lundi 21 septembre 2009 - 06h:03
Ralf Beste et Christoph Shult - Der Spiegel
Plus qu’un désaccord douanier
La colonie israélienne Ma’ale Adumim s’est installée comme une forteresse au sommet d’un plateau de roche rouge. Dans la Bible, on appelait la route qui mène à ce plateau, « la route rouge escarpée ».
Colonie israélienne la plus importante dans les zones de Cisjordanie administrées par les Palestiniens, Ma’ale Adumim est occupée par 40 000 personnes. Des bulldozers sont en train de préparer des parcelles de terrains pour de nouvelles constructions à sa périphérie. Sa population grossit chaque semaine et ces dernières années, elle s’est développée plus rapidement que dans tout autre colonie.
En limite de la zone industrielle de la colonie, il y a une usine exploitée par une entreprise appelée Soda-Club. Sa porte métallique a été peinte en bleu et vert pour l’assortir au logo de l’entreprise, d’un style moderne. Une caméra enregistre les mouvements de quiconque s’approche de la porte. L’usine fabrique des appareils pour la gazéification de l’eau plate, comme ceux utilisés dans les cuisines en Allemagne. Et pour ceux qui préfèrent un goût plus sucré, Ma’ale Adumim fournit aussi le sirop.
Les journalistes qui demandent à visiter Soda-Club ne sont pas les bienvenus. Le directeur du marketing, Asaf Snear, prétend au téléphone que c’est pour se protéger de l’espionnage industriel.
Mais il existe une autre raison à ce rejet de l’attention des médias : les produits de Soda-Club sont au cœur d’un désaccord juridique avec l’Allemagne qui pourrait bien de façon significative pimenter un débat déjà animé sur la politique coloniale d’Israël.
Le tribunal des Finances de Hambourg doit maintenant décider si les appareils de Soda-Club fabriqués à Ma’ale Adumim peuvent être importés, libres de taxes, en Union européenne, comme tous les autres produits industriels israéliens. Selon Bruxelles, les produits de l’entreprise ne doivent pas entrer dans cette catégorie car fabriqués dans les colonies israéliennes, situées dans les territoires occupés.
La vraie question est donc : Ma’ale Adumim fait-elle partie d’Israël ? L’UE n’a pas officiellement reconnu les prétentions d’Israël sur Ma’ale Adumim comme sur les autres colonies. Mais en pratique, elle fait peu de chose pour s’opposer aux activités coloniales israéliennes.
Mais cela pourrait maintenant changer. Le tribunal de Hambourg a pris contact avec la Cour européenne de Justice pour obtenir une « décision préliminaire » qui réglerait la question d’une manière contraignante pour les 27 Etats membres de l’Union européenne. On s’attend à ce que la décision soit rendue dans les prochains mois. Si la Cour décide que des droits de douane peuvent être prélevés, cela équivaudra à une décision contre la politique coloniale d’Israël. La question délicate qui est posée : l’Allemagne et l’UE doivent-elles accepter la façon dont Israël traite les territoires occupés, ou doivent-elles utiliser leur arme la plus décisive : les sanctions économiques.
Un dossier « fortement explosif »
Formellement, les juges sont appelés à rendre une décision sur une somme de 19 155,46 €. Brita GmbH, une société allemande, a importé des appareils à gazéifier l’eau et du sirop qui viennent de Ma’ale Adumim. La société a également classé ces marchandises comme des produits « fabriqués en Israël » et prétendu qu’ils devaient dès lors être exonérés de droits de douane.
Mais le bureau principal des douanes sur le port de Hambourg n’a pas voulu poursuivre cette politique. Les agents douaniers allemands ont contacté leurs homologues israéliens pour savoir où exactement avaient été fabriqués ces produits. Quand la réponse est arrivée, elle disait qu’ils avaient été fabriqués dans une zone « sous administration des douanes israéliennes ». Quand les agents de Hambourg ont répondu en demandant si les produits avaient été fabriqués dans des colonies israéliennes, ils n’ont eu aucune réponse. Alors, les Allemands ont prélevé un droit sur les marchandises. Et Brita a déposé plainte contre cette décision.
L’affaire est venue rapidement devant la Commission européenne qui a voulu se saisir de ce différend juridique avec Soda-Club pour faire un exemple à propos d’Israël. Dans une note interne, elle a sollicité le « soutien » des Etats membres de l’Union européenne. Le ministre allemand des Affaires étrangères suit ce « dossier hautement explosif » avec quelque intérêt, et même une certaine sympathie.
L’UE était déjà prête à la confrontation quand fut formé le nouveau gouvernement israélien, de droite et nationaliste. Les 27 ministres des Affaires étrangères de l’UE mirent provisoirement en attente le « renforcement » des relations avec Israël qui était prévu.
Aujourd’hui, l’Europe espère se servir de ce différend douanier pour effectuer de nouvelles pressions sur Israël. L’UE est le deuxième marché le plus important pour les produits israéliens, après les Etats-Unis. En 2008 par exemple, les entreprises israéliennes ont exporté 12 milliards d’euros (16,8 milliards de dollars) de marchandises vers l’Europe. On estime qu’un tiers de ces marchandises a été fabriqué, totalement ou partiellement, dans les territoires occupés. La plupart arrivent en Europe exonérées de taxes, et le fonds de remboursement israélien pour les exportations soumises aux droits de douane n’a guère été utilisé au cours de l’année dernière.
En réaction aux pressions de l’UE, Jérusalem a signé un accord en 2005 demandant à tout exportateur israélien de fournir à l’agence des douanes le lieu et le code postal de l’usine où chaque produit a été fabriqué. Mais quand les importateurs israéliens déclarent délibérément un lieu inexact des origines, les agents de douane n’ont pas les moyens de réagir.
La situation a incité le gouvernement britannique à exhorter les 26 autres Etats de l’UE à s’entendre sur une procédure qui permettrait aux consommateurs de savoir d’où provenaient exactement les marchandises israéliennes. Cette proposition inquiète de nombreux Israéliens. Cela veut-il dire que bientôt, les gouvernements de l’Europe vont dire à leurs consommateurs : « N’achetez pas chez les juifs » ?
Etant donné l’histoire du pays, on comprend que ce soit une question très sensible en Allemagne. Cela rend d’autant plus surprenant le fait que le gouvernement allemand ait été disposé à commenter publiquement le dossier Soda-Club. En réponse à une question d’un parlementaire de l’opposition, du parti des Verts, le gouvernement a déclaré qu’il ne pouvait y avoir aucune dispense des droits de douane pour des « marchandises venant de territoires occupés ».
En attendant, la société Soda-Club fait exactement ce que font beaucoup d’Israéliens quand il s’agit du conflit palestinien : elle ignore le problème. Quand on a demandé à Soda-Club quelle était sa réaction devant les gens qui la critiquent pour la fabrication de ses produits dans une colonie, le directeur du marketing, Snear, a répondu : « Soda-Club est une entreprise apolitique. »’
14 juillet 2009 - Der Spiegel - traduction de l’allemand en anglais : Christopher Sultan - traduction de l’anglais : JPP