08/07/2011
Des associations ont obtenu d'Hachette la modification de deux pages concernant la question palestinienne de son manuel d'histoire.
A Hachette, Myriam Simonneaux, adjointe au directeur de la communication, cherche à désamorcer la polémique qui enfle depuis le 5 juillet. Oui, des associations se sont plaintes de la manière dont le chapitre consacré à la Palestine (« L'ONU et la question de la Palestine ») était traité et oui, Hachette en a tenu compte :
« L'éditeur et l'auteur l'ont examiné de près et ont décelé sur deux pages des mots et des imprécisions qui peuvent prêter à interprétation. »
Pour le reste, inutile d'insister, il n'est pas possible de parler à un responsable. Ni d'en savoir plus :
« Les modifications sont en train d'être effectuées en toute indépendance, il n'y a aucune raison de s'exprimer sur un processus en cours. »
Cette modification suite à la plainte d'associations est une première pour la maison d'édition.
« Israël n'a expulsé personne »
Les deux pages constituent un corpus de cinq photos, textes et cartes choisis pour que les élèves de première générale travaillent sur la question suivante : « Comment l'Organisation des Nations unies (ONU) a-t-elle tenté de régler la question palestinienne ? »
Cette présentation des faits déplaît fortement à l'association pro-israélienne (et hostile aux Etats arabes de la région) Europe-Israël. C'est l'été et les professeurs doivent choisir le manuel scolaire avec lequel ils travailleront à la rentrée.
Certains, proches de l'association, l'ont alertée après avoir lu la double page. Le président Jean-Marc Moskovicz n'est pas resté les bras croisés :
« J'ai tout de suite envoyé une lettre au président d'Hachette, au Premier ministre et au ministre de l'Education nationale. »
Jean-Marc Moskowicz est scandalisé : selon lui, le professeur qui a dirigé la rédaction de l'ouvrage « a pris des positions pro-palestiniennes ». Il déplore qu'Israël ne soit cité « qu'une fois en tout petit » et que le terme « nakba » (« catastrophe » en arabe) soit utilisé. La définition donnée, selon laquelle les populations palestiniennes ont été expulsées par l'armée israélienne pendant la guerre de 1948, est pour lui un pur mensonge :
« Ce sont les armées arabes qui ont appelé les Arabes de Palestine à s'enfuir. Tous ceux qui ont voulu revenir après la guerre ont pu le faire. C'est la Transjordanie, le Liban et la Syrie qui ont parqué les réfugiés dans des camps et les ont empêchés de revenir. Israël n'a expulsé personne. »
Un chapitre qui ne parle pas de la création d'Israël
D'autres associations se sont jointes à l'appel d'Europe-Israël. Le Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme (BNVCA) et son président Sammy Ghozlan redoutent que « cet enseignement puisse amener les enfants à interpréter l'histoire, à haïr les juifs ». Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) conteste également le contenu des pages.
L'auteur, Pascal Zachary, professeur dans un lycée de Nancy, est lui très agacé par cette polémique. Contacté par Rue89, il rappelle que le dossier ne porte pas sur la création d'Israël, qui n'est pas au programme, mais qu'il fait partie du chapitre « Espoirs de paix au lendemain des conflits », qui aborde le rôle de l'ONU. Selon lui, la polémique est creuse et il refuse de s'exprimer davantage. Il assure n'avoir subi aucune pression de la part d'Hachette.
Sur les expulsions, un consensus chez les historiens
L'historien Henry Laurens, titulaire de la chair « Histoire contemporaine du monde arabe » au Collège de France et qui a rédigé de nombreux ouvrages sur le question de Palestine, regrette que l'éditeur soit influencé par les critiques qui ont été formulées par le président d'Europe-Israël, connu pour sa lecture extrêmement partiale de l'histoire du conflit israélo-palestinien. Pour l'historien, sollicité par Rue89, les arguments avancés ne tiennent pas la route :
« Cela fait longtemps qu'il existe un consensus chez les historiens sérieux, israéliens compris, pour dire que les expulsions ont bien eu lieu. Il y a aussi eu des départs volontaires, mais comme c'est le cas à chaque conflit.
Les populations veulent éviter les combats, comme en France en 1940 en France. Les Palestiniens ne sont pas gentiment partis de chez eux. »
Il admet néanmoins que les deux pages rédigées sont maladroites :
« Il est dur de résumer un problème aussi complexe en deux pages. Cela manque d'une mise en contexte. Il ne faut pas oublier qu'en 1947, l'ONU est encore une petite institution qui n'a pas de pratique pour régler ce genre se situation. »
Les modifications demandées par Europe-Israël sont cependant pires selon lui que la rédaction initiale de la double page. Pourtant, des changements vont bien être opérés. Selon Les Inrocks, la définition de la nakba sera étayée, pour préciser qu'il y a aussi eu des départs volontaires. L'expression « conflit entre deux nations » devrait être modifiée en remplaçant « nations » par « peuples ».
Un sujet trop lié à l'actualité évité par les profs
Outre la polémique, la plainte des associations montre à quel point il peut être difficile d'enseigner cette période. Pascal Zachary estime que ce genre de situation risque de s'aggraver, étant donné qu'à la rentrée 2012, les élèves de terminale auront un chapitre entier consacré au « siècle de conflit au Proche-Orient ».
Stéphanie Laithier, chercheur sur le conflit israélo-palestinien et membre de l'Institut européen des sciences des religions (IESR), a effectué un travail sur l'enseignement du conflit israélo-palestinien à l'école. Elle affirme que le sujet est problématique pour les professeurs :
« Je me suis rendu compte que beaucoup ne l'abordaient pas en classe car il est très lié à une question d'actualité. C'est le cas aussi bien dans les quartiers sensibles où l'intérêt pour le sujet est grand, que dans les milieux ruraux et les centres-ville. »
Sensible, la question a jusqu'à présent été facultative et n'est par conséquent jamais tombée au bac.
« Les enseignants ne se sentent pas assez calés pour en parler »
Selon Stéphanie Laithier, l'impasse sur le sujet est cependant plus due au manque de formation des enseignants qu'aux pressions des associations :
« A aucun moment dans le cursus universitaire cette période n'est traitée. Les enseignants ne se sentent pas assez calés pour en parler.
Dans ce cas, les dossiers des manuels scolaires peuvent avoir leur importance car les professeurs ont plus tendance à se retrancher derrière. Un réflexe qu'ils n'ont pas pour les autres questions. »
Elle tient à nuancer l'influence des associations sur l'enseignement. Si l'histoire est souvent réécrite à des fins nationalistes, ce n'est pas plus le cas pour Israël-Palestine que pour d'autres conflits. L'enseignement de la période est totalement possible, en changeant la manière de l'aborder :
« Dans les manuels, elle l'est souvent sous l'angle religieux, ce qui est une erreur. Il faut aussi arrêter de présenter le conflit à partir de 1947 et commencer dès le début du XIXe siècle, afin de montrer qu'il s'agit à l'origine de deux nationalismes, israéliens et palestiniens, qui se construisent. »
Stéphanie Laithier a une certitude : il faut « remettre de l'histoire dans cette question ». C'est de cette manière qu'on arrivera à désamorcer les tensions.
Illustrations : les pages du manuel d'Hachette consacrées à la question palestinienne qui sont en cours de modification.