vendredi 19 septembre 2014

Des centaines de migrants - beaucoup venant de Gaza - assassinés en mer par des trafiquants

Près de cinq cents personnes se sont noyées dans la mer Méditerranée après avoir quitté l’Égypte par la mer, fuyant des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ravagés par la guerre, les épidémies et l’instabilité chronique.

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Des secouristes sur la plage d’al-Qarbole, où gisent des corps de migrants clandestins à 60 km à l’est de Tripoli, en Libye le 25 août 2014 - Photo AFP/Mahmud Turkia
Beaucoup de personnes à bord étaient des Palestiniens de la bande de Gaza, et des milliers d’habitants de Gaza sont supposés avoir fui depuis qu’Israël a commencé son offensive dévastatrice de 51 jours le 7 juillet.
Alors que les témoignages sont recueillis à partir de la poignée de survivants, le récit macabre mais encore fragmenté de la mort par noyade en mer de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, commence à être mis en lumière.
Les survivants ont dit à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) que les mêmes hommes qui avaient pris leur argent et accepté de les transporter vers l’Europe depuis l’Égypte, se sont retournés contre le navire bondé lorsque les passagers ont refusé d’être transférés sur un plus petit bateau, plus dangereux. À ce moment-là, les « passeurs », ont délibérément percuté leur propre navire dans le navire rempli de passagers, le faisant couler avec les centaines de personnes à bord.
Selon un survivant, les près de trois cents passagers qui étaient confinés dans le pont inférieur du navire se sont retrouvés piégés et se sont noyés immédiatement. D’autres ont tenté de s’agripper à des débris et autres moyens de flottaison et ont raconté avoir vu leurs passeurs s’esclaffer tout en regardant le navire couler et des dizaines de personnes disparaître dans la mer.
« Après qu’ils aient percuté notre bateau, ils ont attendu pour s’assurer qu’il avait sombré complètement avant de partir. Ils riaient... » a raconté un survivant à l’OIM. Il a également vu un homme se pendre de désespoir lorsque le bateau a été touché.
« Ils ont regardé comment ceux précipités dans l’eau s’accrochaient les uns aux autres en essayant de rester en vie », a dit un autre survivant.
Quatre jours d’épreuve
Ceux qui ne se sont pas noyés instantanément sont restés en mer pendant quatre jours. Le troisième jour, cependant, les vents renforcés et les vagues ont emporté encore beaucoup plus de gens.
Les personnes qui fuient venaient de Syrie, de Gaza, d’Égypte et du Soudan, et les trafiquants auraient été de nationalité palestinienne et égyptienne. Le bateau a quitté le port égyptien de Damiette, près d’Alexandrie le 6 septembre.
Pendant les trois premiers jours de navigation, les contrebandiers ont exigé des passagers qu’ils changent de navire à trois reprises. La quatrième fois, ils ont refusé.
Leonard Doyle, porte-parole de l’OIM, a déclaré à The Electronic Intifada qu’on ne sait pas bien pourquoi ils demandaient aux migrants de changer de bateau, mais l’hypothèse est qu’ils auraient pu vouloir les transférer dans un plus petit bateau de manière à échapper à la détection alors qu’ils naviguaient vers les ports européens .
Les survivants ont été dispersés en mer et recueillis par différents bateaux. Après deux jours, un navire marchand panaméen qui transportait déjà 386 migrants secourus dans un naufrage séparé, a pris à son bord deux hommes palestiniens âgés de 27 et 33 ans et les a déposés dans le port italien de Pozzola.
Plus tard, un navire britannique a ramassé cinq adultes et un enfant et les a conduits en Crète.
De Crète, l’un des survivants a raconté l’OIM comment les gens ont essayé de rester en vie tout en surnageant : « Nous nous tenions les bras en cercle de sorte que personne d’autre ne soit perdu. »
« L’OIM utilise le terme de ’trafiquants’ » et de « ’passeurs’ » de manière interchangeable, car ils prennent l’argent des réfugiés pour le voyage, mais aussi les exploitent en les envoyant à leur sort », a déclaré Doyle.
« C’est un abus extraordinaire de la vie humaine. Des gens qui fuient ou des personnes qui sont des réfugiées. »
L’OIM a recensé près de 3000 morts au large des côtes de l’Europe rien qu’en 2014 - plus de quatre fois plus que l’an dernier, où 700 morts ont été recensés. En octobre dernier, des dizaines de réfugiés syriens et palestiniens fuyant la guerre en Syrie via la Libye se sont noyés au large des côtes de l’Italie.
Beaucoup de réfugiés palestiniens qui fuient la violence en Syrie ont été contraints de monter dans ces bateaux très dangereux en raison des persécutions du régime égyptien qui maintient une politique de contrainte sur les réfugiés jusqu’à ce que ceux-ci quittent le pays, comme Human Rights Watch l’a rapporté l’année dernière.
Doyle a dit à The Electronic Intifada que près de 100 000 personnes ont survécu au voyage vers l’Europe cette année, ce qui indique que cela est devenu une activité extrêmement lucrative pour les trafiquants. Chaque passager a payé environ 2000 dollars US pour le voyage, et le bénéfice des contrebandiers a été d’environ un million de dollars pour ce dernier voyage mortel.
Les Palestiniens, apparemment, paient 4000 dollars pour un passage.
Doyle a noté que même si c’est le premier naufrage depuis de nombreuses années avec la preuve évidente que le bateau a été délibérément coulé, il est impossible de connaître les circonstances des derniers naufrages.
« Nous devons avoir une politique plus active pour sauver les gens de la noyade. Il ne faudrait pas 3 jours en mer pour les recueillir. »
Mais Doyle a également souligné les raisons qui poussent les gens à fuir leur pays d’origine : « La première chose est que vous avez besoin d’une stabilité politique dans les pays d’origine - que ce soit en Syrie, en Égypte, à Gaza ou en Libye. C’est l’instabilité, les facteurs économiques qui font fuir les gens. Toutes ces personnes ont beaucoup de mal à survivre ».
Tentant désespérément de survivre
Doyle a dit à The Electronic Intifada que les survivants palestiniens ont fourni le témoignage le plus frappant de la façon dont ils se sont retrouvés sur le navire.
Ces survivants palestiniens ont expliqué avoir quitté la bande de Gaza par l’un des rares tunnels qui subsistent le long de la frontière de Gaza avec l’Égypte, puis traversé la dangereuse péninsule du Sinaï remplie de postes de contrôle tenus par des officiers égyptiens hostiles aux réfugiés palestiniens, pour arriver enfin à Alexandrie.
Certains ont dit avoir utilisé l’argent qu’ils avaient reçu pour commencer à reconstruire leurs maisons, afin d’acheter leur passage vers l’Europe - le passage de 2000 dollars comprend un paiement intermédiaire à des Égyptiens dans les ports égyptiens et une place sur un bateau, mais pas de nourriture ni de moyens d’hygiène. La plupart des familles - dont environ une centaine d’enfants - avaient l’intention de se rendre en Norvège, en Suède ou en Belgique, pays ayant des politiques moins restrictives à l’égard des réfugiés.
Ahmed Suhail, un diplomate palestinien en Grèce, a déclaré à EUobserver qu’il pensait que 250 à 300 des migrants qui se sont noyés étaient des Palestiniens.
Un homme palestinien a déclaré à Al-Akhbar qu’il avait quitté Gaza non pas à cause de la guerre, mais parce qu’il n’y avait pas d’avenir, ni espoir de trouver du travail.
Une économie dans un état déjà désastreux a en outre été décimée par l’attaque d’Israël cet été. Même avant l’offensive, environ la moitié des travailleurs de Gaza étaient sans emploi et le taux de pauvreté était de 40%. Plus des deux tiers de la population dépend de l’aide alimentaire, selon les Nations Unies. Un récent rapport du Fonds monétaire international prévoit que l’agression fera régresser l’économie de Gaza de plus de 15%.
Al-Damir, un groupe de défense des droits de l’homme basé à Gaza, a déclaré au quotidien israélien Haaretz qu’il avait recueilli les noms de quatre cents personnes manquantes ayant quitté de la bande de Gaza : « Personne ne sait où ils sont », a déclaré le directeur du groupe Khalil Abu Shamala. « L’ensemble de la bande de Gaza en parle. C’est une histoire douloureuse. » Abu Shamala explique aussi que la plupart des Palestiniens qui fuyaient étaient jeunes.
Les survivants recueillis puis déposés en Crète ont fourni des informations sur les trafiquants à la Garde côtière égyptienne.
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Charlotte Silver est une journaliste indépendante basée actuellement à San Francisco. Elle a écrit pour Inter Press Service, Truthout, The Electronic Intifada, Al Ahkbar et de nombreuses autres publications. Elle est diplômée de l’Université de Stanford.
http://electronicintifada.net/blogs...
Traduction : Info-Palestine.eu