vendredi 16 octobre 2009

« L’anti antisémitisme » avec Norman Finkelstein

jeudi 15 octobre 2009 - 06h:07

Palestine Monitor


Qu’est-ce qui relie l’ex-président Jimmy Carter, la baronne britannique Jenny Tongue et l’université de Californie ? Tous ceux (innombrables) qui ont récemment été accusés d’antisémitisme, vilipendés dans la presse pour avoir posé des questions sur l’occupation de la Palestine par Israël.

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Finkelstein en conférence
(photo Palestine Monitor)

C’est un réflexe de la part de groupes pro Israël comme la Ligue anti-diffamation que de répandre publiquement des calomnies sur la personne des critiques un peu bruyants, et nul n’a été plus systématiquement ciblé que le politologue Norman Finkelstein. Nous avons parlé avec lui du passé, du présent et de l’avenir de l’antisémitisme en tant que tactique.

Avec le rapport Goldstone, une pression s’exerce aujourd’hui sur Israël pour qu’il explique son comportement. Plus la réalité se fait jour du massacre de Gaza, devenue accessible au monde grâce aux médias numériques, plus il devient difficile pour ses apologistes de défendre la politique israélienne. Leur réaction au rapport a été de s’en prendre à la légitimité des Nations unies, un « tribunal kangourou » d’après Netanyahu, pendant que le porte-parole du ministre des Affaires étrangères, Yigal Palmor, dénonçait une « campagne de victimisation contre Israël » à propos des conclusions du rapport. Palmor a également rendu publique une déclaration selon laquelle Israël allait chercher à bloquer et à endiguer les effets, plutôt que de s’attaquer à chacune des accusations essentielles portées contre lui.

Finkelstein considère que Goldstone représente un filigrane de qualité pour ceux qui critiquent la politique israélienne, particulièrement aux Etats-Unis. « On connaît trop de choses maintenant sur l’agenda d’Israël et partout dans le monde les gens estiment qu’il est impossible de concilier les principes libéraux avec un sionisme patent. Les massacres israéliens ont couvert toutes les unes de la presse. Ils sont devenus incontournables dans la vie publique. Même les journalistes juifs dans le New York Times ont du mal à soutenir Israël. Le système d’apartheid est en train de devenir impossible à défendre. » Finkelstein a le sentiment que le rapport a aider à faire évoluer les sympathies dans les médias, particulièrement dans le sillage de Goldstone. « Il n’y a eu aucun éditorial d’importance pour défendre Israël contre le rapport, principalement parce qu’Internet a mis fin au monopole du New York Times et du Washington Post. Pendant le massacre de Gaza, chez les blogueurs, et spécialement chez les jeunes blogueurs juifs, une immense majorité s’est prononcée contre ce qu’Israël avait fait. L’influence de ces deux médias n’agit plus que pour eux. »

Un gouffre se creuse de plus en plus entre les idéaux d’Israël et les juifs. On a pu le voir dans les différentes agressions pour antisémitisme contre certains juifs. Goldstone lui-même, Noam Chomsky et Finkelstein ont été mis à l’écart pour avoir « la haine d’eux-mêmes », révélant le désespoir grandissant des lobbys sionistes d’empêcher le débat. Pour Finkelstein, ces lobbies n’ont plus à faire à des cas marginaux mais à la communauté juive dans son ensemble. « La plupart des juifs aux Etats-Unis sont des libéraux. 79% ont voté Obama et ils prennent maintenant position. Les juifs américains sont embarrassés par les actions d’Israël à Gaza et en Cisjordanie, qui ne reflètent pas leurs valeurs libérales ». On a bien remarqué cette scission quand la Ligue anti-diffamation a décerné un prix au Premier ministre d’extrême droite d’Italie, Silvio Berlusconi, le qualifiant d’ « ami d’Israël ». Et elle lui a décerné ce prix une semaine après que Berlusconi ait fait l’éloge de l’homme de confiance d’Hitler, Mussolini, en tant que héros italien.

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Des bombes à phosphore tombent sur Gaza.
(Photo Palestine Monitor)


Une telle alliance marque les nouvelles perceptions de l’antisémitisme et de ses agresseurs. Les sionistes doivent maintenant compter sur les groupes chrétiens d’extrême droite comme le CUFI (Chrétiens unis pour Israël) de John Hagee comme soutien contre les critiques des politiciens libéraux et des minorités. Amnesty International a été fréquemment dénoncé comme antisémite, de même que le populaire ancien président Jimmy Carter. On a beaucoup parlé d’une « alliance impie » entre l’Islam et la gauche politique, avec des auteurs conservateurs comme David Horowitz qui concluent que les groupes qui défendent les droits humains auraient un programme pour promouvoir le terrorisme. Pour une explication plus profonde à l’encontre des nouveaux opposants à Israël, le lobby sioniste s’est mis à leur reprocher un « nouvel antisémitisme » : terme nébuleux et suffisamment fluctuant pour être accolé à la plupart des opposants. Arnold Foster et Benjamin Epstein l’ont défini comme « une indifférence implacable à l’égard des préoccupations juives, une incapacité à comprendre l’appréhension la plus profonde du peuple juif ». Une enquête du gouvernement britannique en 2007 sur le racisme en a cité un exemple avec « les perceptions de l’antisémitisme ». Naturellement, de tels caprices permettent les accusations dans tous les sens. Phyllis Chesler, l’auteur de Un nouvel antisémitisme a lancé son vaste réseau sur Internet pour indiquer qui était les ennemis d’Israël : « les organisations internationales pour les droits humains basées en Occident, les activistes occidentaux anticapitalistes, antimondialistes, proenvironnement, antiguerre et antiracistes, les féministes progressistes, les féministes juifs et les médias états-uniens gauchistes et libéraux. »

Ce fut une transition difficile que de passer de la position d’opprimé à celle d’oppresseur et des groupes comme la Ligue anti-diffamation ont dû fouiller plus loin pour rechercher une preuve de leur état de victime. Dans un documentaire récent du réalisateur israélien Yoav Shamir, Diffamation, Shamir interroge un employé de la Ligue sur des cas graves d’antisémitisme qu’elle a eu à traiter. En réponse, la personne interrogée n’a pu citer que quelques exemples de juifs qui s’étaient battus pour s’assurer quelques temps pour prendre des congés. Selon les statistiques de la Ligue elle-même, les cas de violences et de harcèlements contre des juifs ont chuté de 44% ces quatre dernières années.

Malheureusement, cette baisse ne s’accompagne pas d’un ajustement intellectuel sur la question. Les théories de conspiration de Daniel Goldhagen et d’Alan Dershowitz s’inscrivent régulièrement dans les succès de librairie et les établissements de la Ligue BCBG continuent d’alimenter le battage médiatique. Alan Dershowitz reste à la direction du droit à Harvard, en dépit de son appui condamnable à la torture et à l’offensive de Gaza. Pour sa part, Yale a ouvert récemment un centre d’Etudes de l’antisémitisme, une institution qui s’engage à poursuivre la diffusion du mythe de la persécution des juifs auprès de la fine fleur estudiantine des universités états-uniennes. Finkelstein voit dans la situation quelque chose de prévisible : « Les juifs sont une force majeure dans le milieu universitaire et comme beaucoup de groupes, ils agissent dans le cadre d’une allégeance ethnique ». Il y eut plus de panique provoquée à l’université de Californie en 2006, quand elle a réagi aux allégations d’antisémitisme sur le campus en ordonnant une enquête. Comme les étudiants interrogés n’avaient aucune idée du problème, l’enquête a dû conclure que « les campus vivaient un âge d’or de la judéïté, où l’activité intellectuelle juive était vantée et comprise ». Chaim Seddler-Feller, directeur exécutif de l’université de Californie a déclaré à propos de ce résultat : « Pourquoi n’entendons-nous pas les bonnes nouvelles ? Pourquoi tant de juifs sont-ils hystériques ? C’est comme si nous étions drogués par l’antisémitisme ».

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Hitler rencontre Amin Al-Husseini in 1941.
Photo distribuée par le ministre israélien des Affaires étrangères, Avidor Lieberman, en juillet 2009.


Quand il s’agit du principal ennemi d’Israël, les peuples arabes, les diffamations les plus dures (ou les plus basses) liées au nazisme sont souvent ressorties. Quand la critique de la construction coloniale juive a culminé en juillet, le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, a fait circuler une photo de 1941 montrant Hitler avec l’ecclésiastique palestinien Amin Al-Husseini. Alan Dershowitz a publié alors un article scandaleux sur le révisionnisme dans le Jerusalem Post, prétendant que « la direction palestinienne avait joué un rôle important dans l’holocauste de Hitler ». De telles calomnies ne sont pas nouvelles. Tout le temps qu’il a été à le dirigeant palestinien, Yasser Arafat a été comparé à Hitler et les dirigeants palestiniens sont fréquemment présentés comme des partisans du nettoyage ethnique et du génocide contre les juifs. Le chef de la Ligue anti-diffamation, Abraham Foxman, a affirmé que « la survie même des juifs pouvait être à nouveau en danger ».

Que de telles hautes personnalités recourent à ces propos diffamatoires désespérés montre bien la difficulté croissante de leur position. Jouer les victimes n’a jamais été plus difficile pour les majorettes d’Israël, maintenant que les crimes de Gaza sont étalés aux yeux de tous. Les voies dissidentes ne peuvent plus être aussi facilement écartées comme racistes ou démentes, alors que partout dans le monde se manifeste plus d’opposition, au mépris de la chasse aux sorcières antisémites. « Je pense que nous arrivons au terme de l’ère des calomnies, » affirme Finkelstein, « la puissance de ces attaques s’est considérablement atténuée alors que des personnalités éminentes commencent à remettre en question la politique d’Israël. Cela ne marche plus, ce n’est plus crédible et une fois que ce sera fini, il n’y aura plus rien à cacher de ce que fait Israël. »

12 octobre 2009 - Palestine Monitor - traduction : JPP