Dans ce photomontage, le village d’Iqrit vu tel qu’il était en 1937 et aujourd’hui, totalement rasé, n’en restant que l’église et son cimetière. Ahmad Gharabli/AFP
« Revenez lorsque vous serez morts ! »
Depuis 60 ans, les autorités israéliennes s'opposent au retour des habitants du village arabe d'Iqrit expulsés en 1948, après la première guerre israélo-arabe. « L'armée (israélienne) nous a ordonné de quitter le village en nous disant qu'on pourrait revenir au bout de deux semaines », se souvient Maarouf Achqar, 79 ans, qui a vécu le 31 octobre 1948 l'évacuation des 450 villageois. « Cela fait 60 ans qu'on attend », poursuit cette mémoire vivante du village. « Par la suite, ils ont détruit le village. Ils n'ont laissé que l'église et le cimetière. C'est comme s'ils nous disaient : "Revenez quand vous serez morts" », s'exclame-t-il. Pourtant, les habitants de nationalité israélienne de ce village chrétien proche de la frontière libanaise ont obtenu gain de cause auprès de la Cour suprême israélienne en 1951 qui, comme pour le village voisin de Biram, s'est prononcée en faveur de leur retour. Selon l'historien israélien Benny Morris, Biram et Iqrit « illustrent la détermination de l'armée dès 1948 à créer et maintenir une ceinture de sécurité » sans présence arabe le long de la frontière nord. Cette politique a été reprise « rapidement par les institutions civiles de l'État », écrit-il dans son livre The Birth Of The Palestinian Refugee Problem Revisited (Éditions Cambridge, 2004). « Iqrit était habité par des grecs-catholiques, souligne-t-il, et s'est rendu aux troupes de la brigade Oded sans combattre, en fait, il les a accueillis comme des libérateurs, avec du pain et du sel. »
« C'etait un dimanche matin, à 07h30, confirme Maarouf Achqar. Les soldats sont venus de deux côtés. Nous avons hissé le drapeau blanc et nous leur avons donné de la nourriture. Cinq jours plus tard, ils nous ont ordonné de partir en affirmant qu'on était en danger. » Quelques mois après la décision de la Cour suprême, l'armée a détruit Iqrit. « C'était le 24 décembre 1951, la veille de Noël, se souvient M. Achqar. Ils ont rasé le village et démoli toutes les maisons pour nous empêcher de revenir. » Depuis, les habitants et leurs descendants, environ 1 200 personnes dispersées dans le nord d'Israël, poursuivent le combat. « Malgré sa destruction, nous sommes restés fidèles au village », explique Imad Yaqoub, 59 ans, président du comité des habitants d'Iqrit. Ils ont engagé des procédures judiciaires, manifesté et organisé des rassemblements, fait signer des pétitions tout en faisant appel aux papes Jean-Paul II, lors de son voyage en Israël en 2000, puis Benoît XVI, durant sa visite en mai dernier, en vain.
Dans un affidavit concernant Iqrit et Biram en 2001, Ariel Sharon, alors Premier ministre, a estimé que « le précédent du retour dans leurs villages des personnes déplacées serait utilisé à des fins de politique et de propagande par l'Autorité palestinienne », rapporte le quotidien Haaretz. Quelque 760 000 Palestiniens - aujourd'hui environ 5 millions avec leurs descendants - ont pris le chemin de l'exode lors de la création d'Israël, qui refuse d'entendre parler de leur retour. Aujourd'hui, et malgré le refus obstiné des autorités depuis 60 ans, les habitants d'Iqrit font tout pour maintenir leur village en vie. « On organise une messe par mois, on célèbre mariages et baptêmes dans l'église et on enterre nos morts dans le cimetière. Chaque été, on organise des camps où les jeunes apprennent à connaître le village et son histoire, à aimer Iqrit », explique Imad Yaqoub. « Le gouvernement compte sur le temps pour effacer le souvenir, pour que les nouvelles générations oublient d'où elles viennent, mais nous allons lui prouver le contraire », promet-il.
Djallal MALTI (AFP)
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