Publié le 23-07-2009
"Mes vacances à Ashqelon
par Christophe Oberlin
En quittant Paris ce samedi 4 juillet, nous ne pensions pas débarquer quelques jours plus tard à Ashqelon, vers 6h du soir, à la recherche d’un hôtel. Ashqelon n’était pas le but de notre voyage. Pourtant, les raisons de passer quelques jours de détente à Ashqelon ne manquent pas. Point n’est besoin d’un dépliant publicitaire. Le lieu d’abord : dans le sud d’Israël, au bord de la mer, sur cette plage ininterrompue qui va depuis Beyrouth au Liban jusqu’à El Arish en Egypte. Et puis aussi plus de cinq mille ans d’histoire dont on retrouve la trace sous le sable des dunes : cananéens, égyptiens, philistins, assyriens et babyloniens, perses, gréco-romains, byzantins, croisés, arabes et ottomans s’y sont succédés. Ashqelon, dit on, a donné son nom au shekel, vielle monnaie philistine, nom repris pour nommer l’unité monétaire israélienne actuelle. Donc au fond, quelques soient les circonstances, un endroit non dépourvu d’intérêt pour celui qui aime creuser, voir l’envers du décor, à supposer que le décor lui-même n’en vaille pas la peine.
L’hôtel où nous échouons, docilement guidés par notre chauffeur de taxi, est un immense bâtiment de plusieurs dizaines d’étages, un peu incongru au milieu du sable et des épineux. De plus on ne voit toujours pas la mer. Le prix est élevé, l’accueil maussade, peut-être même soupçonneux : que viennent faire ici un français, deux espagnols et une anglaise qui ne parlent pas un mot d’hébreu, c’est-à-dire qui ne s’annoncent pas par l’habituel « shalom » ? Renseignements pris nous trouvons un hôtel trois fois moins cher. Un peu délabré, genre préfabriqué des années soixante dix, mais à taille humaine, deux étages, et surtout en bordure de plage. Accueil plus sympathique, bien qu’un peu somnolent, ambiance Las Piedras, pour ceux qui ont vu ou lu « Le Salaire de la Peur ». Malgré la saison, l’hôtel à l’air vide. Mes amis qui passeront une bonne partie de leur temps dans le hall de l’hôtel, attirés par l’unique prise internet comme des abeilles autour d’un pot de miel, me feront remarquer plus tard avec malice qu’il n’en est rien. Le nom de l’hôtel, « Hôtel Dalila », rappelant la prostituée dont Samson tomba amoureux, n’en prendra que plus de relief.
L’hôtel Dalila ne fait pas restaurant. Le front de mer n’en manque pas, apparemment : d’immenses terrasses, des centaines de tables, peut être des milliers, sont dressées. Vides. A deux pas nous sommes bien accueillis, et dinons d’un très bon poisson. Le patron, la soixantaine, nous fait la causette. Il a fondé son restaurant et y travaille depuis… quarante ans ! Un curieux bâtiment un peu kitch en forme de bateau échoué sur la plage. Le restaurant est à vendre, les deux étages, est il précisé. L’annonce, peinte avec soin en plusieurs couleurs à même le mur du bâtiment, suggère qu’elle est là pour durer.
Le lendemain matin, nous repartons à la recherche d’un petit déjeuner, car l’hôtel Dalila ne sert pas non plus de petit déjeuner. A la première terrasse, on ne sert que des boissons sucrées stockées dans de grands frigos à portes transparentes, et du pain industriel sous sachet. De même qu’à la deuxième et à la troisième. Ni pain, ni lait, ni beurre frais. On nous conseille de pousser jusqu’à la « marina », à cinq cent mètres de là, en suivant le bord de mer. La plage est quasiment déserte.
Nous nous approchons donc de ces énormes blocs d’immeubles aussi haut qu’étendus en profondeur, qui sont plantés face à la « marina ». Pas moins de trois rangées de bâtiments, construits successivement sans doute, de sorte que le quidam qui avait jadis la vue sur la mer a désormais une vue imprenable sur une ruelle aussi profonde que les gorges du Todra. On ne peut s’empêcher de penser à l’enchainement de contrats d’achats, permis de construire, dérogations, passations de marchés, ventes alléchantes aux gogos et corruption de fonctionnaires voire de politiques, qui font sans doute la toile de fond de ce saccage côtier. Une quatrième rangée est en construction devant les trois premières, jusqu’ au terrain vague qui sépare les blockhaus de la « marina ». Je demande au serveur si les blockhaus sont occupés. Il me répond que oui, avec une crispation fugace du visage qui signifie que non.
Que faire aujourd’hui à Ashqelon ?
En fin d’après-midi, nous irons visiter le passé historique et archéologique d’Ashqelon. A deux ou trois kilomètres au sud, en bordure de mer, était située la ville ancienne d’Ashqelon, maintes fois détruite et reconstruite. Un dépliant de trois pages nous en indique l’emplacement et le plan général. On est attiré par la richesse prometteuse du site : « cité cananéenne, jardin des antiquités, amphithéâtre grec, basilique romaine, église Ste Mary », etc. Cernant le tout, le plan indique « mur en construction ». Un tiers du texte du dépliant est consacré à « la présence des juifs à Ashqelon ». Sur le bas du dépliant, une chronologie indique « période israélite », sur… six siècles. Je m’en étonne, car je sais que les hasmonéens n’ont jamais eu le pouvoir ici que … pendant 36 ans !
Lors de la visite, nous constaterons que ce ne sont pas les mêmes qui ont fouillé et ceux qui ont conçu le dépliant. Les fouilles, impressionnantes, sont ponctuées de panneaux explicatifs sobres et rigoureusement exacts pour celui qui connait un peu l’histoire ancienne de cette terre. On est frappé par l’étendue du site, des dizaines d’hectares, l’importance de ce qui est exhumé, vestiges de forteresses, murailles affaissées, arche cananéenne « la plus ancienne du monde », basilique, colonnes, s’enchevêtrant jusqu’au rivage et dans l’écume du déferlement des vagues. Ici, contrairement à Gaza, le sable charrié par le delta du Nil n’a pas ensablé les ports et enfouis leurs restes en pleine terre ferme actuelle. La mer a au contraire érodé et détruit à la marge les constructions des occupants successifs, et donne aux vestiges envahis par les flots le charme des temples d’Angkor repris par la jungle.
Mais tout ceci sera pour cette après midi. La première partie de journée va être consacrée à l’utilisation de tous nos appareils électroniques : ordinateurs, téléphones portables français, espagnols, anglais, téléphones locaux, SMS, consultation de messagerie, etc. Car nous ne sommes pas venus ici pour bronzer : nous avons d’ailleurs déjà les coups de soleils qui témoignent de nos deux journées d’attente sur le macadam du parking d’Erez, check point israélien étanche qui marque l’entrée dans la Bande de Gaza soumise au siège le plus long de son histoire. Même Alexandre le Grand, qui n’était pas un tendre (il fit crucifier 2 000 soldats philistins sur le bord de la route, après la conquête de Tyr), n’avait pas mis un siège aussi long.
Notre prétention n’était pas de briser le siège, mais simplement de poursuivre le travail de chirurgie réparatrice et de formation des chirurgiens palestiniens. Pour moi la 24ème mission de ce type en Palestine depuis fin 2001. Et notre équipe de 9 personnes était déjà bloquée depuis deux jours. Une mission de chirurgie pourtant mandatée et financée par le ministère français des affaires étrangère, dument signalée au préalable aux autorités israéliennes. Bien sûr, au cours de ces 24 missions, nous ne sommes pas toujours entrés comme lettre à la poste. En mars dernier nous avons du attendre 24h sous les orages qui se succédaient. Par le passé, bien souvent un ou plusieurs membres des équipes a été refoulé d’un ou deux jours, parfois définitivement.
Mais cette fois-ci, neuf personnes, toute l’équipe, et comme à l’accoutumée sans la moindre « explication ». Il est vrai que « l’explication » est inavouable : casser dans la mesure du possible les équipes et ôter à ses membres, témoins gênants, toute envie de retourner sur le terrain. Il faut reconnaitre que c’est une politique qui marche : j’ai bien du mal à conserver mes effectifs, et c’est justement la raison du caractère international des équipes actuelles. On élargit le bassin de recrutement !
Mais pourquoi toute cette électronique ? Parce que c’est là l’arme du 21ème siècle. Lorsqu’on est une mission officielle mandatée par le gouvernement français, et qu’après 48h d’attente, non seulement on n’est pas entré à Gaza, mais de plus on a vu un vice consul français attendre lui aussi 6h avant d’être refoulé, il faut frapper plus haut et plus fort : le ministère français des affaires étrangères et les médias. Le quotidien « La Croix » fait immédiatement un excellent compte rendu, qui sera repris le lendemain par les radios France Info puis France Inter, puis l’hebdomadaire satirique « le Canard Enchainé ». Une question à l’Assemblée Nationale, lors de la séance des questions au gouvernement, sera posée quelques jours plus tard à Paris.
Le lendemain, nous nous heurtons une troisième fois au refus obstiné de la très jeune soldate d’Erez. Celle là même qui deux jours plus tôt alors que nous refusions de reprendre nos passeports, nous avait dit : si vous ne les reprenez pas, personne ne passera plus, et les enfants (palestiniens) que vous voyiez là attendront au soleil. La soldate avait tenu parole et les enfants avaient attendu jusqu’au soir, avant de passer juste avant la fermeture.
Le surlendemain soir, un porte parole courageux du Quai d’Orsay communiquera officiellement : « La France ne comprend pas qu’une équipe de chirurgie reconnue soit empêchée d’entrer à Gaza, et le fera savoir clairement à l’ambassadeur d’Israël à Paris, de même que la France réitère sa position : biens et personnes devraient entrer et sortir librement de la Bande de Gaza » ! Il y a des inconnus que l’on a parfois envie d’embrasser !
Nous nous pointons au matin du 5ème jour sur le désormais fameux parking d’Erez (sans eau ni toilettes). Le soldat qui nous accueille parle arabe avec les palestiniens qui attendent. Du coup, instantanément les enfants se pressent et engagent la conversation, les deux camps plaisantent… Pour nous c’est d’abord un nouveau refus. Quelques coups de téléphone plus tard, la sentence tombe, définitive : vous pouvez passer, « sauf Ms Sonia ». Sans « explication », comme toujours. Le Dr Sonia Robins est une chirurgienne anglaise, participant de longue date à nos missions de chirurgie et de formation. Comme nous tous elle a un ordre de mission du ministère français des affaires étrangères. Elle esssayera de passer une 6ème puis une septième fois, avant de regagner Manchester.
Fin de nos vacances à Ashqelon."
(Publié avec l’autorisation du mensuel Afrique-Asie)
CAPJPO-EuroPalestine