Par Thierry Fabre | La Pensée de midi | 25/08/2009 | 19H31
« En ce jour, nous sommes réunis car nous avons préféré l'espoir à la peur, la volonté d'agir en commun au conflit et à la discorde. » Telles sont les paroles de Barack Obama lors de son discours d'investiture à Washington. Elles annoncent un changement de temps et d'époque par rapport à l'ère de George W. Bush.
Rappelons-nous, c'était il n'y a pas si longtemps que Dick Cheney et Donald Rumsfeld, inspirés par la constellation des néocons, Paul Wolfowitz, Richard Perle, Charles Krauthammer ou Robert Kagan, faisaient l'éloge de la guerre, de la force et de « l'hégémonie bienveillante » des États-Unis d'Amérique…
Il suffit d'avoir écouté le discours du nouveau président américain au Caire, le 4 juin 2009, pour se rendre compte que, vraiment, quelque chose a changé dans le temps du monde. Un discours inspiré, travaillé dans la forme même de son élocution, une heure debout, sans l'aide d'aucune note et sans une hésitation. Un discours tout en subtilité et en profondeur qui ne masque rien et va au cœur des choses de l'incompréhension et de la violence accumulée entre les États-Unis et le monde musulman.
Un discours sans révérence ni soumission, nulle mention ni remerciement au pouvoir égyptien d'Hosni Moubarak, qui pourtant l'accueillait. Mais ce ne sont pas les régimes au pouvoir qui sont les destinataires de son propos, il les contourne pour s'adresser à la conscience de chacun.
Sans crainte, préférant résolument « l'espoir à la peur, la volonté d'agir en commun au conflit et à la discorde », dans un Moyen Orient saccagé par la violence et étouffé par l'oppression. Il ne concède rien aux tueurs d'innocents, bien au contraire, et il cite le Coran (V, 32) :
« Tuer une âme non coupable du meurtre d'une autre âme ou de dégâts sur terre c'est comme d'avoir tué l'humanité entière ; et faire vivre une âme c'est comme de faire vivre l'humanité entière. »
Face à la culture de la mort qui s'insinue dans la profondeur des consciences, il en appelle à l'élan de la vie, face aux hommes du ressentiment et face à leurs imprécations il en appelle à la parole libre et au combat, - en dehors des sentiers de la violence -, d'un Mandela contre l'apartheid ou d'un Martin Luther King contre la ségrégation des Noirs. Et il sait de quoi il parle car s'il est président des États-Unis aujourd'hui, il leur doit beaucoup.
Il rejette avec véhémence le négationnisme qui s'est répandu dans les opinions du monde arabe et musulman, et il appelle à la reconnaissance d'Israël pour sortir d'une guerre qui, si rien ne bouge, est bien partie pour durer cent ans…
Pas de complaisance donc, dans ce discours du Caire, mais une sincère reconnaissance et une réelle exigence à sortir du statu quo. C'est un acte inaugural et fondateur, un discours politique majeur qui ouvre un horizon et dessine une perspective.
Beaux principes et vaines paroles ?
Des mots, encore des mots, de beaux principes et de vaines paroles qui ne changeront rien à la réalité sur le terrain… La coalition des sceptiques et des assis, au demeurant bien nombreuse, est là pour veiller à l'inertie, sans compter les hostiles à un tel changement d'époque, comme les islamistes et autres djihadistes ou les nationalistes israéliens qui scandent : « Barack Hussein Obama, no you can't ! ».
Il est vrai que son exigence au Proche-Orient se fonde désormais sur une relation de réciprocité : à la demande d'une reconnaissance d'Israël par le monde arabe, répond une demande faite à Israël de reconnaître la création d'un État palestinien et d'arrêter toute colonisation dans les territoires occupés.
Le gouvernement de Benyamin Netanyahou n'a pas tardé à répondre par une fin de non-recevoir à cette demande, considérée comme illégitime. Que les États-Unis financent Israël, qu'ils le protègent militairement, contre toute attaque éventuelle, et politiquement, aux Nations unies, contre toute résolution hostile, mais de quoi se mêlent-ils lorsqu'ils demandent l'application du droit international ? La colonisation peut se poursuivre, comme si de rien n'était, cela relève des affaires intérieures israéliennes…
Combien de temps un tel sophisme va t-il continuer à s'imposer, à l'échelle internationale ? Combien de temps les États-Unis vont-ils continuer à accepter un tel déni de droit et de justice ?
L'époque a changé et les dirigeants israéliens, que ce soient Benyamin Netanyahou,Avidor Lieberman ou Ehud Barak, ne semblent pas avoir compris que le temps de l'arrogance est révolu, que la politique du fait accompli n'est plus de mise, que la guerre préventive, comme au Liban en 2006 ou à Gaza en 2008, n'est plus possible.
Une bonne part de la crédibilité internationale des États-Unis de Barack Obama, dans les mois et les années à venir, va en tout cas se jouer au Proche-Orient, et singulièrement dans la relation entre Israël, Palestine et monde arabe. La question iranienne va-t-elle troubler le jeu ? Entrerons-nous à nouveau dans un cycle de guerre, d'attaques préventives et de course à l'arme nucléaire dans la région ? Quelle sera la place de la Turquie, dans les années à venir, en Europe ou hors d'Europe ? Pour jouer quel rôle, puissance médiatrice ou puissance antagoniste ?
Vingt ans après la chute du mur de Berlin, 1989/2009, nous sommes bien loin du nouvel ordre international alors annoncé avec autant d'espoirs que d'illusions. L'élection de Barack Obama à la tête des États-Unis, en plein crise économique et financière internationale, sera-t-elle une illusion de plus ou le signe annonciateur que quelque chose a vraiment changé ?
Comme l'a si justement écrit Wajdi Mouawad, dans « Le Soleil ni la Mort ne peuvent se regarder en face » (Leméac/Actes Sud, 2008), à partir d'une conscience intime du tragique :
« Il semble que ce soit là Dans cette obstination à rêver Que réside leur part d'intouchable ; Dans cette obstination à rêver Que chaque civilisation trouve sens et direction… »