz, traduction Contre Info