Jean-Claude Lefort, président de l’AFPS
Pour que la Palestine soit
admise au sein de l’Organisation des Nations unies, dans les frontières
d’avant la guerre de 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale, deux
conditions doivent être remplies. Il faut tout d’abord que le Conseil de
sécurité, à une majorité de 9 voix au moins sur ses 15 membres, se
prononce favorablement sans qu’aucun veto ne s’y oppose. Il faut ensuite
que cette recommandation soit suivie, à l’Assemblée générale, d’un vote
lui aussi positif à la majorité des deux-tiers des 193 Etats membres.
A ce jour, plus des deux-tiers des Etats membres
reconnaissent déjà l’Etat de Palestine ou ont annoncé qu’ils voteraient
dans ce sens. La seconde condition sera donc remplie. Reste la première,
qui dépend des membres du Conseil de sécurité. Selon les dernières
informations en provenance de New York, huit d’entre eux sont déjà
disposés à voter pour, mais pas la France ni le Royaume-Uni.
S’agissant de Paris, la raison avancée est irrecevable.
Les dirigeants de notre pays prétendent qu’ils ne voteront pas pour
l’admission de l’Etat de Palestine afin d’éviter que les Etats-Unis
fassent usage de leur droit de veto. Etrange argument, car la question
posée au Conseil de sécurité n’est pas le vote des Etats-Unis, mais
l’admission de la Palestine à l’ONU. Cette palinodie ne trompe
personne : Nicolas Sarkozy et Alain Juppé se servent de ce prétexte pour
s’opposer à la demande des Palestiniens, reniant leurs engagements.
Faute de négociations israélo-palestiniennes durant l’été, la France,
disaient-ils, « prendra ses responsabilités ». De plus, et pour tout
éclairer de leur position, le Conseil exécutif de l’Unesco vient de
recommander l’adhésion de la Palestine, comme membre de plein droit, à
cette organisation. Les Etats-Unis ont voté contre et la France, alors
qu’il n’y a pas de veto dans ce cas, s’est tout simplement abstenue.
C’est dire si leurs arguties ne tiennent pas debout : à cela trois
raisons.
Premièrement, le veto américain a-t-il empêché la France
et la Grande-Bretagne, il y a quelques mois, de voter une résolution du
Conseil de sécurité condamnant très clairement la colonisation
israélienne ? Le recul actuel choque d’autant plus que, le Quartet ayant
proposé de reprendre les négociations « sans condition », le
gouvernement israélien a aussitôt annoncé la construction de 1100
logements à Jérusalem-Est. Et Alain Juppé, après avoir « regretté »
cette décision, a lui même pris acte de l’échec dudit Quartet. Pourquoi
donc n’en tire-t-il pas les conclusions qui s’imposent ? Or à l’Unesco
la France vient de s’abstenir, redisons-le.
En second lieu, l’Elysée et le Quai d’Orsay prétendent
que les Palestiniens ont choisi une mauvaise voie en s’adressant au
Conseil de sécurité et leur suggèrent de se contenter d’un strapontin au
lieu d’un siège - un statut d’Etat non-membre - à condition, qui plus
est, de s’engager à ne pas recourir à la Cour pénale internationale ni à
la Cour internationale de Justice. A quel titre décident-ils, à la
place des Palestiniens, de ce qui est bien et de ce qui est mal pour
eux ? Ces derniers ne sont pas des enfants, mais un peuple souverain qui
est colonisé depuis plus de soixante ans et qui a droit, comme tous les
autres, à l’autodétermination et au respect.
Troisièmement, les sondages le confirment, près des
trois quarts de nos compatriotes estiment que la solution de cet
interminable conflit passe par la création d’un Etat palestinien et son
admission à l’ONU. A quel titre Nicolas Sarkozy décident-ils, à la place
des Français, de ce qui est « bien » et de ce qui est « mal » pour
eux ? Non content de traiter les Palestiniens à la manière coloniale,
ils se conduisent comme si notre peuple était, lui aussi, mineur.
Nicolas Sarkozy et Alain Juppé viennent de se faire
ovationner par un millier de personnes à Benghazi. Mesurent-ils que des
millions et des millions de citoyens du monde – et pas seulement des
Arabes et des musulmans – les hueront s’ils persistaient à se dérober
devant leurs responsabilités et à ne pas voter pour l’admission de la
Palestine à l’ONU ? On imagine sans mal les conséquences catastrophiques
d’une telle débâcle pour l’image et l’autorité de la France dans le
monde.
Qui peut d’ailleurs garantir que les Etats-Unis
utiliseront réellement leur droit de veto ? Rien ne dit, soucieux de
leur influence dans un monde arabe en pleine révolution, qu’ils
continueront à s’isoler pour soutenir le gouvernement israélien, dont
l’attitude suicidaire nuit de toute évidence à leurs intérêts. Qui peut
donc parier que Barack Obama, en dépit de ses arrière-pensées
électorales, mettra vraiment à exécution sa menace de veto ? Les votes
aux Nations Unies dépendent, chacun le sait, des rapports de forces.
Ajoutons que si les Etats-Unis utilisaient leur veto
rien ne serait nécessairement et pour autant terminé. Il est une
jurisprudence de l’ONU qui veut que, en cas de « carence » constatée du
Conseil de sécurité, l’Assemblée générale peut prendre à sa place les
décisions. Elle a été utilisée à plusieurs reprises.
Comment cela ? Prenons une hypothèse : les Palestiniens
décident de proposer une seconde fois l’adhésion de leur pays à l’ONU.
Les Etats-Unis s’y opposent une seconde fois. Et ainsi de suite. Dans ce
cas il y a carence du Conseil de sécurité qui se trouve de fait bloqué
par l’attitude de l’un de ses membres permanents. L’Assemblée générale
peut alors le constater et en tirer les conclusions. Cela s’est passé en
1950 (Résolution 377) quand, devant l’opposition permanente de l’URSS
relativement à l’engagement de ce qui allait devenir la guerre de Corée,
l’Assemblée générale a constaté cette défaillance de l’institution et
en a tiré les conclusions. Pourquoi donc alors parler à l’impératif sur
ce point et donner raison à Sarkozy alors que c’est le conditionnel qui
convient ?
Cela dit, si la France veut jouer un rôle dans
l’apaisement du plus vieux conflit international non résolu et ne plus
laisser l’Amérique dicter sa loi, alors elle doit accomplir un geste
fort : reconnaître elle-même l’Etat de Palestine et agir pour son
admission à l’ONU. La dynamique ainsi créée pourrait, de surcroît,
amener de nombreux Etats, y compris au sein de l’Union européenne, à en
faire autant et élargir la large majorité de pays membres des Nations
unies déjà décidés à voter pour l’admission de l’Etat palestinien à
l’ONU.
Répétons-le donc : seul le droit – tout le droit et rien
que le droit – permettra de mettre fin au conflit israélo-palestinien.
Il est grand temps que la France se ressaisisse : s’aligner sur les
Etats-Unis, ménager la chèvre et le chou, au mépris des résolutions de
l’ONU, ne peut que porter atteinte à ses intérêts. Elle doit au
contraire choisir le bon chemin : non seulement reconnaître l’Etat de
Palestine dans ses frontières d’avant la guerre de 1967 avec
Jérusalem-Est comme capitale et, en conséquence, non seulement voter oui
à son admission à l’ONU, mais elle doit aussi travailler à entraîner
sur ce chemin d’autres Etats membres, en Europe et dans le monde.
La France pourra ainsi, comme souvent dans le passé, faire l’Histoire.
L’entrée de la Palestine à l’ONU ne suffira certes pas,
on le sait, à apporter enfin la paix au Proche-Orient, mais - et qui ne
le voit à constater la fébrilité totale des dirigeants israéliens ? - ce
sera un jalon majeur pour y contribuer : Israël se verra alors
contraint de négocier avec un Etat reconnu comme lui, dans le cadre des
Nations unies et sur la base de ses résolutions qui posent les principes
intangibles d’une solution durable. La France ne peut plus se dérober.