Ramzy Baroud - The Palestine Chronicle
Imaginons seulement ce qui se passerait si le Hamas décidait de riposter, étendant le champ de bataille de la bande de Gaza au reste du monde.
Al-Mabhouh a de plus été, et avec cynisme, spolié de son rapport personnel à l’événement.
L’assassinat du militant palestinien, Mahmoud al-Mabhouh, le 19 janvier 2010, fut manifestement un acte bien prémédité, violent et sadique, commis par des assassins israéliens, dans la pseudo sécurité d’un pays souverain.
Oui, Mahmoud al-Mabhouh était un militant palestinien. Nous n’avons aucune raison de penser le contraire. Il a passé des années de sa vie dans les prisons israéliennes - et un an dans une prison égyptienne - pour son militantisme politique. Cela ne donne pour autant aucune crédibilité à l’accusation par Israël de meurtres d’Israéliens. Cette allégation devient même plus problématique alors que l’assassinat d’al-Mabhouh fut, d’après la presse britannique, ordonné par des politiciens israéliens de droite et accusés de crimes de guerre.
Selon le Sunday Times, Meir Dagan, l’actuel directeur du Mossad a informé le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu du projet d’assassinat lors d’une réunion, début janvier. « Le peuple d’Israël a confiance en vous. Bonne chance, » aurait déclaré Netanyahu à la fin de cette réunion.
Il est déjà scandaleux que les assassins aient utilisé des passeports européens « falsifiés », de même que des cartes de crédit d’une banque américaine, pour réaliser leur projet. Mais le plus affligeant, c’est que cette action cruelle et calculée n’ait inspiré guère plus que des manifestations d’ « indignation ». Nous sommes-nous à ce point « résignés » à l’impunité israélienne ?
Qu’en est-il de l’inviolabilité de la vie, de la souveraineté des nations et du respect du droit international ? Sont-ils bon à jeter dès que la victime est palestinienne, et que le lieu du crime est un pays arabe ?
Al-Mabhouh a de plus été, et avec cynisme, spolié de son rapport personnel à l’évènement. Nous ne savons que peu de chose sur l’homme en dehors de ce que les Israéliens voulaient qu’on sache - un agent important du Hamas responsable de l’enlèvement et du meurtre de deux soldats israéliens, l’un des fondateurs de la branche militante du Hamas, Izz al-Din al-Qassam, et l’intermédiaire entre le Hamas à Gaza et la Force des gardes révolutionnaires al-Quds en Iran.
Qui a inventé cette histoire si furieusement réductionniste de la vie d’al-Mabhouh, en un si court laps de temps ? Sa famille ? Le Hamas ? Les médias palestiniens ? Non, aucun de ceux-là. L’inventeur de cette biographie c’est Israël, le pays même qui l’a assassiné. C’est cela qui est vraiment scandaleux : c’est l’assassin qui écrit et convainc le monde de l’histoire de la victime. Et les médias, ravis, courent avec lui.
Evidemment, un Palestinien aurait raconté l’histoire d’al-Mabhouh en des termes totalement différents. Il dirait qu’il est né à Jabalia, l’un des camps de réfugiés les plus pauvres et les plus peuplés de Gaza. Ces seuls mots clés - Gaza, pauvres, peuplés, réfugiés - aident à démêler la véritable histoire d’al-Mabhouh. C’est l’histoire qui est celle de gens qui vivent encore dans une angoisse, une pauvreté et une résistance extrêmes, dans la bande de Gaza - et ailleurs - mise en état de siège inhumain et de guerres successives par la quatrième puissance militaire du monde. Son histoire n’est pas celle de soldats de l’occupation enlevés mais de millions de réfugiés, ce n’est pas celle de l’Iran mais de Gaza et de la Palestine, ce n’est pas celle d’hôtels de luxe mais de camps de réfugiés effroyablement délaissés.
Mais les Palestiniens - comme de nombreux peuples opprimés dans le monde - n’ont pas droit à leur propre narration. Leur histoire est négligeable, si ce n’est totalement hors propos. Israël commet l’assassinat, Israël donne l’explication et, finalement, Israël s’en tire tant pour le crime que pour le mensonge. L’assassinat d’al-Mabhouh pourrait finir par inspirer quelques documentaires qui éclaireraient sur la nature d’assassin des militants palestiniens, et le génie inégalable des représailles israéliennes. Un autre Munich de Steven Spielberg est peut-être en gestation. La première scène ne montrerait pas la famille d’al-Mabhouh, obligée de fuir son village de Palestine après la boucherie ineffable perpétrée par les militants sionistes en 1948. Non, elle montrerait plutôt un Palestinien à la peau noire, menaçant, abattant deux soldats israéliens sans défense suppliant qu’on leur laisse la vie sauve.
On nous dit plus ou moins d’oublier al-Mabhouh. Après tout, son nom est utilisé accolé à ceux du Hamas et de l’Iran, dans la même phrase. Cela devrait suffire pour nous comprendre que sa vie n’était pas indispensable - comme celle des plus de 1 400 Palestiniens qui furent tués par l’armée israélienne à Gaza entre décembre 2008 et janvier 2009. Israël peut bien préparer une nouvelle agression contre la Bande en pleine misère. Les tunnels qui constituent une bouée de sauvetage pour la grande majorité des Palestiniens à Gaza sont régulièrement détruits par l’aviation israélienne, dynamités et barrés par un mur d’acier égyptien. Les Gazaouis sont également interdits de tout armement pour se défendre. La « communauté internationale » s’est réunie maintes fois pour s’assurer qu’aucune arme ne parvenait à Gaza. les Etats-Unis en particulier sont absolument inflexibles sur cette question - mais pas inflexibles du tout pour assurer que la nourriture et les médicaments arrivent dans la Bande. Al-Mabhouh peut avoir été tué parce qu’Israël pensait qu’il armait la résistance. Ceci expliquerait en partie pourquoi la « communauté internationale » ne s’est pas émue du meurtre. Al-Mabhouh peut encore avoir été impliqué dans un manquement au consensus occidental sur l’interdiction de nourriture et d’armes pour Gaza.
L’Union européenne est préoccupée simplement parce qu’elle a été mêlée à l’histoire, mais pas par l’assassinat lui-même. Une déclaration de l’UE à Bruxelles, du 22 février, condamne le « fait que les personnes impliquées dans cette action ont utilisé des passeports falsifiés d’Etats membres de l’UE ». Elle ne cite aucunement le nom d’Israël. Comme le Financial Times l’a conclu, « La critique d’Israël a eu la force que l’Union européenne pouvait se permettre, compte tenu que l’Allemagne, l’Italie et plusieurs autres pays mettent grandement l’accent sur leurs relations étroites avec Israël ».
Imaginons seulement ce qui se passerait si le Hamas décidait de riposter, étendant le champ de bataille de la bande de Gaza au reste du monde. L’UE exprimerait-elle sa désapprobation devant l’utilisation par le Hamas de passeport falsifié, en s’abstenant de citer le nom du mouvement : dans la crainte, disons, de contrarier les pays musulmans ?
Non. Car quand la victime est un Palestinien et les assassins sont des Israéliens - 27 à ce jour -, c’est une histoire totalement différente, et une conception de la justice totalement différente.
* Ramzy Baroud (son site : http://www.ramzybaroud.net) écrit pour PalestineChronicle. Son dernier livre est Mon père était un combattant de la liberté : l’histoire indicible de Gaza » (Pluto Press, Londres) est disponible sur Amazon.com
10 mars 2010 - The Palestine Chronicle - traduction : JPP