Khaled Hroub - Al Jazeera
L’interdiction du Hamas par l’Égypte est unique dans
l’histoire des relations inter-arabes, et il est très possible qu’il y
ait un retour de bâton.
Deux millions de Palestiniens sont gravement pénalisés par la destruction par l’Égypte des tunnels à Rafah, écrit Hroub - Photo : EPA
L’actuel État « profond » de l’Égypte semble être « profond »
uniquement en matière de sécurité et de bureaucratie, alors que ses
réalisations en politique et stratégie continuent d’être vraiment « peu
profondes ». Le dernier épisode illustrant une telle superficialité –
dont la « découverte » par des militaires d’un traitement pour des
maladies rénales et le Sida et - est l’interdiction du Hamas par le
régime en place, déclarant illégales les activités et la présence du
mouvement en Égypte.
Si les généraux égyptiens ont ressuscité les tactiques du régime de
Hosni Mubarak, avec par exemple la récente nomination d’un de ses
anciens protégés comme premier ministre, ces généraux paraissent en
politique bien moins futés que Mubarak. Au cours des années, les
relations tendues et la haine mutuelle entre Mubarak et le Hamas étaient
plus qu’évidentes. Mais même à cette époque, l’Égypte paraissait plus
fine en politique nationale et régionale et elle a su garder le Hamas à
bord.
Erreurs de calcul
Même au point le plus bas, quand le Hamas était accusé d’avoir tué
des soldats égyptiens travers les frontières de Gaza vers l’Égypte, le
régime de Mubarak a estimé que maintenir des liens avec le groupe était
essentiel pour le rôle régional et la politique de l’Égypte, aussi bien
que pour des raisons de sécurité le long des frontières de Gaza et dans
le désert de Sinaï.
C’est un principe de base en politique que la rupture des liens avec
les acteurs politiques est une étape extrême que beaucoup de pays
veulent éviter. Quand ces acteurs ont des responsabilités dans les pays
voisins, ignorer ce principe devient stupide et se fait à un coût élevé.
En comparaison, l’Iran a maintenu ses liens avec le Hamas en dépit de
la position indigne de ce dernier - du point de vue de Téhéran -
concernant la révolution syrienne contre Bashar Al-Assad, un allié de
premier plan pour l’Iran dans la région.
Une décision précipitée et purement émotionnel de couper tout lien
avec le Hamas peut satisfaire une colère momentanée et assouvir la soif
de vengeance des politiciens, mais elle est de peu de poids dans des
calculs politiques.
Depuis qu’ils ont pris le pouvoir en juillet 2013, les généraux de
l’armée égyptienne ont affiché toutes les formes possibles de haine à
l’égard du groupe palestinien et de la bande de Gaza. Par extension,
deux millions de Palestiniens subissent de nouvelles souffrances à cause
de la destruction par l’Egypte des tunnels à la frontière de Rafah.
Dans leur recherche effrénée de boucs émissaires, les généraux ont
trouvé un cas pratique en la personne du Hamas et dans la prétendue
« menace » qu’il représenterait pour la sécurité nationale égyptienne.
Les médias contrôlés par l’État se sont mis à la remorque de l’armée
et ont lancé contre le Hamas une campagne accablante, à la fois
dépourvue de sens et de sensibilité. Ces médias disent avoir découvert
que le Hamas envisagerait d’occuper le désert du Sinaï et de l’annexer à
Gaza, qu’il conspire en vue de détruire l’armée égyptienne en invitant
toutes sortes de groupes militants et djihadistes, et en les formant
dans le Sinaï, tuant ou kidnappant des soldats égyptiens et faisant
transiter des tueurs dans la bande de Gaza par des tunnels. Le Hamas
cacherait également des dirigeants des Frères musulmans dans Gaza et les
aiderait à revenir au pouvoir.
Pour résumer, dans le discours politique et médiatique de l’équipe
militaire au pouvoir au Caire, le Hamas est maintenant dépeint comme
rien de moins qu’une superpuissance régionale.
Il est certain que le Hamas lui-même a commis de graves erreurs, avec
un catalogue de mauvaises politiques et d’actions hâtives. Et
l’affiliation du Hamas à la Confrérie n’est pas une nouvelle découverte
et elle est plutôt bien connue de tous, y compris des gouvernements qui
ont eu des conflits longs et sanglants avec la Fraternité musulmane.
Néanmoins, ces gouvernements ont entretenu des liens avec le Hamas
(comme les régimes de Bachar al-Assad et de son père avant lui). Ce
n’est pas non plus une découverte que le Hamas ait utilisé une partie
des tunnels de contrebande pour faire entrer des armes dans la bande de
Gaza.
Et ce n’est non plus pas une découverte qu’il existe des possibilités
que des éléments appartenant à des groupes extrémistes violents dans le
Sinaï, peuvent établir des liens avec des éléments proches du Hamas.
La mauvaise bataille
En interdisant le Hamas et en lançant une « guerre contre le
terrorisme » et contre un groupe qui est largement soutenu par une
partie considérable des Arabes et des musulmans, l’Égypte d’Abdel Fattah
al-Sisi choisit le mauvais combat avec le mauvais parti et au plus au
mauvais moment.
En fait, cette interdiction et sa « guerre » à grande échelle sont
une invitation ouverte pour les groupes extrémistes dans Gaza et le
Sinaï à diaboliser davantage le régime en Égypte, et à poursuivre leurs
activités contre des cibles égyptiennes.
De mauvais calculs ont tous conduit l’armée et l’appareil judiciaire à
prendre une décision qui n’est pas seulement de nature contradictoire,
mais aussi nuisible à l’Égypte elle-même. La contradiction amplifie la
confusion qui existe déjà dans le « cas juridique » contre le président
déchu Mohammad Morsi, qui est accusé de « collaborer » avec le Hamas.
Si un contact avec le Hamas est un crime, alors une longue liste
d’officiels, de ministres et de chefs du renseignement, avant Morsi,
doivent être amenés devant la même cour de justice.
En plus de Morsi et d’autres dirigeants des Frères musulmans, il y a
un certain nombre de membres du Hamas accusés d’avoir aidé les Frères à
s’échapper de leurs prisons et à mener des activités illégales en
Égypte. Certains des accusés sont soit morts ou en train de purgé de
nombreuses années dans les prisons israéliennes.
En raison des absurdités entourant le jugement en préparation contre
Morsi et les accusations de collaboration avec le Hamas, on pouvait
imaginer qu’avec le report répété du procès de Morsi, les autorités
trouvent un moyen d’abandonner cette affaire ou de baisser le ton. Au
lieu de cela, le régime militaire persiste et s’enlise encore plus.
La myopie politique de cette initiative s’illustre aussi par les
limites qu’elle impose à la diplomatie égyptienne. Le rôle de l’Égypte
dans la politique palestinienne, en particulier sur la question de la
réconciliation entre le Fatah et le Hamas, s’est sérieusement réduit.
Toute tentative future de l’Égypte pour parvenir à une trêve
militaire entre le Hamas et Israël sera également limitée, privant
l’Égypte de poids diplomatique et lui interdisant un rôle régional. La
même chose s’applique pour les pourparlers de paix en cours entre les
Palestiniens et Israël, qui sont entrés dans une phase très critique.
En proscrivant le Hamas, l’Égypte limite inutilement sa capacité potentielle à assumer des rôles régionaux.
La décision prise par l’Égypte d’imposer une interdiction sur les
activités d’un groupe de la résistance palestinienne dans le pays, est
unique dans l’histoire des relations arabes avec la Palestine. Pourtant,
l’Égypte ne peut pas se permettre de boycotter un parti qui gouverne la
bande de Gaza, et qui bénéficie d’ un large soutien parmi les
Palestiniens.
Mais l’amateurisme des dirigeants de l’Égypte risque encore de nous
surprendre, avec d’autres décisions de la sorte, à la fois risibles et
tragiques.
* Khaled Hroub est professeur au Middle Eastern Studies and Arab Media Studies au Qatar, et chargé de recherche au Centre d’études islamiques de l’Université de Cambridge.