Internet un jour, Internet toujours : je
me jette sur les nouvelles pour entendre des mots horribles, « Gaza :
un journaliste tué, deux blessés »… Apeuré, je continue d’être tout
ouïe. En me disant « pourvu, surtout, qu’ils n’aient pas tué Christophe
Barbier ».
Hagard, je poursuis mon écoute, la radio
me dit : « le journaliste mort et les deux confrères blessés sont des
palestiniens de Gaza… ». Et là, je suis vraiment en colère. Comment
peut-on jouer ainsi avec nos nerfs, avec la réserve de notre si
précieuse émotion… Tout est dans la précision entendue en fin de
phrase : « palestiniens ». On nous laisse d’abord nous faire un sang
d’encre et craindre le pire. Par exemple, qu’outre Barbier on nous ait
aussi fauché du blé en herbe comme Pujadas et pourquoi pas F.O.G. tant
qu’on y est ! La phrase complète, « trois journalistes palestiniens » me
rassure : aucun vrai journaliste n’a été tué ou blessé. Ouf !
On nous avait déjà fait le coup en 2006
quand, dans leur juste combat pour leur sécurité, les militaires
israéliens avaient tué un confrère libanais présenté, lui aussi comme
« journaliste ». Heureusement, nos médias dominants nous précisaient que
ce reporter travaillait pour un journal « proche du Hezbollah », ce qui, là encore, relâchait la soupape de l’émotion. Ce n’était donc pas un reporter qui était mort mais « un proche de… ».
A cet instant je me suis mis à penser à mon merveilleux ami,
Jean-Pierre Elkabach, et me suis dit : « pourvu que mon JPE ne prenne
jamais une balle ou une bombe perdue ». Et pourquoi ? Imaginez dans ce
cas le pauvre préposé de l’AFP en train d’écrire : « Jean-Pierre
Elkabach, un journaliste proche de VGE, de Tonton, de Chirac, de Sarko
et de Hollande a été tué ou blessé à Gaza… ». Trop long, trop compliqué
pour placer dans un communiqué devant exprimer la douleur par sa
sécheresse.
Pour revenir sur le terrain, celui de
Gaza et de nos confrères palestiniens, morts, jambe coupée, blessures
multiples, bureaux et immeubles de presse éventrés, ne sont sûrement que des bavures. Au moment d’appuyer sur le bouton de son missile,
le pilote a sûrement éternué, enrhumé qu’il est par le courant d’air
d’une porte laissée ouverte par un tueur du Hamas. Impossible d’imaginer
qu’un pays dont le ministère des Affaires étrangères est tenu par un
ancien videur de boîtes de nuit, raciste d’extrême droite, puisse viser
la liberté de dire et d’écrire…
En ce qui me concerne, j’aime bien les pilotes de chasse. Ils font un métier qui fait rêver les enfants
et, par ailleurs, simplifie le boulot des types du genre Netanyahou.
Imaginez que, pour faire la guerre, il lui faille faire comme les
commandos de la France
Libre entre 40 et 44, comme ceux du FLN ou autres mouvements pas
gentils de l’histoire, donc qu’il faille mettre des bombes dans les
trains, les bistrots ou les gares. C’est tuant. En revanche, là, vous
avez sous la main des pilotes. Ils sont sportifs, jolis garçons,
diplômés et citoyens exemplaires. Le matin ils peuvent aisément
pulvériser une famille à Gaza et, l’après-midi, tondre la pelouse et
aller chercher les enfants à l’école. Citez-moi un système plus parfait.
Sauf celui des drones où, depuis un bureau paysagé on peut flinguer une
école à Rafah avant d’aller à la cafeteria, puis une autre à Jabalia
après l’expresso.
En dehors de quelques cinéastes drogués,
avez-vous vu, à l’époque heureuse du Vietnam, quiconque dénoncer comme
« terroriste » un pilote d’avion qui vous largue ses tonnes
pyrotechniques ? Un bombardier c’est un technicien, l’égal du garçon
qui, pour Orange, vient vous restaurer la Live Box.
Mais revenons à nos héros qui ne sont
pas, eux, des techniciens de presse mais des journalistes courageux.
Présents à Gaza dans des conditions de travail très difficiles. Ils
doivent bouger sans cesse afin d’échapper aux bombardements,
c’est-à-dire jouer à la roulette russe.
Approcher des zones de combat leur est impossible, sauf à être
kamikazes. Cette réalité d’une guerre cachée est frustrante dans une
bataille où l’on ne voit ni chars israéliens ni tireurs de RPG du Hamas.
Les confrères sont donc assignés, par nécessité, à filmer la mort dans
les couloirs d’hôpitaux, ou des décombres d’immeubles d’où des enfants
tentent d’extraire un livre, un cahier ou une casserole intacts.
Khaled Hamad, un caméraman palestinien
de 25 ans, pour avoir tenté de filmer les blindés israéliens est mort.
Un sniper l’a assassiné alors qu’il portait sur la poitrine un sigle
« Press » parfaitement visible. Le Syndicat des journalistes
Palestiniens nous confirme aussi ce que j’ai entendu à la radio, que
deux autres confrères, Karim Tartouhi et Mahmoud al-Louh ont été
gravement blessés par des tirs intentionnels. Jim Boumelha, le président
de la Fédération Internationale des Journalistes a déclaré, à propos de
ces reporters tirés comme du gibier : « Ce que nous sommes en train de
voir à Gaza est horrible et choquant. Les journalistes doivent être
libres de rapporter ce qui arrive sans être ciblés par l’armée. Nous
demandons à Israël de stopper immédiatement ces attaques. »
Paroles perdues. Le 25 juillet un obus,
qui heureusement n’a pas explosé, a été directement tiré dans
l’appartement d’un « fixeur », c’est à dire ce guide indispensable qui
aide la presse à faire son travail dans des zones si périlleuses. Par
chance, Rami Abou Jammous et sa mère ont échappé à la mort. Ce gazaoui
parfaitement bilingue, après avoir collaboré au Monde, travaille aujourd’hui pour des télévisions françaises.
Je connais personnellement la haine
qu’éprouvent les responsables israéliens pour les journalistes et leurs
« fixeurs ». Le 20 octobre 2000, à Ramallah, j’ai été la victime
(miraculée) d’un sniper de l’armée de Tel-Aviv qui m’a logé une balle de
M16 dans le poumon. Quelques jours plus tard le magnifique Abdel
Khorty, mon ami et mon guide, a été « coincé » par un commando de
militaires alors qu’il rentrait chez lui. Bilan, les doigts coupés puis
une balle dans la tête. Abdel est un mort anonyme du champ d’honneur de
la liberté de la presse.
En ce qui me concerne, « l’enquête »
soi-disant diligentée par Israël s’est perdue dans les mensonges et le
sable. La politique de l’armée d’occupation étant d’annoncer une
enquête, vernis démocratique, puis de ne rien faire. L’affaire Rachel
Corrie, écrasée par un bulldozer, étant un parfait exemple de cette
stratégie.
Je me permets donc, par expérience et
très modestement, de mettre en garde les amis courageux présents à Gaza.
Plus le bilan des morts d’enfants, de femmes et autres civils
palestiniens va monter, plus l’armée va piétiner, plus le danger sera
grand qu’ils soient pris pour cibles. Lors de la seconde Intifada, en
2000, subitement et en quelques jours, 29 journalistes ont été victimes
de « cartons » des soldats israéliens. Le signal de départ était donné :
« foutez le camp qu’on puisse écraser en paix ». Bonnes filles, les
rédactions du monde entier avaient alors compris ce langage du signe, et
retiré leurs envoyés spéciaux. Donc, double ration de gilets
pare-balles pour ceux qui s’entêtent à Gaza. Pour l’honneur d’un métier
par ailleurs perdu.
Jacques-Marie BOURGET