Frontières . Les incidents, qui ont eu lieu simultanément sur la frontière avec la bande de Gaza, alimentent une large campagne médiatique.
La contestation de centaines de militants pro-palestiniens ainsi que la mort d’un soldat égyptien abattu dans son poste d’observation ont donné lieu à une vague de colère exploitée, de l’avis de plusieurs observateurs, pour gagner une opinion publique largement solidaire avec les habitants de Gaza soumis à un blocus israélien quasi permanent depuis plus deux ans, auquel l’Egypte est accusée de contribuer.
Mercredi 6 janvier, un garde-frontière âgé de 21 ans a été tué par balles lors d’affrontements avec des militants palestiniens près du terminal de Rafah, à la frontière avec la bande de Gaza. L’incident a eu lieu à la suite d’une manifestation de quelques centaines de jeunes palestiniens qui protestaient en lançant des pierres contre l’édification d’un mur métallique souterrain du côté égyptien de la frontière. La construction de ce mur, destiné à empêcher le creusement de tunnels de contrebande, a été largement critiquée par des organisations arabes et musulmanes aussi bien que par des opposants égyptiens dans la mesure où elle risque d’aggraver la crise humanitaire qui sévit dans ce secteur.
Les violences à Rafah faisaient suite à des échauffourées qui ont eu lieu la veille au port voisin d’Al-Arich entre les forces de l’ordre et des membres d’un convoi international d’aide destiné à Gaza. Les militants protestaient contre une décision de l’Egypte de faire transiter une partie de leurs véhicules par Israël. Une cinquantaine de personnes ont été blessées dans un échange de jets de pierre dont 15 policiers.
Le ministère des Affaires étrangères a haussé le ton en promettant de ne plus laisser passer ce genre de convois à travers le territoire national et en affirmant au Hamas que la « patience de l’Egypte a des limites ».
L’écrivain islamiste Fahmi Howeïdi compare « l’indignation » officielle dans le cas du meurtre de ce soldat au discours réservé qu’adoptent les autorités quand des gardes-frontières sont tués par balles israéliennes. Il se réfère à des sources du ministère de l’Intérieur du Hamas pour mettre en question la version officielle relative au meurtre du soldat tué à la frontière. « Leur communiqué affirme que le soldat a succombé à des balles égyptiennes, ce que corrobore d’ailleurs le rapport du ministère de la Santé égyptienne, selon lequel les balles l’ont touché au dos ».
Selon Howeïdi, la campagne frénétique des médias égyptiens vise avant tout à couvrir la construction du mur d’acier et le renforcement du blocus entrepris par l’Egypte. « Ce que veulent les Etats-Unis et Israël et ce que veut l’Egypte c’est la liquidation du Hamas. Tout ce qu’on dit sur les efforts pour la réconciliation palestinienne est du bluff, la vérité est qu’il existe un plan plus large qui est prêt à être commercialisé et qui concerne la cause palestinienne dans son ensemble et il se trouve que le Hamas est le seul obstacle qui l’entrave ».
Le point de vue officiel est celui réitéré par Mohamad Bassiouni, ancien ambassadeur égyptien à Israël : « Nous ne sommes pas la cause du blocus (imposé à Gaza), sa levée dépend du Hamas qui en porte la responsabilité devant son peuple ».
Bassiouni insiste que lesdits « travaux de construction » entrepris par l’Egypte à la frontière avec Gaza sont parfaitement légitimes et n’ont pas besoin d’être justifiés. « Il s’agit de boucher les brèches illégales par où passent armes et terroristes. Faut-il laisser ces accès pour devenir un pays à l’image de l’Iraq ou de l’Afghanistan, où chaque jour témoigne d’un attentat terroriste à la voiture piégée ? », s’indigne-t-il.
Considérant les implications de ces incidents frontaliers sur la politique égyptienne, l’ancien diplomate estime que l’Egypte continuera à déployer ses efforts pour l’amélioration des conditions de vie du peuple palestinien et pour la création de leur Etat indépendant. « Nous ne sommes pas contre les Palestiniens, les vrais Palestiniens qu’on connaît, tandis que ceux-là ne sont que des terroristes assassins », dit-il en allusion aux militants du Hamas.
L’Egypte a-t-elle cédé aux pressions américaines en contribuant à « l’étouffement » de Gaza ? « L’évaluation de la situation était défectueuse dès le début », analyse de son côté Qadri Saïd, chercheur au Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « L’Egypte fermait les yeux sur ces tunnels quand il y avait des affinités idéologiques et politiques avec la partie de l’autre côté des frontières. Quand la situation a changé, ces fenêtres qui amenaient un peu d’air sont devenues une source de poussière », poursuit-il.
Parallèlement à la construction de ce barrage destiné à mettre fin à « l’économie des tunnels », M. Saïd estime que l’Egypte devra notamment assouplir l’application des accords qui gèrent l’ouverture du poste-frontière de Rafah, pour alléger les conditions de vie des Gazaouis, étant donné que, d’après lui, une crise économique chez ces voisins immédiats aura des conséquences malheureuses sur la sécurité égyptienne. « L’Egypte devra également prendre une part plus active à la relance des efforts de reconstruction de Gaza », ajoute-t-il.
L’analyste dénonce toutefois la campagne médiatique insensée engagée suite à la mort du soldat égyptien. « Il faut adopter une position plus rationnelle et, au lieu de couper les ponts, multiplier nos contacts avec les responsables du Hamas pour trouver des solutions à leurs problèmes intérieurs et faire avancer la réconciliation nationale palestinienne », conclut Kadri Saïd.
Chérif Albert