Jonathan Cook
- Le premier ministre a rendu hommage à la chancelière en la qualifiant « d’amie d’Israël ». « Elle a pris à de nombreuses reprises position contre le boycott et les tentatives de boycott contre Israël, ce qui mérite notre reconnaissance »
La visite de 24 heures de la Chancelière allemande Angela Merkel en
Israël est survenue alors que les relations entre les deux pays
touchaient le fond du fond. Selon un rapport du magazine der Spiegel
la semaine dernière, Mme Merkel et le Premier ministre israélien
Benjamin Netanyahou se sont laissé aller à des engueulades téléphoniques
à propos du processus de paix en cours.
En dépit de leurs sourires aux caméras pendant cette visite, la
tension en coulisses avait atteint un sommet au début du mois en raison
d’un incident diplomatique, quand Martin Schulz, Président du Parlement
européen et lui-même allemand, avait prononcé un discours devant le
Parlement israélien.
Scène sans précédent, un groupe de législateurs israéliens a
interrompu M. Schulz, le traitant de menteur, avant de quitter les
lieux, sous la houlette du Ministre de l’Economie Naftali Bennett. Au
lieu de présenter des excuses, M. Netanyahou était alors intervenu pour
fustiger.M. Schulz, l’accusant d’être désinformé.
Dans son discours M. Schulz, qui tout comme Mme Merkel est considéré
comme un ami proche d’Israël, s’était opposé avec véhémence aux appels
en faveur du boycott d’Israël par l’Europe. Alors, comment a-t-il pu
déclencher une telle levée de boucliers ?
La principale offense commise par M.Schulz fut de poser une
question : est-il vrai, comme il l’avait entendu dire lors de rencontres
en Cisjordanie, que les Israéliens ont accès à quatre fois plus d’eau
que les Palestiniens ?
Il avait ensuite suscité le comble de l’ire parlementaire en
suggérant avec tous les ménagements possibles que le blocus israélien de
Gaza empêchait le développement économique de l’enclave.
Cette déclaration n’aurait pas dû susciter la moindre controverse. En
effet, les chiffres fournis pas des instances indépendantes comme la
Banque Mondiale montrent qu’Israël, qui a la haute main sur les
fournitures d’eau locales, alloue par tête 4,4 fois plus d’eau à sa
propre population qu’aux Palestiniens.
De même, il serait difficile d’imaginer que le fait d’avoir pendant
tant d’années refusé marchandises et matériaux à Gaza, tout en bloquant
ses exportations, n’a pas ravagé son économie. Le taux de chômage, par
exemple, est passé de 6 %à 38,5 % à la suite de la décision israélienne
d’empêcher le transfert de matériaux de construction au secteur privé de
Gaza.
Mais il est rare que les Israéliens entendent parler de ces faits par
leurs politiciens ou par les médias. Et peu d’entre eux sont disposés à
écouter lorsqu’une voix singulière comme celle de M. Schulz se fait
entendre.
Les Israéliens ont grandi dans la satisfaction que procure une vaste bulle de déni.
M. Netanyahou et ses ministres font les plus grands efforts pour
renforcer cette bulle, de même qu’ils ont essayé de soustraire les
Israéliens à la réalité qui est qu’ils vivent au Moyen-Orient et non pas
en Europe, en construisant de chaque côté des murs — tant physiques
que bureaucratiques – destinés à exclure les Palestiniens, les voisins
arabes, les travailleurs étrangers et les demandeurs d’asile.
A l’intérieur d’Israël, le gouvernement cherche à faire taire les
rares voix critiques qui ont subsisté. L’intimidation a joué à plein la
semaine dernière, alors que la Cour suprême examinait la conformité
constitutionnelle de la récente « Loi anti-boycott » [*] qui menace de
mettre en faillite quiconque appelle au boycott d’Israël ou des
colonies.
De manière révélatrice, un juriste du gouvernement défendait sa
position en en argumentant qu’Israël ne pouvait en aucun cas accorder
une liberté d’expression semblable à celle dont jouissent des pays comme
les Etats-Unis.
Pour illustrer ce point, le mois dernier, un tollé de protestations a
salué un enseignant d’éducation civique qui avait répondu par la
négative lorsque ses élèves lui demandaient s’il pensait que l’armée
d’Israël était la plus morale au monde. Des ministres du gouvernement
ont mené une campagne pour le faire virer, et son chef d’établissement a
déclaré : « Il y a des vaches sacrées que je ne permettrais pas de
mener à l’abattoir ».
De la même façon, on a vu la semaine passée un Palestinien de
Jérusalem-Est subir un interrogatoire par la police après qu’il eut noté
sur Facebook que sa ville était « sous occupation ».
A l’étranger, M. Netanyahou se prête au jeu des tactiques plus
familières pour intimider les critiques. Exploitant les sensibilités
européennes, il a accusé ceux qui soutiennent le boycott d’être « des
antisémites classiques en costume moderne ». Il a justifié cette
allégation, comme il l’a toujours fait, par le motif qu’Israël est un
point de mire.
Si les Israéliens se sentent visés, c’est uniquement parce qu’ils se sont singulièrement isolés eux-mêmes de la réalité.
Les critiques d’Europe ciblent Israël parce que, contrairement à des
pays comme la Corée du Nord ou l’Iran, Israël a réussi à échapper à
toute pénalité alors qu’il foule aux pieds les normes internationales
depuis des décennies.
L’Iran, qui est seulement soupçonné de développer des armes
nucléaires en secret, endure depuis des années des sanctions brutales.
Israël, qui depuis la fin des années ’60 dissimule son énorme stock de
têtes nucléaires au contrôle international, jouit d’une protection
diplomatique absolue.
Contrairement à ce que prétend M. Netanyahou, des tas de pays ont été
par les Etats-unis et l’Europe pour des sanctions, qu’elles soient
diplomatiques, financières ou, dans le cas de l’Irak, de la Libye et de
la Syrie militaires.
Mais l’antipathie envers Israël a des racines encore plus profondes.
Non seulement Israël a éludé ses responsabilités, mais il a été
généreusement récompensé par les USA et l’UE pour avoir bafoué les
conventions internationales dans le traitement qu’il inflige aux
Palestiniens.
Sans y prendre garde, la police mondiale auto-proclamée a encouragé
les illégalités d’Israël en ignorant systématiquement ses transgressions
et en continuant de lui offrir une assistance massive et des traités
commerciaux préférentiels.
Loin de traiter Israël injustement, M. Schulz, Mme Merkel et la
plupart des autres dirigeants occidentaux l’encouragent régulièrement
par une argumentation spéciale en sa faveur.
Ils connaissent les horreurs de l’occupation israélienne mais ils ont peur d’exercer leur pouvoir pour aider à y mettre un terme
La raison pour laquelle la critique populaire à l’encontre d’Israël
est en train de galvaniser le mouvement de boycott – ce que
M. Netanyahou nomme « délégitimation » - c’est qu’elle offre aux
Américains et aux Européens ordinaires une manière de se distancer de la
complicité de leurs propres gouvernements avec les crimes d’Israël.
Si M. Netanyahou a refusé d’écouter ceux qui le critiquent de
l’étranger, les gouvernements occidentaux n’en ont pas moins été fautifs
car ils se sont montrés de plus en plus imperméables à la vague de fond
de leurs opinions qui attendent qu’Israël soit contraint à tenir compte
du droit international.
Quant à Mme Merkel, ni ses amabilités diplomatiques ni ses
engueulades n’ont fait preuve de la moindre efficacité. Il est temps
qu’elle et ses collègues occidentaux cessent de parler et passent enfin à
l’action contre Israël.
[*] Connue littéralement sous le nom de "loi pour la prévention des
dommages causés à l’Etat d’Israël par le boycott", elle a été adoptée
par la Knesset en juillet 2011 et vise à punir toute personne ou entité
qui appelle à un "boycott économique, culturel ou académique" des
implantations israéliennes en Cisjordanie ou ailleurs en Israël.
* Jonathan Cook a remporté le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Ses derniers livres sont Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books). Voici l’adresse de son site : http://www.jkcook.net.
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http://www.thenational.ae/thenation...
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM